News - 13.03.2013

Centenaire de Habib Achour: Le timonier de l'UGTT

Né le 25 février 1913 - et décédé le 14 mars 1999 -, Habib Achour, syndicaliste d’envergure internationale, aurait bouclé son centenaire cette année. Compagnon de Farhat Hached, fondateur de l’UGTT, il lui succèdera à la tête de la centrale syndicale et en fera, après l’indépendance, un bastion de la résistance contre le pouvoir absolu et de la lutte pour la démocratie et les libertés. D’abord lors de la dévaluation du dinar en 1964 et l’apparition des premiers signes de durcissement de l’Etat-parti, puis et surtout lors du gouvernement de Hédi Nouira (26 janvier 1978), récidivant encore sous Mohamed Mzali. Bourguiba, qu’Achour avait pourtant fortement soutenu à tenir le congrès du Néo-Destour à Sfax, le 15 novembre 1955, pour l’emporter sur Salah Ben Youssef, finira par l’envoyer en prison. Plusieurs fois, en 1965, 1978 et 1985. Leurs relations étaient d’une rare complexité.

C’est ce parcours exceptionnel de Habib Achour que restitue Abdesselem Ben Hmida, dans un ouvrage instructif consacré au «Timonier de l’UGTT». L’auteur a le double mérite d’être à la fois un historien de renom et un proche parent d’Achour, son gendre. Fils de syndicaliste lui-même, originaire comme lui des îles Kerkennah, il avait ouvert les yeux sur cette épopée qu’il a continué à vivre au quotidien. Chargé de publier ses mémoires et ayant eu le privilège d’accéder aux archives de l’UGTT, il a pu ainsi recueillir des documents et des témoignages de première main. Extraits de son introduction.

Habib AchourJ’ai beaucoup hésité avant d’écrire ce livre sous sa forme actuelle, du fait que mon métier d’historien m’impose une rigueur, un certain détachement difficile à réaliser par rapport à une personne particulièrement proche. Certes, mes travaux relatifs à l’histoire du syndicalisme remontent loin dans le temps, ils ont largement précédé mon mariage en juillet 1984, qui a contribué à me rapprocher davantage du leader syndicaliste, dont je suis devenu, depuis, un des plus proches parents.

Ils ont été entamés en 1970, à la veille de la rentrée universitaire 1970-1971, après une entrevue avec la même personnalité, alors secrétaire général de l’UGTT, au cours de laquelle j’ai obtenu l’accès aux archives de la centrale syndicale. Il a fait montre à mon égard d’une grande affection et rappelé que c’était plus un droit qu’il me concédait, du fait du militantisme passé de mon père, qu’une faveur, à un moment de méfiance généralisée dans le pays.

Habib AchourIl n’en reste pas moins, qu’au moins depuis 1984, le statut  de gendre et le renforcement de liens étroits déjà anciens avec ses enfants m’ont propulsé dans une proximité qui me faisait jouir d’une confiance exceptionnelle, et ne pouvaient pas ne pas avoir de répercussions considérables sur ma subjectivité. Le respect dû à un beau-père, le charisme du leader, mais aussi cette bonté spontanée et naturelle qui l’anime influent incontestablement au moins sur son entourage immédiat.

Toutefois, chargé de publier ses mémoires qu’il m’a confiés, je me sens dans l’obligation, à défaut de faire œuvre d’historien objectif, au moins de témoigner, car ses mémoires s’arrêtent en 1981, quelques épisodes de sa vie n’y ont pas été suffisamment présentés et d’autres ont été tout simplement éludés, notamment son enfance, soit par pudeur, soit par souci de ne pas blesser ou minimiser l’apport de personnalités proches.

«Le vieux lion»

Habib AchourTout en veillant à ne pas reprendre les éléments publiés dans ses mémoires parus en 1989, j’espère pouvoir présenter une biographie plus ou moins équilibrée, susceptible de faire mieux connaître un personnage de premier plan de l’histoire et du syndicalisme et du mouvement national tunisiens, mais aussi d’affiner la connaissance de la période coloniale et des aspects majeurs de la vie politique du long règne de Bourguiba, dont il a été tour à tour un compagnon et le principal adversaire. Ce qui retient le plus l’attention de l’observateur, et surtout des intellectuels au contact de cet homme d’action, c’est le lien étroit entre discours et pratique. Homme de conviction, il mène son combat au gré des idées auxquelles il croit fermement. Il n’y a pas chez lui cet écart entre les principes affichés et la lutte quotidienne. Ses engagements sur le plan Habib Achour - Ahmed Sekou Tourésyndical et politique correspondent à des engagements intimes, il allait jusqu’au bout de ses convictions, la peur étant absente de son répertoire. C’est pourquoi, j’ai préféré ce titre à celui de «navigateur à vue» utilisé par la journaliste Souhayr Belhassen, qui a brossé son portrait dans l’hebdomadaire Jeune Afrique, et  qu’elle qualifie souvent de «vieux lion».

