News - 15.10.2015

Quel modèle de développement économique faut-il pour la Tunisie?

Quel modèle de développement économique faut-il pour la Tunisie ?

La révolution en Tunisie est l’aboutissement de la faillite d’un modèle néolibéral extraverti mis en place depuis les années 1970. C’est un modèle qui a atteint ses limites et épuisé ses capacités en échouant de solutionner les grands problèmes auxquels la Tunisie  s’est trouvée confrontée, notamment la pauvreté, le chômage, les inégalités sociales et les déséquilibres régionaux.

La Tunisie s’est engagée dans ce modèle néolibéral extraverti depuis les années 1970 et surtout à partir du milieu des années 1980 avec la mise en application du programme d’ajustement structurel. Ce qui s’est traduit par une soumission de plus en plus manifeste de l’économie tunisienne au diktat des institutions financières internationales et à leurs recommandations hégémoniques.

Ce modèle néolibéral s’est totalement essoufflé puisque les résultats parlent d’eux-mêmes:

  • Davantage de fragilité de l’économie tunisienne qui n’attire que des investissements étrangers fragiles et générateurs de valeur ajoutée faible et d’une employabilité limitée.
  • Une aggravation du chômage affectant surtout les diplômés et les femmes.
  • Un rétrécissement de la classe moyenne.
  • Un approfondissement des inégalités sociales et régionales.
  • Une généralisation de la corruption.

Durant les quatre dernières années, les gouvernements successifs ont navigué à vue avec une  absence de visions claires, une gestion des affaires au jour le jour, une incohérence dans les prises de décisions et dans les politiques menées et surtout une  absence totale de stratégie de développement économique et social.

Il est, par conséquent, nécessaire de repenser le modèle actuel et de mettre en œuvre un nouveau modèle capable de mettre la Tunisie sur la voie du  développement économique et social.

Aujourd’hui, la transition politique est achevée et la priorité est, désormais, accordée aux questions économiques et sociales en vue de trouver des réponses satisfaisantes aux problèmes économiques les plus brûlants qui étaient à l’origine du soulèvement du 14 janvier 2011.

L’appréhension de ces problèmes doit se faire dans la cadre d’un modèle de développement dont les orientations restent à définir et dont l’élaboration nécessite la définition d’un projet de société et d’objectifs à moyen et à long terme.

Le modèle de développement n’est ni un programme économique, ni des réformes à entreprendre. C’est un ensemble d’axes stratégiques à suivre en vue d’améliorer le niveau de vie d’un peuple. C’est un cadre de référence auquel font appel ceux qui sont chargés d’élaborer les politiques publiques dans un pays.

La raison d’être de ce modèle est, donc, de définir les grandes orientations stratégiques dans lesquelles s’inscrivent les grandes réformes.

L’élaboration d’un modèle de développement devant constituer une rupture totale avec le passé, suscite un certain nombre de questions préliminaires auxquelles il faut trouver des réponses précises. Ces questions sont au nombre de dix et revêtent la même importance.

I - A qui incombe la construction du modèle de développement?

Cette question se pose avec acuité dans la mesure où il y a deux projets sociétaux qui se confrontent aujourd’hui en Tunisie et qui sont inconciliables au niveau des choix fondamentaux.

Est-il possible aujourd’hui de songer à un modèle de développement qui résulterait  d’un dialogue national auquel participeraient toutes les composantes de la société indépendamment de leurs divergences idéologiques, parfois antagoniques?

Peut-on aboutir à un consensus entre toutes ces composantes autour des principaux choix politiques, économiques, sociaux et culturels qui serviraient de références pour le modèle à concevoir ?

Un modèle de développement doit inévitablement exprimer les intérêts de groupes politiques et sociaux homogènes. Il est, par conséquent, insensé de chercher à bâtir un modèle de développement qui donnerait satisfaction à tout le monde, aux progressistes comme aux réactionnaires, aux modernistes comme aux rétrogrades, aux libéraux comme aux socialistes, aux démocrates comme aux obscurantistes.

L’élaboration d’un modèle de développement est incontestablement l’expression  d’un rapport de force entre les différentes composantes politiques, économiques et sociales dans un pays.

