Notes & Docs - 25.05.2010

Afif Chelbi: plaidoyer pour une accélération du partenariat avec l'Europe

J'aimerais rappeler tout d'abord quelques chiffres pour souligner que la Tunisie et l’Union Européenne ont beaucoup évolué depuis 30 ans et encore plus depuis 15 ans. Puis, je parlerais des perspectives à  l’horizon que vous avez fixé, l’horizon 2030.

Plusieurs chiffres clés montrent l’ampleur des changements intervenus en Tunisie, notamment depuis 1995  date à laquelle son Excellence Monsieur le Président de la République a fait le choix courageux de faire de la Tunisie le 1er Pays MEDA à signer un accord d'association avec l'UE (1995) et qui, en dépit des craintes initiales, a été un véritable partenariat gagnant-gagnant :

En effet depuis 1995, les échanges Industriels entre la Tunisie et l’UE ont été multipliés par plus de 5, passant de moins de 4 milliards à plus de 20 milliards d’euros.

Premier site d'implantation au sud de la Méditerranée

De ce fait, plus de 2200 entreprises européennes opèrent aujourd’hui en Tunisie, devenue le premier site d’implantation au Sud de la méditerranée. Le nombre d'entreprises en partenariat est passé de 50/an à près de 100/an (en moyenne chaque semaine deux entreprises européennes s’implantent en Tunisie et cela a continué pendant la crise).

Et il faut ici rendre hommage aux programmes d’appui de l’UE, notamment le PMI, qui à côté du programme de mise à niveau a fortement favorisé cette mutation.

Enfin, entre 1995 et 2009, la Tunisie a vu le nombre de ses étudiants multiplié par 10 passant de 40.000 à 400.000 soit 4% de la population (taux européen). Ce qui impose de nouveaux enjeux pour la Tunisie : créer plus d’emplois pour ses diplômés donc plus d’innovation et de développement technologique pour son économie et ses partenariats.

Mais il faut noter que depuis 15 ans l’UE a aussi profondément changé:

  • Dans sa configuration d’abord, son regard s’est plus tourné vers les pays de l’Est, même si depuis quelques années, et pour des raisons objectives, il y a eu un certain regain d’intérêt pour le Sud
  • Et surtout, l’irruption exponentielle de l’Asie et son impact sur les systèmes productif européens.

En effet, en 1990, les PIB de la Chine, de l’Inde de la Corée du Sud et de l’Indonésie  étaient inférieurs à celui de l’Italie.

En 2009, le PIB de la Chine à elle seule était supérieur à celui de l’Allemagne, et le PIB de chacun de ces trois autres pays asiatiques était supérieur à celui de la France.

De ce fait, l’année dernière, et pour la première fois, la part des pays émergents dans la production industrielle mondiale a dépassé 50%. L’Europe a connu depuis 30 ans une désindustrialisation massive, sa part passant de plus du tiers à moins de 15 % avec la perte de plus de 20 millions d’emplois industriels.

Le déclin industriel touche aussi les Etats Unis, je lisais un article à propos de la ville de Detroit intitulé « Du désert industriel à la friche agricole » et indiquant que cette ex capitale de l’automobile ne sait plus quoi faire de ses milliers d’hectares de zones et bâtiments industriels abandonnés et songe à les convertir en terres agricoles.

Les relais de croissance se trouvent aujourd'hui au Sud

Je citerais également, à propos du différentiel de croissance Nord – Sud, une métaphore reprise d’un grand journal économique français que je trouve significative, car nous ne trouvions pas ce type de raisonnement en Europe il y a seulement quelques années: «Tous ces grands processus structurants restent presque immobiles pendant très longtemps comme le sable qui remplit une benne ne bouge pas alors que la benne se redresse lentement. Mais, une certaine inclinaison étant atteinte tout bascule. Faut-il dix ou vingt ans pour que la globalisation bascule, la différence de croissance entre le Nord et le Sud finissant par mettre à distance le Nord sans que ce dernier soit invité à partager le fruit de cette croissance».