Certes, la référence à la mer pour étudier cet insulaire s’impose, mais il me plaît que le qualificatif de timonier s’applique parfaitement à celui qui a longtemps veillé aux destinées de la centrale syndicale nationale tunisienne. En effet, parler de navigation à vue peut signifier négliger une dimension dans le personnage qui remonte à sa formation, surtout au sein de la CGT, qui lui a permis de formuler et d’intérioriser un noyau de doctrine, constitué d’un ensemble de principes, d’objectifs et de valeurs, qu’il a veillé au moins depuis 1944 à ne pas transgresser.

«Il ne s’agit pas de  vaincre dans l’immédiat, mais de rester debout, la tête haute… »

Habib AchourLes textes fondateurs des syndicats autonomes élaborés en 1944 par le bureau syndical provisoire de l’Union des syndicats autonomes, dont il faisait partie, comportent à eux seuls suffisamment de règles de conduite pour qu’on puisse parler sans aucun risque d’erreur de timonier.  Il est vrai que, pour rester dans le monde de la métaphore, le brouillard qui s’est installé dans le pays, suite à la longue maladie de Bourguiba, y a rendu la navigation fort ardue ; et à la barre, disposant d’un équipage ayant connu beaucoup de renouvellement avec le temps, Habib Achour, homme animé de convictions acquises au cours d’une formation à l’époque coloniale, s’interdit un certain nombre de manœuvres qu’il juge indignes. C’est pourquoi certains combats relèvent de l’exemplarité, il ne s’agit pas de  vaincre dans l’immédiat, mais de rester debout, la tête haute, pour susciter des vocations à même de garder le cap.

Habib Achour - BourguibaToute étude de cette personnalité est amenée à se pencher sur un ensemble de questions, dont certaines sont reprises par tout citoyen un tant soit peu intéressé par la vie publique. Quels sont sa formation initiale et son rôle dans cette trajectoire? Qu’est-ce qui lui a permis de devenir un leader charismatique incontesté ? Quelle a été sa contribution à la fondation de l’UGTT ? Quelle part assume-t-il dans les affrontements avec les pouvoirs, colonial, puis post-colonial? Y a-t-il continuité ou rupture dans la gestion des différentes crises auxquelles a été confrontée la centrale syndicale ?

Des constantes peuvent-elles être dégagées, au niveau des valeurs, des principes, des règles de conduite et d’éthique ? Ont-elles été transgressées lors des affrontements avec les autorités? Le sens de la dignité, la primauté de l’intérêt national en toute circonstance, y compris pendant les moments où le recours à la solidarité syndicale internationale s’est imposé et le caractère sacré du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ont-ils été réellement maintenus en dehors de tout marchandage ?»

Traverser le XXème siècle

Habib Achour - Hedi NouiraPour étudier les 86 ans biens remplis de la vie de Habib Achour à travers les différentes mutations opérées au XXème siècle, un plan chronologique s’impose. Dans la première partie, nous allons rappeler les grandes lignes de son enfance et sa formation pour pouvoir étudier sa contribution à la constitution de l’UGTT le 20 janvier 1946, puis suivre les combats sur le plan social et politique qu’il y a menés pendant la période coloniale. Ce qui a permis l’émergence de ce leader, dont la participation à l’édification de l’Etat national a permis de renforcer la position sur la scène politique. La seconde partie sera consacrée à l’épreuve subie en 1964-1965 qui en fera un opposant et valorisera sa quête de l’autonomie syndicale, dont il fera depuis un objectif prioritaire, bien que pas toujours avoué, lors des années qui ont suivi son rappel en 1970 à la tête de l’UGTT par Bourguiba. Ce retour, qu’il a tenu à légitimer par un congrès, lui permet de disposer d’une marge de manœuvre faisant de lui le timonier de l’UGTT ayant le plus marqué le syndicalisme pratiqué dans la Tunisie indépendante.

Quant à la troisième partie, elle commence avec la présentation de son second retour à la direction syndicale en novembre 1981, sans oublier d’évoquer les luttes l’ayant rendu possible, et elle couvre la période qui a précédé son assignation à la résidence surveillée en novembre 1985. La quatrième et dernière partie suivra ce leader confirmé après son éloignement forcé suite à sa mise en résidence surveillée, prélude à son incarcération le 31 décembre 1985, à travers les prisons mais aussi dans sa retraite pour mieux dégager quelques aspects de sa personnalité. Son décès le 14 mars 1999 alors qu’il ne s’est pas départi de son charisme et  a veillé à rester debout et digne jusqu’au dernier moment, contribue à asseoir sa mémoire et nécessite qu’on s’arrête sur ses luttes incessantes pour l’indépendance du mouvement syndical tunisien, qui l’ont amené à revenir dans les prisons, dans lesquelles il a déjà séjourné à l’époque coloniale.

Habib Achour (1913-1993)
Le timonier de l’UGTT

d’Abdesslem Ben Hmida
A compte d’auteur, février 2013, 214 prix 12 DT

 

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