Dans tous les cas et quoique l’on dise, le libéralisme ne peut servir de référence pour la construction d’un modèle devant répondre aux attentes des tunisiens en matière de « emploi – liberté – dignité nationale ».

II – Quelle approche doit-elle animer le modèle de développement économique?

Un modèle de développement doit inévitablement s’inscrire dans l’une des deux approches suivantes:

1-  Une approche libérale selon laquelle l’économie est régie par les lois du marché et régulée par la « main invisible ».

Le libéralisme est une doctrine qui prône la libre entreprise et la liberté du marché. Il s’oppose à toute appropriation et à tout contrôle des moyens de production par l’Etat et dénonce toute intervention de celui-ci dans l’économie. Dès lors, une question se pose tout de suite :

Peut-on aujourd’hui confier le destin de notre pays aux mécanismes purs du marché, mécanismes qui ont montré, de tout temps, leurs limites et qui n’ont pas manqué de favoriser la contrebande, le marché parallèle, la corruption et les inégalités sociales et régionales.

2- Une approche sociale de marché selon laquelle il doit y avoir un secteur étatique fort, qui prend en charge les services publics et stratégiques et permet à l’Etat d’intervenir pour empêcher  les  inévitables distorsions et dérapages du marché. Mais, c’est aussi conformément à cette approche que  certains mécanismes régulateurs du marché doivent être préservés pour stimuler l’activité économique et encourager l’initiative privée.

III – Quelles stratégies économiques doivent-elles fonder le modèle de développement?

Le  modèle doit reposer sur trois types d’économie : l’économie verte, l’économie numérique et l’économie solidaire.

1 - L'économie verte

L’économie verte est une économie dont la finalité est un développement économique, environnemental et social harmonieux. Autrement dit, le développement économique doit s’accompagner impérativement de la préservation des ressources naturelles, du  respect de l’environnement, d’un meilleur partage des richesses entre les régions, entre les catégories sociales et entre les individus et  d’une meilleure santé et d’une meilleure éducation pour les citoyens.

L’économie verte est fondée sur l’utilisation rationnelle des ressources, la  protection des écosystèmes, la faible émission de gaz, l’adoption de nouvelles technologies de production non polluantes et le développement des énergies renouvelables.

L’économie verte a fait son apparition comme conséquence des changements climatiques, des catastrophes naturelles, de la raréfaction des ressources naturelles, de l’appauvrissement de la biodiversité et des inégalités grandissantes entre pays riches et pays pauvres.

L’économie verte peut constituer une vision de développement alternative permettant  de créer des industries propres et des emplois de qualité en réduisant les effets des changements climatiques et en préservant les ressources naturelles.

Un modèle de développement basé sur l’économie verte est possible. Il faut, pour cela, opter pour des projets concrets concernant les énergies renouvelables, l’eau potable, l’assainissement, le transport, le traitement des déchets, le tourisme alternatif et les industries non polluantes.
S’il est nécessaire d’adopter une démarche participative avec les principaux acteurs des secteurs public, privé et associatif, il n’en reste pas moins vrai que le rôle de l’Etat demeure capital dans la concrétisation des conditions nécessaires et d’un environnement propice à la réalisation de ces projets : formation des ressources humaines, développement de programmes de recherche et d’innovation, définition de politiques industrielles adéquates, détermination de schémas de financement,…

2 – L’économie numérique

Le modèle de développement alternatif doit également se baser sur l’économie numérique. Il s’agit d’une économie dont les technologies de l’information et de la communication (TIC) constituent le support majeur. Cette économie comporte plusieurs secteurs porteurs notamment le paiement électronique, la sécurité informatique, la programmation, l’électronique appliquée à certaines industries…
Il est admis que l’investissement dans l’économie numérique est de nature à stimuler la croissance économique puisqu’il s’agit d’une économie capable d’offrir des activités grandes utilisatrices de main-d’œuvre qualifiée et à haute valeur ajoutée.