Tant il est vrai que c’est au Sud aujourd’hui que se situent les relais de croissance et le respect des équilibres macro-économiques.

Il y a trente ans le FMI intervenait au Sud avec ses Plans d’Ajustement Structurels, aujourd’hui il intervient en Europe.

Lionel Zinzou responsable de Rothchild  et conseiller du Bénin est plus direct  s’adressant aux Européens : « si vous gériez votre capitalisme aussi bien que nous gérons notre développement vous n’handicaperiez pas notre croissance, car nous, pays du Sud, commençons à avoir des entreprises globales, qui partent de chez nous pour acheter des actifs chez vous.

Comme le cas d’un industriel tunisien qui dit :

On va faire des investissements en Europe, on va acquérir les connaissances, on va délocaliser une partie de la production, celle dans laquelle on est meilleurs, et au fond, nous sommes la deuxième chance de l’Europe. Et en même temps on leur donne un atout, parce que franchement c’est plus facile de faire entre la France, l’Italie et la Tunisie, si on veut globalement être compétitifs contre la Chine …».

En fait, la réalité de cette percée asiatique est palpable partout.

Je visitais une petite usine agro-alimentaire au fin fond du Sud tunisien et le jeune promoteur me parlait de ses va-et-vient fréquents à Shanghaï pour acheter ses équipements comme s’il s’agissait de l’avenue de Carthage ou d’une foire européenne.
De ce fait, plusieurs économistes notent que : Si l’Europe ne veut pas devenir, à terme,  un continent sans usines, son avenir dans ce secteur est lié au renforcement de ses liens avec les pays de proximité tels que la Tunisie.

La Crise, une opportunité historique de renforcer les relations Nord-Sud

Ainsi, contrairement à certaines idées reçues, lorsqu’une entreprise européenne s’implante en Tunisie, elle pérennise dans la majorité des cas, l’emploi en Europe.

Et ce ne sont pas des paroles en l’air, les données globales et les centaines de cas de partenariat  illustrent bien cette idée.

Plusieurs témoignages illustrent parfaitement que les entreprises européennes implantées  en Tunisie tirent une partie de leur potentiel de croissance de leur site tunisien.

A ce titre, cet exemple d’entreprise parmi beaucoup d’autres illustre parfaitement ce constat : il s’agit d’une société industrielle française : En 2004, elle avait 50 emplois en France et était soumise à une vive concurrence. Pour faire face à ses difficultés, elle a crée une filiale en Tunisie et a maintenant 700 emplois en France et 500 en Tunisie.

Cette dynamique a engendré 240.000 emplois crées par les entreprises européennes installées en Tunisie. Mais, ces 240.000 emplois créés en Tunisie ont permis de créer ou de pérenniser un grand nombre d’emplois en Europe, la meilleure preuve provient donc de centaines d’exemples tels que celui que je viens de citer mais également des chiffres macroéconomiques :

Ainsi les exportations tunisiennes vers l’UE ont certes été multipliées par 5 entre 1995 et 2009 atteignant près de 11 milliards d’€, mais les importations tunisiennes en provenance de l’UE étaient multipliées par 3 avoisinant les 13 milliards  d’€ en 2009. 
Et par conséquent, si aujourd’hui, comme il y a 30 ans, la Tunisie a toujours besoin de l’Europe, l’Europe a quant à elle beaucoup plus besoin du Sud en général et de la Tunisie en particulier pour faire face à l’émergence des pays asiatiques.

En fait, si la crise a induit des pressions fortes à court terme, elle offre une opportunité historique de renforcement des relations Nord- Sud.

Ainsi, tout en exprimant aujourd'hui ma grande satisfaction pour l'excellence des relations entre la Tunisie et l'UE qui sont, comme je l'ai déjà mentionné, solides et empreintes de la plus grande amitié, je considère que les défis imposés  à l'entreprise tunisienne comme européenne nécessitent l'accélération de la dynamique de partenariat.

