Opinions - 17.02.2016

Heikal, mémoire vivante du monde arabe

Heikal, mémoire vivante du monde arabe
  Ecrit par
Chedly Mamoghli
Tunisie -

Evoquer un personnage aussi important, qui a vécu, observé et analysé les  vicissitudes de l’Égypte et de la région n’est pas chose aisée. Mohamed Hassanein Heikal est plus qu’un brillant journaliste, plus qu’un témoin averti d’un monde  en perpétuel mutation, un intellectuel exceptionnel qui ne s’est pas  contenté de commenter et d’expliquer les événements ayant marqué le monde  arabe. Il a su exercer une influence certaine sur les décideurs qu’il a côtoyé de par ses conseils mais aussi ses connaissances des aléas de l’histoire politique des  États de la région et sa maîtrise de la géopolitique du Moyen-Orient.

Il est loin d’être un produit du nassérisme comme certains voudraient le faire  croire. Sa carrière débuta en 1942 dans l’Égypte de Farouk, monarchie parlementaire où le souverain tient les rênes du pouvoir mais où le multipartisme existait et la vie politique foisonnait. Toutefois, un regard sur l’origine sociale et familiale de Heikal s’impose car chacun est le produit de son environnement.

Enfant, il voulait devenir médecin. Sauf que son père ne l’entendait pas de cette oreille, il voulait que son fils reçoive un enseignement religieux à Al-Azhar.
Cependant, sa mère, femme éduquée et moderne qui maîtrise déjà à l’époque la langue anglaise, fut insatisfaite du choix de son époux et profitant de son voyage  au Soudan, elle déscolarisa le petit Hassanein d’al-Azhar et l’inscrivit dans l’école publique Khalil Agha puis dans une seconde école où il eut comme camarade de classe l’écrivain Ihssan Abdel Kouddous, fils de la grande dame de la presse égyptienne Fatma Al-Youssef, fondatrice de la revue politique Rose al-Youssef.

Les personnages ayant marqué cet enfant curieux furent son oncle maternel Salam, propriétaire d’une librairie cairote, c’est ainsi qu’il commença à se familiariser avec les livres et à constituer les prémices d’une culture qui deviendra plus tard encyclopédique. Le gardien de la maison, «Am Hamed», qui dans sa jeunesse fit partie de l’armée du Khédive Ismaïl, lui permit de découvrir l’univers des guerres. Bien des années plus tard, Heikal sera correspondant deguerre.

Le jeune homme aura le grand mérite et ce tout au long de sa vie de constituer sa propre culture, solide et variée à la fois. C’est un vrai autodidacte. Il fut très marqué à l’adolescence par la figure du leader Mustapha el-Nahhas qui dirigea le  Wafd après le décès de Saad Zaghloul.

En février 1942, en pleine Seconde Guerre mondiale le jeune Heikal se jeta dans le bain en intégrant la rédaction de The Egyptian Gazette, le plus ancien journal anglophone du Moyen-Orient, fondé en 1880 et qui continue de paraître. Ce fut une école pour Heikal, il sera toujours reconnaissant à Scott Watson, ce journaliste de gauche ayant couvert la guerre d’Espagne et Harold Earl, rédacteur en chef du journal.Il fit ses premiers pas en couvrant certains faits divers et en menant des enquêtessociales approfondies.

Au mois d’octobre de cette même année 1942, Harold Earl le chargea avec d’autres  confrères de couvrir la Seconde bataille d’El Alamein, bataille décisive entre les  troupes de Lord Montgomery et celles du Renard du désert, Erwin Rommel. De là, débuta son intérêt pour les questions géopolitiques, la stratégie militaire et les grands enjeux régionaux.

En 1944, il rejoignit le journal arabophone Akher Saa, qu’on peut traduire par La Dernière Heure, où il fut surnommé Le magiciendu fait de sa polyvalence. Ce journal fusionna en 1946 avec Akhbar el Youmdes frères Ali et Mustapha Emin.

Il s’illustra à l’époque par son enquête sur l’épidémie du choléra qui fit des  ravages dans un village de la province d’Ach-Charqiya, dans le nord-est de  l’Égypte. Ce travail fera de lui le récipiendaire du Prix Farouk Ier du journalisme arabophone.

1948, il part couvrir la Guerre israëlo-arabe. Suivront la guerre civile grecque qui embrasa tous les Balkans, la série de coups d’Etat en Syrie, l’assassinat de Riadh el-Solh à Amman. Durant ces années, il gardera un œil sur la vie politique  égyptienne et il commença à s’introduire dans les arcanes du pouvoir. En juin 1952, il succéda à Ali Emin en tant que directeur de larédaction de Akhbar el Youm.Le 23 juillet de la même année, les officiers libres renversèrent le Roi Farouk. Dans la  mêlée Nasser lui propose de prendre le contrôle du nouveau journal al Gomhouria, il déclina poliment l’offre et c’est Sadate qui lancera ce journal. Mais le 1er août  1957, il prit la tête du prestigieux quotidien Al Ahram avec pour défi principal  de relancer le journal qui était en chute libre. Il réussit son pari, de 60 000 exemplaires, Al Ahram tirera 350 000 exemplaires. L’édition du vendredi atteint 750 000 exemplaires. Il régna sur le journal durant 17 ans au point que les  marchands de journaux surnommèrent le quotidien Ahram Heikal . Il fonda le premier centre arabe d’études stratégiques, le Centre des études politiques et  stratégiques d’Al Ahram. S’en suivra un autre centre dédié à la documentation sur l’histoire contemporaine de l’Égypte.Il quittera cettemaison en 1974 sous Sadate avec lequel il entretenait des rapports exécrables. Il se consacra à l’écriture,  activité qu’il affectionne et qui débuta par son premier ouvrage sur l’Iran en 1951, après un voyage qui dura un mois dans ce pays.

Il fut emprisonné par Sadate en 1981 avec un certain nombre d’intellectuels et de figures politiques et religieuses égyptiennes. Après l’assassinat du président au  mois d’octobre de la même année, le nouveau raïs Hosni Moubarak libéra tous les  prisonniers politiques dont Heikal. Il proposa ses services à Moubarak mais ce  dernier déclina cette offre, rappelant trop l’époque nassérienne à son avis et  estimant que le penseur veut être l’homme de toutes les époques. Qu’importe,  Al Osteth comme on le surnomme dans le monde arabe avec l’article défini bien  sûr, continuera d’écrire. Ses livres sont des best-sellers. Il cultivera toujours ses  amitiés de par le monde. Son rôle de conseiller et de stratège, il le mettra au service de son ami feu Hussein de Jordanie et d’autres. Aujourd’hui, il rencontre  fréquemment le président Al-Sissi, le journaliste Abdallah Sinawi dira que  Heikal est l’auteur du discours de destitution de Morsi prononcé à l’époque par le général Al-Sissi. Cela reste à confirmer mais ce qui est certain c’est que  l’influence d’al osteth est bel et bien existante. Il demeure très écouté dans une région et dans un monde complexes où les conflits font rage et la compréhension  des enjeux n’est pas donnée à tout le monde.

Longue vie à Mohamed Hassanein Heikal dont les conseils précieux continueront  de nous éclairer la voie et espérons que le monde arabe nous donnera d’autres  penseurs de cette trempe.

Chedly Mamoghli

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