3 - L’économie sociale et solidaire

L’économie sociale et solidaire doit trouver pleinement sa place dans le modèle de développement recherché. Elle doit concilier entre l’activité économique et l’utilité sociale. Elle se compose de l’ensemble des coopératives, des associations et des mutuelles qui doivent prospérer, créer de l’emploi, avoir une rentabilité à la fois financière et sociale et surtout rendre des services utiles aux populations défavorisées et aux régions marginalisées.
Ce qui est certain, c’est que l’instauration d’une économie sociale permet de réduire l’emprise de l’économique sur le social, c’est-à-dire de freiner l’utilitarisme et la frénésie pour le profit  et le gain facile.
Avec l’économie sociale, les critères économiques ne sont plus privilégiés au détriment des critères sociaux et les justifications « économicistes » ne peuvent plus être présentées comme des vérités absolues.
Deux approches de l’économie sociale et solidaire sont à considérer:

  • Une première approche de l’ESS relevant de l’économie classique et selon laquelle toutes les activités économiques de consommation, de production et d’échange restent soumises à une logique marchande et régies par  les lois de l’offre et de la demande. Dans cette approche, les notions de solidarité, de social, d’humain, d’écologie…n’acquièrent qu’une importance secondaire. 
  • Une seconde approche, celle qui rompt avec la logique économique pure caractérisant la première approche et qui se présente comme une alternative dans laquelle le social est largement privilégié par rapport aux exigences de l’économique.

L’économie sociale et solidaire est destinée à créer des emplois et à instaurer un réseau de petites et moyennes entreprises. Elle constitue, de ce fait, un facteur de cohésion et de stabilité sociale. Elle ne peut pas se substituer aux secteurs public et privé, mais les complète pour atténuer les abus du libéralisme sauvage en matière d’inégalités sociales.

En définitive, l’économie sociale et solidaire peut être définie comme étant un ensemble de pratiques et de comportements destinés à contrecarrer les excès de la logique marchande. Il s’agit bien d’un ensemble de valeurs, notamment celles de la solidarité, du partage, de la responsabilité sociale, de la citoyenneté, du développement durable, du respect de la nature et des ressources naturelles.
Dans cette économie sociale et solidaire, il y a lieu de développer la finance solidaire et de l’intégrer dans les circuits de l’économie sociale et solidaire.
Contrairement à la finance classique dont l’unique mobile est la recherche exclusive du profit, la finance solidaire est destinée à mobiliser l’épargne et à l’orienter vers des activités financières et économiques destinées à lutter contre l’exclusion et à renforcer la cohésion sociale et le développement durable. Il s’agit principalement de mobiliser les populations exclues du système bancaire conventionnel autour d’activités financières et ce en mettant à leur disposition des produits financiers conformes à leurs besoins et permettant leur intégration au sein de l’économie.
En Europe, la finance solidaire représente actuellement 7 % du produit intérieur brut et 11 % de l’emploi.
Les principales formes de la finance solidaire qui peuvent retenir l’attention sont :

  • Le microcrédit en provenance des banques ou la collecte de l’épargne solidaire et son intégration dans les circuits de la finance solidaire par l’intermédiaire des ONG et des associations.
  • Les circuits des banques coopératives.
  • Les circuits associatifs et les ONG associés à la micro-finance.

Ces différentes formes de la finance solidaire permettent de financer des projets de l’économie sociale et solidaire et d’améliorer les conditions économiques et sociales des populations pauvres exclues du système de financement conventionnel. Elles s’dressent principalement aux femmes et financent surtout les activités de commerce, de service et d’artisanat s’exerçant dans le secteur informel.
Il y a, en revanche, deux dérives qu’il faut éviter : le risque que la finance solidaire soit dominée par la logique financière au détriment de la logique solidaire et la difficulté à assurer l’équilibre entre la rentabilité financière  et la solidarité.

En définitive, on peut donc dire que l’économie verte, l’économie numérique et l’économie sociale et solidaire ne doivent pas cohabiter, mais se compléter pour servir un modèle de développement en mesure de faire face aux défis majeurs auxquels doit faire face notre pays.

IV – Par quels secteurs la croissance doit-elle être tirée?

