Notes & Docs - 04.05.2009

Les relations entre le Maghreb et l'Afrique subsaharienne

Dans le cadre de cet article, je fais un détour volontaire pour ne pas évoquer l’histoire de l’expansion de l’Islam en Afrique subsaharienne ni l’âpre résistance des berbères envers les arabes et je ne dirai rien non plus des vainqueurs ou des vaincus. Tous ces thèmes ont fait l’objet d’importants travaux accompagnés de bibliographies denses et de références pertinentes. Mon propos s’articule autour de trois points que je considère complémentaires à tout ce qui a été publié. Il s’agit en particulier des relations du Maghreb avec l’Afrique subsaharienne dans la durée, des principales voies de communication entre le Nord et le Sud et de la route Kairouan - Tombouctou.

Concernant le premier point, il est important de signaler que les relations entre le Maghreb et l’Afrique subsahariennes ont existé de tout temps. Le Sahara qui les sépare n’est pas un espace du néant, de l’infini ou seuls les vents de sable pouvaient se déplacer, voyager, dominer cet immense territoire. Toutes  sortes de tribus nomades ont sillonné, parcouru, traversé ce monde d’étoiles et de soleil, de pistes, de grottes, de cascades, d’oasis et d’animaux sauvages. Ces hommes et ces femmes de couleurs mulâtre, bleue ou noire avaient dès le IVème siècle avant J.C. pactisé avec les chameaux idoles du désert et princes des caravanes. Chameau ou dromadaire peu importe, ce maître de l’endurance,  cache au fond de sa mémoire un sens de l’orientation exceptionnel. Sans sa présence aux côtés de ces tribus, le Sahara aurait été inaccessible avant la mécanisation des moyens de transport.

Les traces de ces déplacements nomades sont connues depuis les courants d’influences entre l’Egypte et la Nubie antique, les civilisations capsienne,  carthaginoise,romaine,…, mais il faudrait attendre le XVIIIème siècle pour trouver des sources abondantes, fournies par plusieurs voyageurs arabes et plus tard par les explorateurs européens. En effet, c’est à partir de la fondation de Kairouan  et le début de l’islamisation progressive du Maghreb que la Sahara devient une terre de liaison entre le Maghreb et les régions subsahariennes. Les anciennes routes réapparaissent, de nouvelles routes se multiplient, allant du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, on y dénombre plusieurs couvrant pratiquement tout l’espace saharien.

(Voir Carte I)

S’agissant des voies de communication Nord-Sud, parmi les routes les plus connues, il y a celles qui convergent vers la ville de  Ouergla à partir de Tàhert, Sigilmasa, Tozeur, Kairouan, Zâb, Tlemcen, Tunis, Constantine, Djebel Nefsaoua, Gao, Guyàra, Takeldi, Agadès, Ghana, Tombouctou, …

Cette ville est devenue au Moyen-âge un grand centre maghrébin de commerce avec le Sahara et le Soudan occidental. Les populations pratiquant le rite ibâdite habitant aux alentours de l’Oasis de Ouergla appartenant  à la tribu berbère Zenâta, ont été très entreprenants dans le développement et l’élargissement du commerce transsaharien. Au XIVe siècle, Ouergla est devenue une des plus  grandes portes du Désert par laquelle les voyageurs pouvaient accéder avec leurs marchandises en Afrique noire. Selon Jean-léon l’Africain  (1526), Ouergla « est une ville extrêmement ancienne bâtie par les Numides dans le désert de Numidie ce qui explique son rôle de relais avant l’islamisation du Maghreb.

En effet, Ouergla était déjà une étape importante sur la route des caravaniers entre la Numidie, le Hoggar et la boucle du Niger » .  Par ailleurs, selon le géographe arabe Az-Zuhri, Ouergla a été mentionnée à l’époque du Calife Umayyade Hichem ibn Abd Al-Malik (724-743). C’est à cette époque, écrit-il, que les habitants de cette oasis ont été convertis à l’Islam .

Un réseau de routes couvrant tout le Sahara

Tahert ou Tihert est aussi une autre ville carrefour. Fondée en 761 par Abderrahmen Ibn Rostem, elle devint très vite un centre économique, politique et culturel qui attirait non seulement de nombreux berbères ibadites de toute l’Afrique du Nord, mais aussi des commerçants de Kairouan, de Basora et de Koufa. Ces informations proviennent d’Ibn Sàgir qui note que  « les habitants s’étendirent dans la ville agrandie. Des pays les plus éloignées leur arrivèrent des ambassades et des caravanes. Il n’était pas un voyageur s’arrêtant dans la ville qui ne se fixât chez eux et ne construisit au milieu d’eux, séduit par l’abondance qui y régnait, la belle conduite de l’Imam, sa justice envers ses administrés et la sécurité dont tous jouissaient pour leurs personnes et leurs biens. Bientôt on ne voyait plus une maison en ville sans entendre dire : ceci est un tel de Koufa, celui-là est un tel de Bassora, cet autre de Kairouan, voici la mosquée et le marché des Basriens, celle des gens de Koufa. Les routes menant au Soudan Occidental et aux pays de l’Est et de l’Ouest s’ouvrirent aux négoces et aux trafics. Pendant dix ans environ, la situation resta en l'état, la population ne cessant d’augmenter et les gens de tous les pays y venant pour faire leur commerce » .

