Opinions - 11.04.2016

L’ALECA serait-il le Pacte Fondamental de 1857 dans sa version plus moderne?

L’ALECA serait-elle le Pacte Fondamental de 1857 dans sa version plus moderne ?

Le Pacte Fondamental du mercredi 9 septembre 1857 imposé par l’Angleterre et la France à Mhamed Bey était la fondation, le terreau, le processus qui a mené 24 ans après au Traité du Bardo du 12 mai 1881. C’était la mise sous-tutelle de l’économie tunisienne ; il a fait volet en éclat notre souveraineté nationale. L’Accord de libre-échange complet et approfondi (l’ALECA) serait-il ce Pacte qui nous obligerait dans quelques années à accepter plus de concession au profit de la machine européenne, un rouleau juridico-bureaucratique qui écrase tout ce qui serait sur son chemin ? In fine risquerions-nous  une occupation cette fois-ci par nos voisins du nord, de la communauté internationale, comme on dit ? Telle est la problématique que nous proposons d’examiner aujourd’hui. Nous n’attarderons donc pas sur les Modèles calculables d’équilibre général (MCEG). Nous envoyons le lecteur à nos précédentes publications sur ce chapitre . D’autres contributions viendront enrichir ce thème très prochainement.  

1/ Le Pacte Fondamental de quoi parle-t-on? 

Le Pacte Fondamental du mercredi 9 septembre 1957 imposé par l’Angleterre et la France à Mhamed Bey a été, comme nous venons de le souligner, le processus qui a mené 24 ans après au Traité du Bardo du 12 mai 1881. L’ALECA serait-elle ce « Pacte Fondamental » qui mènerait une nouvelle forme d’occupation, un néocolonialisme économique ? Force est de constater que le parallèle entre les deux projets est envisageable; en effet, la démarche pourrait être la même car la conjoncture est semblable, comparable. Aussi, entre la proposition européenne et le Pacte de 1857 beaucoup de volets, de chapitre et de demandes sont  concordants, concomitants.  

Pour la clarté des propos, il est nécessaire donc de commencer par rappeler les caractéristiques du pacte Fondamental pour ensuite en établir le parallèle avec l’Accord de libre-échange complet et approfondie. Ainsi, le lecteur identifiera les points communs et comprendra plus aisément les dangers qui guettent notre nation.
 
Mhamed Bey (1811 – 1859) avait ordonné en juillet 1957 l’exécution de Batto Dfez, un juif qui avait insulté un cocher ainsi que sa religion musulmane. Cette exécution avait provoqué une levée de bouclier dans les chancelleries européennes.  Une flotte française surarmée débarque en août à la Goulette : l’Amiral commandant cette flotte et l’ambassadeur de France ordonnent au souverain d’entreprendre sans tarder les réformes de son royaume. Sur le même ton et avec le même élan de solidarité entre occidentaux, Richard Wood le consul d’Angleterre, ordonne au Bye le même message. 

Le Bey pour sauver son trône a cédé aux demandes européennes. Il ordonne à son secrétaire Ibn Abi Dhiaf de rédiger à partir de ces exigences une « déclaration de droits » en onze points qui a pris le nom de «Pacte Fondamental» :
« Les articles portent sur:

  • La sécurité des personnes et des biens (art.1) ;
  • L’égalité de traitement en matière fiscale (art.2) ;
  • L’égalité de traitement en justice entre musulmans et non musulmans (art.3)
  • Le respect de la pratique religieuse des non musulmans (art.4)
  • La réglementation et la limitation du service militaire (art.5)
  • L’association d’un représentant des non musulmans à toutes juridictions jugeant au non musulmans (art.6)
  • L’institution d’un tribunal de commerce avec participation des étrangers selon des accords à conclure (art.7)
  • L’égalité de tous les sujets dans les affaires coutumières ou légales (art.8)
  • La liberté du commerce (art.9)
  • La liberté pour tout étranger de pratiquer tout métier à condition de respecter les lois du pays (art.10)
  • La liberté pour tout étrangers s’installant dans le pays de posséder tous fonds de maison, verger, terrain à condition de respecter les lois en vigueur (art.11) »

Autant dire qu’il ne manquait plus que l’occupation militaire. Un tel dispositif avait pulvérisé –gazéifié- l’économie tunisienne et sonné le glas de notre souveraineté nationale. Ainsi, pour reprendre les termes de Bismarck qui encourageait la France à occuper la Tunisie pour la détourner de l’Alsace-Lorraine : « la poire tunisienne est mûre et il est temps pour vous de la cueillir. ». La poire a été cueillie le 12 mai 1881.

2/ L’ALECA

Michaela Dodini, vice-ambassadrice de l’UE à la Délégation de Tunis, responsable de la section commerciale, avait déroulé lors d’une table ronde organisée, samedi 13 décembre 2014 à la Bibliothèque Nationale de Tunis, les objectifs et surtout les attentes de l’UE de l’Aleca qui se résument grosso modo comme suit:

  • L’accès aux marchés des biens et services sans entrave, au même titre que les investisseurs locaux.
  • L’accès des entreprises étrangères à la propriété des biens immobiliers. 
  • L’amélioration du niveau et des mécanismes de protection des investisseurs.
  • Le règlement des différends entre investisseurs et états (RDIE) ne devrait plus relever des tribunaux locaux.  Il faudrait conclure des traités spécifiques pour mieux garantir la protection des investissements. « La Commission européenne est déterminée à renforcer l’équilibre entre le droit des états à règlementer dans l’intérêt de la société, et la nécessité de protéger les investisseurs. » a-t-elle précisé.
  • L’alignement de la règlementation économique tunisienne sur les règles de la législation européenne.
  • L’adoption de la législation communautaire dans les domaines tels la propriété intellectuelle, la politique de la concurrence, mais aussi les normes et les standards techniques, les mesures sanitaires et phytosanitaire.