Cette question revient à définir les secteurs à privilégier, c’est-à-dire les secteurs d’activités pour lesquels le pays et ses entreprises bénéficient d’avantages comparatifs.
Mais, auparavant il est nécessaire de préciser les deux visions selon lesquelles la définition des secteurs porteurs se fait : la vision libérale et la vision sociale.
La vision libérale selon laquelle  la  croissance doit être tirée par les exportations, faute d’un vaste marché intérieur.  Les choix économiques doivent être conçus en fonction de la satisfaction de la demande externe et souvent au détriment de la demande interne.
La vision sociale dont l’objectif primordial de la croissance est la satisfaction des besoins  économiques et sociaux et ce à travers le développement des secteurs à forte valeur ajoutée et à rentabilité sociale certaine tels que l’agriculture, l’industrie, la haute technologie et le tourisme.
L’agriculture et l’industrie doivent occuper une place de choix dans le modèle de développement à construire.

  • Un intérêt particulier doit être accordé à l’agriculture, étant donné son impact sur l’activité économique et le développement régional. Il s’agit principalement de moderniser le secteur agricole, d’améliorer sa compétitivité et sa rentabilité, de valoriser la production des produits de base, mais aussi l’agriculture biologique, la géothermie, les plantes aromatiques et médicinales et l’aquaculture.
    Il n’est pas sans intérêt de rappeler que la Tunisie était le grenier de Rome dans l’antiquité.
    L’agriculture, qui a souvent été abandonnée, renferme des potentialités énormes en matière d’emploi pour les jeunes. En effet, des programmes de mise en valeur des zones rurales concernant notamment l’irrigation, la petite hydraulique, la reforestation et  la  mise en valeur des terres incultes sont de nature à créer des dizaines de milliers d’emplois. Si le Kenya exporte des fleurs par avion à Amsterdam, la Tunisie, qui bénéficie de sa proximité de l’Europe doit être capable de faire mieux que le Kenya.
  • Dans l’industrie, il est grand temps d’encourager, non pas la sous-traitance, mais les industries innovantes qui ont une haute  valeur ajoutée et qui sont en mesure de résorber une partie importante de la main-d’œuvre qualifiée.
    Il est essentiel d’opter pour une voie permettant de protéger les industries naissantes, subventionner les exportations et d’accorder les crédits nécessaires aux branches créatrices d’emploi et de développement. 
    Dans ce cadre, il est fondamental d’opter pour une stratégie de partenariat avec les pays émergents, notamment les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) qui sont actuellement les moteurs de la croissance mondiale et, à ce titre, constituent de grandes opportunités pour la promotion de l’industrie en Tunisie.

V – De quelle croissance a-t-on besoin?

La croissance économique est une priorité, mais c’est une croissance qui doit être au service du développement. Autrement dit, la croissance dont on a besoin ne doit  pas profiter qu’à une minorité, mais doit générer une amélioration du niveau de vie de la population.
Aussi, dans cette croissance, la priorité doit être accordée, non pas aux équilibres économiques quantitatifs, mais  aux équilibres réels entre les régions, les catégories sociales et les générations.

VI – Pour quel développement régional doit-on opter?

La dimension régionale doit être prédominante dans ce modèle de développement.

Le développement régional est, désormais, la nouvelle priorité qui s’est imposée au lendemain de la Révolution. Il ne doit plus émaner d’un pouvoir central bureaucratique qui impose aux régions les projets et les programmes à mettre en œuvre. Il faut  faire assumer à chaque région sa destinée. Désormais, ce sont les autorités de la région, élues démocratiquement,  qui doivent promouvoir la croissance de leur région.

Il est à préciser que le développement régional ne peut être l’œuvre du secteur privé, puisque celui-ci n’est généralement concerné que par les projets les plus rentables et les moins coûteux, projets qui ne sont pas souvent disponibles dans les régions intérieures du pays.

Il est, par conséquent, clair que le développement régional est, en premier lieu, la responsabilité du secteur public dans le cadre d’une vision de développement claire, d’une bonne gouvernance, d’une allocation optimale des ressources humaines et financières et d’une décentralisation efficace.

VII - Quel nouveau rôle pour l’État?

Contrairement à la propagande libérale, les pays émergents n’ont pu réaliser leur développement que grâce au rôle actif de l’Etat et à ses politiques interventionnistes.