Si j’ai évoqué ces deux exemples, c’est justement pour souligner que les routes n’étaient pas isolées les unes des autres, il s’agit plutôt d’un véritable réseau de routes et de pistes, de villes et de bourgades, qui couvre tout le Sahara, c’est ce qui confirme, en fait, la densité des relations à travers le Sahara et indique que cet espace a été un lieu propice au métissage ethnique et culturel,  peut-être aussi à une perception cosmopolite du monde.

Quant à la Route Kairouan- Tombouctou , elle est peut être l’une des plus emblématiques par le fait de la distance qu’elle couvre et par son appartenance à un double mythe : celui de Kairouan, la première capitale musulmane au Maghreb, celui de Tombouctou la ville des mystères, symbole d’un monde qui se croise avec l’imaginaire et qui, grâce à son port,  permet aux commerçants et aux voyageurs de rejoindre le cœur de l’Afrique en suivant le fleuve Niger.

(Voir Carte II)

Avant de décrire cette route, je signale que Tombouctou était reliée à d’autres villes du Maghreb autres que Kairouan telles que Marrakech, Fès, Tlemcen, Oran, Alger, Tripoli… Il s’agit principalement de routes commerciales. Mais l’intention de propager l’Islam était forte chez un grand nombre de voyageurs. La ville de Kairouan était liée à Tripoli, au Caire, Basora, Damas et la Mecque. En fait, on pourrait avancer l’idée  d’une route Tombouctou-la Mecque, où commerçants et pèlerins se rencontraient, traversant ensemble le Sahara et le désert profitant ainsi de la sécurité qu’offraient  les gardes armés des caravanes. 

Il s’agit en fait de divers croisements d’itinéraires qui se rejoignent et se séparent, dessinant ainsi une véritable toile d’araignée. Cependant, ce qui est appelé communément la route Kairouan-Tombouctou est un itinéraire qui prend son départ  de Kairouan passant par Gafsa, Tozeur, Touggourt, Ouergla, Oualer, Abalessa, Tessalit, Adrar, Tàdmekka, Gao, Tombouctou ou bien de Ouergla, en  passant par les villes de Tamanrasset, d’Agades et de Gao.

La première étape, Kairouan-Tozeur-Ouergla est assez connue par les chroniqueurs et les voyageurs de l’époque. Les sources arabes nous renseignent sur une ancienne route commerciale reliant l’Oasis de Ouergla à la ville de Tùzar (Tozeur). Evoquée par Ptolémée, sous le nom de Thusurus, et par la Table de Peutinger sous le nom de Thusurus,  d’après Ibn Hawquel, cette ville était un grand centre commercial qui exportait surtout des lainages. D’après Al Bekri , il y avait une grande production de dattes «  presque tous les jours il en sortait mille chameaux, ou même davantage chargés de ces fruits »

D’autres sources confirment qu’un commerce permanent se faisait entre Tozeur, Ouergla et Gao  en passant par Tàdmekka vers la moitié du IXème siècle. « Pour se rendre à (Tàdmekka) et à Al Qayrouàn ( Kairouan) on marche pendant cinquante jours dans le désert afin d’atteindre Wàrglà (Ouergla) de là Al Quastilya (Tozeur) il y a quatorze journées puis sept journées de Al Quastilya à Al Qayrawàn ainsi que nous l’avons dit ailleurs »

Si on se réfère à Al Idrissi par exemple, ce parcours entre Ouergla et Gafsa à cent kilomètres de Tozeur dure treize jours. Ces nuances sont peu importantes, puisque nous trouvons que cette marche dure généralement environ 75 à 85 jours en fonction du climat et de l’importance de la caravane.

