Opinions - 20.10.2008

Une crise de contrôle et d'éthique

Le carnage de ces dernières semaines semble avoir un air irréel, mais les dégâts sont trop tangibles, qu'il s'agisse de la saisie de Fannie Mae et Freddie Mac par leur régulateur, la faillite record de Lehman Brothers, Washington Mutual, le mariage forcé de Merrill Lynch à la Bank of America ou, le plus choquant de tout, le sauvetage d’urgence de l’American International Group « AIG », longtemps l’assureur numéro un mondial, par le gouvernement américain. Cette vague dévastatrice s’est prolongée sur le vieux continent en emportant avec elle la banque belgo néerlandaise Fortis laquelle a entrainé à son tour la banque (belgo-franco-luxembourgeoise) Dexia. 

 
Les prémices de cette déferlante se sont faits sentir à partir dés le début de 2007 lorsque les défauts de paiements sur les crédits hypothécaires se multiplièrent aux Etats-Unis et provoquant les premières faillites d’établissements bancaires spécialisés. Les événements se sont succédés et plusieurs établissements bancaires et financiers ainsi que les marchés boursiers ont été touchés de par le monde. Pour éviter la récession, la Fed a baissé, au début de 2008, son taux de directeur afin de soulager le marché des crédits. Mais ces mesures n’ont pas suffi à éviter la déferlante financière que connaît les Etats-Unis aujourd’hui. Dans son livre « la vérité sur la crise financière », George Soros, « le gourou de la finance » fait remonter l’origine de cette crise au début de la décennie. En effet, selon Soros, la décision de réduire drastiquement les taux d’intérêt aux Etats-Unis a été directement à l’origine de la création de la bulle immobilière. L’éclatement de cette dernière a servi de détonateur à l’explosion d’une véritable « bombe atomique ». L’expansion du crédit, la mondialisation des marchés boursiers, le rythme accéléré de l’innovation financière, … toutes ces tendances à long terme ont été la cause de cette crise.  
 
La crise actuelle est, principalement, une crise de supervision et de régulation
Les experts ne s'entendent pas sur les responsables de cette crise financière (FED, SEC, les politiques, etc…), mais la seule chose sur laquelle ils convergent c’est que la crise actuelle est, principalement, une crise de supervision et de régulation économique et financière. En effet, les turbulences actuelles sur les marchés financiers ont révélé de graves lacunes dans le contrôle et la réglementation des institutions financières notamment en termes de fonds propres et de liquidité dans les institutions financières qui sont au cœur même de la problématique des normes de Bâle II. Ces dernières ont d’ores et déjà fait couler beaucoup d’encre et la littérature ne fait pas défaut, mais dans sa globalité il s’agit d’une norme internationale indiquant le niveau de fonds propres que les banques doivent mettre de côté pour parer à des risques financiers et opérationnels actuels et potentiels. Au stade actuel, Bâle II exige que les banques mettent en réserve davantage de capitaux pour des expositions plus risquées. Ces exigences de fonds propres pourraient être accrues pour les produits structurés complexes et les instruments hors bilan, qui ont été les principales sources de tensions ces derniers mois. Ainsi, la crise financière actuelle doit accélérer l’application des réformes de Bâle II. A ce niveau, le respect des exigences en matière de capital réglementaire et l’adoption de modèles appropriés pour gérer les risques de liquidité et de défaut au niveau des bilans et hors-bilans bancaires mèneront à la maîtrise de la typologie des risques financiers et à la gestion rationnelle des produits structurés de crédits.
 
  
… mais aussi d’éthique
Une autre erreur est à l’origine de cette crise, la faiblesse éthique d'un modèle financier.  Nous pensions, après la crise Enron en 2001, que les acteurs financiers avaient compris l'importance de l'éthique. Mais cet ultralibéralisme a fait l’impasse sur  l’irresponsabilité généralisée et sur des pratiques qui s'apparentent à une véritable « délinquance financière ». Il a cherché à occulter sur  une série d’acteurs qui ont joué un rôle important et néfaste dans cette crise: les courtiers qui ont distribué du crédit à des ménages américains insolvables, les banques d’investissement, les rehausseurs de crédit, les agences de notation et enfin les “hedge funds”: ces fonds spéculatifs sont pour la plupart installés dans des centres off shore et ne sont régis par aucune autorité de surveillance ou de réglementation.
 
L’éthique du financier repose sur la transparence, l’intégrité, le fait  de se garder de tout conflit d’intérêt et de percevoir une rémunération équitable et raisonnable, qui soit en relation avec la performance. Il est scandaleux que des banquiers partent, aujourd’hui avec des “parachutes dorés” de plus de 100 millions de dollars après avoir ruiné leurs clients et leurs actionnaires. On n’avait jamais atteint les montants de bonus que l’on a distribués ces dernières années aux traders sur les marchés.
Pour éviter de telles dérives, il faut des régulations et des réglementations. On gagnerait  aussi à limiter strictement les indemnités versées aux collaborateurs ou aux managers en fonction des résultats. Ainsi, chacun pourrait à nouveau se concentrer sur la qualité objective des opérations auxquelles il travaille au lieu de donner libre cours à sa cupidité ou de courir derrière le prochain bonus.
 