Il est, par conséquent, nécessaire de redéfinir le rôle de l’Etat dans le cadre du nouveau modèle de développement. En effet :

  • D’une part, compter exclusivement sur le secteur public ne peut mener qu’à une situation caractérisée par l’absence de toute initiative privée, les comportements d’assistés, la marginalisation des PME, l’appauvrissement du secteur de l’artisanat et de l’économie familiale.
  • D’autre part, compter exclusivement sur le secteur privé signifie l’abandon par l’Etat de son rôle économique, l’aggravation des déséquilibres régionaux et sociaux, étant donné l’intérêt démesuré du capital privé à rechercher les gains faciles et rapides.

Dans le nouveau modèle de développement, une refondation du rôle de l’État s’impose afin de:

  • Réguler le marché à travers un certain nombre de règles que l’Etat doit définir et mettre en application.
  • Protéger les maillons faibles de la population.
  • Mettre à la disposition du secteur public tous les moyens pour promouvoir le développement dans les régions intérieures.
  • Fournir toutes les incitations au capital national pour investir dans les régions intérieures.
  • Encourager les investissements directs étrangers.
  • Financer les infrastructures de base.
  • Promouvoir la recherche scientifique et technologique.

C’est de cette manière que l’Etat cesse d’être un problème pour devenir une solution.

VIII - Quel rôle doit jouer le secteur privé?

Le modèle de développement doit impulser un environnement favorable au secteur privé qui doit s’engager davantage dans le développement régional et sectoriel.

Le modèle doit renforcer le rôle social du secteur privé ainsi que la responsabilité sociale et citoyenne des entreprises privées, notamment en ce qui concerne l’emploi, la formation, les salaires, les services sociaux, la rationalisation de la consommation d’énergie, d’eau et de produits subventionnés.

IX - Doit-on recourir à l’endettement extérieur?

Dans le modèle de développement, le recours à la dette extérieure doit rester un  recours ultime afin de financer les investissements productifs et non une solution de facilité pour financer les dépenses de consommation et payer les services de la dette.

Les choix pour lesquels le modèle actuel a opté relèvent d’un libéralisme primaire et sont de plus en plus dénoncés, étant donné leurs conséquences catastrophiques sur le plan économique, social, écologique,…

Il faut absolument éviter de tomber dans le piège de l’endettement extérieur, piège qui doit nous rappeler constamment que c’est cet endettement qui a ouvert la porte à la colonisation de la Tunisie au 19° siècle et qui a servi  pleinement comme un alibi  d’hégémonie et d’asservissement des peuples. L’endettement est un créneau idéal utilisé par les institutions financières internationales pour imposer des réformes et des plans d’austérité qui tournent toutes autour de l’obligation de libéraliser davantage l’économie et de la soumettre aux lois aveugles du marché.
En dépit de toutes les contraintes et les pressions  auxquelles il est soumis, notre pays dispose toujours d’une large marge de manœuvre en vue d’atténuer le recours aux dettes extérieures et d’échapper au diktat des bailleurs de fonds et des institutions étrangères. Il s’agit principalement de :

  • Réformer profondément le système fiscal tunisien afin d’améliorer les recettes fiscales de l’Etat,
  • Se doter des moyens nécessaires à l’amélioration du niveau de l’épargne,
  • Lutter contre le commerce parallèle,
  • combattre le banditisme dans les circuits de distribution,
  • se donner les outils suffisants pour attirer les investissements directs étrangers,
  • ramener le déficit courant à un niveau soutenable,
  • assainir le climat social,
  • instaurer la bonne gouvernance dans l’administration et les entreprises publiques.

De telles solutions sont très possibles à réaliser. L’endettement n’est pas une fatalité pour les pays. D’autres peuples ont opté pour des alternatives autres que l’endettement et ont réussi leur émancipation en échappant à l’esclavage moderne du libéralisme sauvage.

X – Quelles réformes doit-on entreprendre?