Mme Michaela Dodini avait insisté avec force dans son exposé sur le fait que : « le rapprochement réglementaire permettra aussi aux investisseurs européens de retrouver en Tunisie un climat d’affaires et des règles d’investissements comparables ou proches de celles en vigueur à l’UE, ce qui devra les encourager à investir davantage. »

3/ La synthèse

  Pacte Fondamental de 1857 ALECA Observations
Commerce La liberté du commerce (art.9) L’accès aux marchés des biens et services sans entrave, au même titre que les investisseurs locaux. L’ALECA est plus précise et plus exigeante. En clair, suppression totale des tarifs douaniers.
Justice L’institution d’un tribunal de commerce avec participation des étrangers selon des accords à conclure (art.7) Le règlement des différends entre investisseurs et états (RDIE) ne devrait plus relever des tribunaux locaux. L’ALECA va plus loin que l’article 7 : Les différents ne devraient relever des tribunaux locaux.
Propriété La liberté pour tout étrangers s’installant dans le pays de posséder tous fonds de maison, verger, terrain à condition de respecter les lois en vigueur (art.11) L’accès des entreprises étrangères à la propriété des biens immobiliers. Idem
Circulation des personnes La liberté pour tout étranger de pratiquer tout métier à condition de respecter les lois du pays (art.10)   Déjà dans la pratique et sans la réciprocité pour les Tunisiens.

    

Ainsi nous constatons les dangers de la proposition européenne. Les intentions de nos voisins du nord sont pernicieuses, funestes et nocives. Il faudrait donc s’en préserver ! D’ailleurs, l’accord signé en juillet 1995 dans le cadre du processus de Barcelone pour la création d’une zone de libre-échange euro-méditerranéenne  n’a pas contribué au développement économique de la Tunisie  : il a coûté, d’après le président de l’Institut tunisien des études stratégiques (ITES), « (…) une perte annuelle à la Tunisie l’équivalent de 3% du PIB. Ce taux de 3%  est un manque à gagner en ressources fiscales en termes d’importations tunisiennes des produits provenant de l’Union européenne. Entre 1996 et 2010, les pertes en ressources fiscales causées par l’application de cet accord sont estimées entre 18 et 24 milliards de dinars. »

Lors de notre prochaine contribution nous reviendrons sur ce sujet avec quelques pistes et propositions pour tenter de préserver nos intérêts. La véritable problématique serait quelles stratégies de développement et comment se servir du libre-échange pour s’insérer judicieusement dans  le commerce international. La proposition européenne répond uniquement aux intérêts européens. Croire aux bonnes intentions de l’UE relèverait beaucoup plus de la corruption institutionnalisée plutôt que de la naïveté. 

Ezzeddine Ben Hamida

 

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2 Commentaires
Les Commentaires
Zied MAHJOUB - 13-04-2016 16:39

Permettez moi de vous dire Monsieur que votre article est complètement erroné pour ne pas dire autre chose pour la simple raison que le projet de l'ALECA n'a fait l'objet d'aucune publication.Pour les produits industriels, les droits de douane ont été déjà démantelés par l'accord d'association de 1995.Quant à la propriété immobilière et comme vous n'avez pas lu le projet je vous assure, monsieur, que l'ALECA n'aborde pas cette question de près ou de loin.

Bechir Toukabri - 18-04-2016 22:42

Bravo pour cet article qui aurait pu alerter l'opposition, les honorables députés du Parlement élus très démocratiquement; la société civile et tous les Tunisiens nationalistes. La signature de l'ALECA aurait pu ne pas être signée. Mais lefaire paitre aujourd'hui,c'est trop tard.Comme ledit le dicton: . بعدما مات علقولوا مكEn vérité, ce qui s'est passé lors du Traité du Bardo en Mai 1881, s'est répété en 2016. C'est les mêmes conditions et les mêmes intervenants. Toutefois la différence est de taille:1) En 1881 la parti dominante c'est la France, alors qu'en 2016 c'est la communauté Européenne.2) La partie dominée c'est le régime beylical, ignorant et incompétent, alors qu'en 2016 c'est une république indépendante avec un régime démocratique avec une cohorte de cadres très compétents. 3) En 1881 il n'y avait aucune opposition dans le pays, alors qu'en 2016 on aune opposition de toutes les couleurs très éduquée et très politisée.4)En 1881 il n' y avait qu'une masse d'ignorants miséreux et incultes, alors qu'en 2016 on a une société civile éduquée avec18000 associations et une masse d'intellectuels, et plus de175 partis politiques de toutes les tendances,.....etc C'est dire qu'en 1881 on était des bougnoules, alors qu'en 2016 on est un peuple fier. Malgré cela en 2016 on s'est fait roulé, ou plutôt on s'est fait baisé comme des cons.

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