Kairouan et Tombouctou: des relations permanentes

Par ailleurs, Tunis qui devient capitale (1152-1160) après Kairouan sous le règne des Almohades prend le relais et devient le point de départ et d’arrivée de la route Kairouan - Tombouctou. Selon Jean- Léon l’Africain, les habitants de Tunis étaient en majorité tisserands « on fabrique une énorme quantité de toiles absolument parfaites qui se vendent dans toute l’Afrique. Elles sont fort chères, car elles sont fines et solides, les négociants de Tunis allaient souvent à Ouergla en y apportant des produits de Berberie pour les échanger par ceux apportés par les commerçants de la Terre des Noirs » . D’après Al Bakri, cette route suivait l’itinéraire suivant : Tunis, Gafsa, Tozeur, Ouergla, Tàdmekka, Tombouctou…

Selon nos propres recherches, il s’avère que la route Tunis, Kairouan, Ouergla, « pays des noirs » passait également par la ville de Nefta située non loin de Tozeur et de Gafsa. Cette ville était connue par son important commerce avec la Libye.

Cependant, l’étape qui relie Ouergla à Tàdmekka puis Gao et Tombouctou reste à mon avis la principale articulation des routes transsahariennes, elle est certainement la plus ancienne et la plus directe. Tàdmekka est selon M.R. Mauny. « Un centre commercial des plus anciens qui au Sud du Sahara a été en liaison avec le monde méditerranéen : la découverte en ces lieux des chars gravés rupestres montre qu’une voie de pénétration, antérieur existe avant notre ère, venant du Fezzan et aboutissait vraisemblablement au Niger » …

Quant à Ibn Hawkel, il a « parlé aussi de l’or qui affluait en masse de Tàdmekka, ce qui indique qu’à cette époque déjà d’intenses relations commerciales existaient entre Tàdmekka et la ville de Gàna principal centre de commerce de l’or. Nous avons aussi signalé plus haut l’existence dans cette ville d’un centre de traite de noirs. Tàdmekka était à cette époque un Etat gouverné par des rois appartenant au clan de Bam Aànmak qui faisaient parti de la tribu berbére de Sanhagà, c’était donc des Touareg du Sud » .

Comme nous pouvons le constater, ces itinéraires, diversifiés, fragmentés complémentaires ou convergents attestent que les relations entre Kairouan et Tombouctou étaient permanentes, intenses et  qu’elles connurent probablement leur apogée au IXème et Xème siècle.

Reste à savoir ce que transportaient ces caravanes et comment elles étaient constituées.

La caravane était composée de chameaux, d’hommes  et de produits de commerce. Elle voyageait à l’automne et elle prenait son départ à l’aube, se repose pendant la journée pour reprendre l’après-midi. La caravane se compose d’un nombre de chameaux qui varie entre 600 et 1000 pour les plus importantes. Tandis qu’une caravane moyenne se composait de 50 à 350 chameaux.

Elle est dirigée par un « capitaine » ainsi que des guides, des prospecteurs, et des ravitailleurs. Ces derniers jouaient un rôle essentiel, ils programment la distribution de l’eau et de la nourriture aux hommes et aux animaux avec une précision étonnante pour  tenir tout le long du voyage. La sécurité était assurée par des cavaliers et des gardes armés.

L’organisation des longs voyages exigeait au préalable des accords et des contrats de laisser-passer avec les tribus qui acceptaient la traversée de leurs territoires, des conflits surgissaient parfois et demandaient aux propriétaires une grande sagesse et diplomatie. Le principe fondamental et la philosophie  de ces navigateurs du désert était la négociation, toujours la négociation afin d’éviter tout affrontement, l’essentiel étant de préserver l’intégrité de la marchandise et bien entendu de s’enrichir.

Quant aux produits destinés au négoce à l’échange et au commence, il s’agit principalement du tissage de draps, du cuir, de l’ivoire, de l’or, du sel, des épices, des chevaux et chameaux, des manuscrits, des esclaves…
 
En conclusion, il ressort de cette évocation deux observations :

  • Il n’existe pas  de route spécifique transsaharienne, il s’agit plutôt d’un ensemble de fragments de routes qui se complètent et s’additionnent pour former un tout. Chaque fragment reste cependant lié a un territoire identifiable sur le plan  géographique, tribal et parfois sur le plan symbolique.

De ce fait, il n’y a vraiment pas de route exclusive Kairouan -Tombouctou. D’ailleurs les caravaniers pouvaient rebrousser chemin dès la vente de leurs marchandises à la première escale tout en y achetant son équivalent.

Mais cette route devrait continuer à exister pour garder les légendes et l’imaginaire en vie.

  • Loin d’être une barrière ou une zone morte, le Sahara avait sa culture et son histoire propres. Il a permis l’émergence d’une synergie permanente entre le Maghreb et la ceinture subsaharienne. En effet, il y a eu toujours des contacts économiques et culturels qui ont largement influencé l’histoire de l’Afrique.

Ridha TLILI

Bibliographie

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  • Rouch (J) Contribution à l’histoire des Songhoy, Mémoire de l’IFAN- Dakar.
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Lire aussi Kairouan - Tombouctou : la traversée du Sahara

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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