Les réformes à entreprendre doivent être conformes aux orientations du modèle de développement et répondre aux besoins de développement économique et social de la population et  ne doivent, en aucun cas, être dictées par les institutions financières internationales et les bailleurs de fonds.
Les récentes recommandations du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale illustrent parfaitement cet état de fait :

  • La réforme de la fonction publique qui signifie la compression des salaires et des recrutements,
  • La réforme de la compensation qui n’est autre que la suppression des subventions et donc plus de dégradation du pouvoir d’achat de la population,
  • La réforme des entreprises publiques qui ne peuvent aboutir qu’à leur privatisation,
  • La réforme du commerce qui signifie la libéralisation du commerce extérieur et la soumission du marché local à la concurrence des produits étrangers,
  • La réforme des banques publiques qui ne peut avoir comme conséquence que leur capitalisation ou leur privatisation,
  • La réforme des taux d’intérêt qui ne peut se traduire que par leur augmentation et donc une élévation du coût des crédits accordés à l’économie,
  • La réforme des caisses de sécurité sociale qui n’a pour objectif que  l’accroissement des taux de cotisation et le recul de l’âge de la retraite,
  • La réforme de l’investissement étranger qui vise plus de facilité pour les étrangers de s’approprier le capital national ainsi que la révision du code des investissements et l’octroi de plus d’avantages aux capitaux étrangers,
  • La réforme du code de travail qui n’est autre que la flexibilité pour élargir l’emploi précaire et exploiter davantage la force de travail.

De telles recommandations ne peuvent être imposées à la Tunisie que parce que le recours à l’endettement extérieur offre aux bailleurs de fonds l’occasion de  s’immiscer dans les choix en matière de politiques économiques et sociales internes de la Tunisie.

Les réformes à entreprendre doivent servir le modèle de développement et s’inscrire dans sa logique globale. Elles doivent viser :

  • Une administration moderne, efficace et transparente,
  • Une politique fiscale plus juste,
  • D'importants investissements publics dans les infrastructures afin de créer des emplois et de valoriser les régions intérieures.  
  • Une politique de compensation plus juste, efficace et mieux ciblée.
  • Un système éducatif efficient
  • Une politique fiscale juste
  • Un système de santé efficace
  • Une meilleure redistribution des richesses
  • Une réorientation des activités agricoles afin d’assurer la sécurité alimentaire du pays.
  • Une refonte de la stratégie industrielle.

Conclusions

Au terme de cet exposé portant sur les préalables et les conditions à prendre en considération dans l’élaboration d’un modèle de développement économique porteur, il est utile de rappeler les principales conclusions dégagées:

  1. L’élaboration d’un modèle de développement efficient est une tâche qui incombe aux forces démocratiques et progressistes.
  2. Le modèle de développement doit s’inscrire dans le cadre d’une économie sociale et solidaire. La possibilité d’un développement par le libéralisme est un leurre. Le libéralisme n’a fait qu’impulser une croissance économique au profit d’une minorité.
  3. Dans ce modèle, la croissance doit être tirée par les secteurs à forte valeur ajoutée et doit avoir comme mobile essentiel la satisfaction des besoins aussi bien du marché interne que du marché externe.
  4. La croissance économique doit être au service du développement, c’est-à-dire génératrice d’une réelle amélioration des conditions de vie de la population.
  5. La dimension régionale doit être une composante essentielle  dans ce modèle. Le développement régional doit être l’œuvre des régions dans le cadre d’une décentralisation démocratique.
  6. Le rôle de l’Etat doit être très actif dans la régulation des activités économiques.
  7. Le secteur privé doit trouver toutes les incitations nécessaires avec des entreprises citoyennes assumant pleinement leur responsabilité sociale.
  8. L’endettement extérieur doit rester un recours ultime pour engager  des investissements et non pour financer les dépenses de consommation et les services de la dette.
  9. Les réformes doivent être conformes aux orientations du modèle et  répondre aux besoins du développement économique et social. Elles doivent émaner de la dynamique interne  et ne doivent pas être imposées par les institutions financières internationales.
  10. Il existe réellement des alternatives au néo-libéralisme et à la mondialisation libérale permettant un développement économique et social consistant, équitable et durable.

Mongi Mokadem
Professeur d’économie
à la Faculté des Sciences
Economiques et de Gestion
de Tunis

 

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