D’où la nécessité pour la Tunisie et pour l’Europe d’une nouvelle étape dans notre partenariat : l’accès au statut avancé.

En effet, si nous nous projetons en 2030 les simples données démographiques comparées font que l’euromed avec près d’un milliard d’habitants dans 20 ans, voir l’euromed- Afrique avec plus de deux milliards d’habitants sont les ensembles pertinents si notre région veut compter dans la mondialisation face aux autres ensembles régionaux américains et asiatiques.

Pour une profonde mutation de la vision du Sud par l'Europe

Cela implique une mutation profonde de la vision du Sud, et du Maghreb en particulier, de la part de l’Europe d’une vision de court terme qui ne se contenterait plus d’y rechercher pétrole, gaz et rempart contre le terrorisme et les flux migratoires à une vision prospective et je dirais réaliste qui regarderais le Maghreb comme un relais naturel de développement pour les économies européennes en quête de croissance ( une vision prospective qui rejoindrait en somme le slogan de la campagne que nous menons en Europe depuis plus d’un an : looking for growth ? think Tunisia ).

Une telle vision suppose des initiatives ambitieuses en termes d’IDE, de transfert de technologie et de liberté de circulation : Un deal gagnant - gagnant : Energie, sécurité, bassins d’emplois contre partenariats, investissements et technologies.

La zone euro med  se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins : soit elle s’intégrera davantage et prendra pleinement sa place dans la nouvelle Division Internationale du Travail qui s’annonce ; soit, pour reprendre les termes du cercle des économistes, elle deviendra la région prolétaire de la nouvelle économie mondiale.

2030, c’est demain matin et les décisions qui seront prises ou qui ne seront pas prises au cours des quelques prochaines années au Nord mais aussi au Sud, au Maghreb notamment où nous avons grand besoin de nous intégrer comme l’a fortement souligné le dernier congrès maghrébin organisé par l’UTICA, ces décisions à court terme donc conditionneront dans une large mesure la situation de notre zone en 2030 tant il est vrai que dans de nombreux domaines comme la formation, l’environnement, les choix technologiques, les temps de maturation sont longs.

Aussi, les instituts organisateurs de ces entretiens de la Méditerranée, de par leur entregent, ont un rôle important à jouer pour sensibiliser les décideurs sur l’urgence des décisions à prendre pour notre région surtout que, il faut le dire, le processus institutionnel de l’UPM, n’est pas au mieux en ce moment, mais la Tunisie s’y associe toujours, malgré tout, car il est dans le sens de l’histoire
   
Pour conclure, permettez-moi, de vous faire part de ma conviction que la période future verra une accélération de notre  partenariat avec l’Europe pour toutes les raisons objectives que j’ai signalé.

Extraits du discours prononcé par M. Afif Chelbi, Ministre de l'Industrie et de la Technologie, mardi 25 mai aux  "ENTRETIENS DE LA MEDITERRANEE" organisés par  L’IPEMED, L’IACE et L’IEMED
Les intertitres sont de la rédaction

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1 Commentaire
Les Commentaires
A.Tekaia - 09-09-2010 16:13

Un bon plaidoyer pour un engagement plus fort entre le nord et le sud (méditerranéen).Il est vital si on ne voulait pas sombrer en douceur. Mais où sont les pays du maghreb dans toute cette agitation?ils ronflent de sommeil profond et risquent de passer à un stade de coma avancé et ce sera trop tard ,car il y a une réelle chance aujourd'hui d'attraper les pays développés en un peu de temps (comme l'ont fait d'autres), et par la même occasion c'est une chance pour résoudre chacun ses problèmes (chômage,démographie,inflation,...) et enfin une chance aussi de renter dans l'ère de technologie.

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