Cette crise requiert ainsi la redéfinition des règles de transparence, de prudence et de communication financière du système financier mondial. Certains experts recommandent même d'encadrer la libre circulation des capitaux et de créer des agences de notation publiques. D’autres, pensent qu’il faut cesser d'avoir une confiance aveugle dans le marché en tant que critère unique de prospérité. Quant à George Soros, il ne voit qu'une solution: « tout le système financier américain doit être repensé ».
 
Mais qu’en est-il de la situation en Tunisie ?
Depuis une vingtaine d’années, les fondations de la surveillance de l’économie tunisienne ont été bâties sur la base d’une démarche prudente dans la fixation de la politique monétaire et de change. Ils prennent en compte les paramètres économiques et financiers du pays tout en considérant les équilibres macroéconomiques fondamentaux et sains et la multiplication des réformes en matière de supervision et de bonne gouvernance du système, économique et financier, national. L’objectif de la politique monétaire nationale est de préserver la stabilité des prix à travers l’utilisation du taux d’intérêt directeur comme instrument de base de régulation. En matière de politique du taux change, on adopte le régime de change flottant (c'est-à-dire que la valeur de la monnaie nationale n’est pas directement dépendante de la valeur des autres devises) mais encadré par la Banque Centrale de Tunisie.
 
Cette dernière veille aussi à la supervision des établissements de crédit et à la préservation de la stabilité et la sécurité du système financier. Elle s’assure, par ailleurs, respect des règles de prudence et garantit la conformité de l’activité des établissements financiers et de crédit aux normes d’audit et de contrôle interne en vigueur.
 
Bien qu’elles paraissent aux yeux de certains trop prudentes voire même rigides dans une économie mondiale libérale, ces politiques ont été saluées à maintes reprises par les institutions financières internationales telles que le FMI  notamment au cours de sa dernière mission de consultation réalisée en Tunisie en juin 2008. En effet, les conclusions préliminaires de la mission de consultation du FMI faisait ressortir que «  la bonne gestion de l’économie et les politiques sociales continuent de porter leurs fruits, notamment à travers une accélération de la croissance, et que les politiques macro-économiques prudentes et les réformes structurelles engagées ont contribué à renforcer d’avantage la capacité de l’économie tunisienne à bien résister aux chocs extérieurs… ». En effet, la crise qui s’est déclenchée sur le marché financier américain ne touchera vraisemblablement la Tunisie que par le biais des échanges commerciaux car « la situation macroéconomique du pays est relativement solide et l’utilisation des produits dérivés sophistiqués par les institutions financières tunisiennes demeure limitée ». Ceci étant la conjoncture internationale difficile pourrait quelque peu ralentir l’activité économique tunisienne mais les perspectives restent encourageantes avec une croissance projetée du PIB de 5,5% en 2008 et 6% en 2009.
 
Pour ce qui est du secteur financier, les risques paraissent limités, dans l’environnement actuel de compte de capital relativement fermé. Mais le système bancaire devrait continuer à se renforcer pour faire face à l’accroissement éventuel des risques au fur et à mesure que notre pays s’intègre davantage dans l’économie mondiale et ouvre progressivement le compte de capital.
Cette crise financière dans les pays développés fournit bien des enseignements sur la consolidation de la réglementation et de la supervision du système financier et de les adapter à l’évolution du secteur financier mondial. Dans ce contexte, le passage aux nouvelles exigences de l’accord Bâle II présente un nouveau défi que les établissements de crédits se doivent de relever. 
Pour l’économie réelle, la Tunisie pourrait être touchée indirectement compte tenu du ralentissement de la croissance économique de notre premier partenaire commercial, l’Europe. A notre avis, cette baisse ne sera palpable qu’à partir du second trimestre de 2009 vu le carnet de commande déjà rempli des sociétés tunisiennes. Par ailleurs, l’amélioration du climat des affaires en Tunisie, la promotion de la destination Tunisie en tant que site d’investissement privilégié, le classement et la notation de la Tunisie par les institutions internationales pourraient renforcer la présence des Investissements Directs Etrangers, un des moteurs de la croissance.
 
Sur le plan boursier, la déferlante de ces derniers jours reste surtout alimentée par la panique des investisseurs et donc liée à des facteurs psychologiques et non conjoncturels. En effet, à l’instar de l’ensemble de l’économie tunisienne, les fondamentaux des sociétés cotées sur la bourse de Tunis restent rassurants. D’ailleurs, en se référant aux désastres financiers en tous genres des ces dernières semaines, le très sérieux journal « Sunday Times » conseille d'investir dans seulement sept pays, dont la Tunisie tous de la région MENA, considérés comme des places boursières stables.
 
Selon l'indice Morgan Stanley Capital International (MSCI) , outre certains pays du Golfe qui ont construit leur hégémonie sur l'or noir, la Tunisie est considérée en plein boom économique et parmi les destinations les plus sures économiquement. Mieux encore, les retours sur investissements dépasseraient de loin ceux du Bric (Brésil, Russie, Inde, Chine). Selon l’auteur de l’article, la Tunisie et le Maroc restent des « exceptions » en Afrique du Nord. Même si relativement protégées économiquement de la crise américaine, ces destinations financièrement « propres » méritent une meilleure promotion.

Morgan Stanley Capital International (MSCI)
MSCI, banque d'investissement newyorkaise, a mis en oeuvre les repères les plus largement utilisés par les investisseurs à l'internationale. Il concerne les économies de 23 pays développés et 27 pays émergents, tâchant de mesurer la performance de leurs marchés boursiers.
 
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