Opinions - 05.12.2012

Budget 2013 : Un Budget « normal » pour des temps exceptionnels !

Les outils classiques de la politique économique sont-ils pertinents pour les moments exceptionnels ? Est-ce que les instruments de l’action publique dans les temps de crise ou les grands moments de transition des régimes politiques sont crédibles et peuvent produire leurs effets en matière de relance de l’investissement, de la croissance et de l’emploi ? Ou faudrait-il lors de ces moments atypiques dans le déroulement du temps politique et économique sortir des recommandations classiques de la politique économique et ouvrir une ère d’expérimentation et d’innovation dans le domaine des politiques publiques ? A ce niveau, les avis divergent. Prenons l’exemple de la grande crise des années 1930, l’avis général chez les économistes était que les politiques monétaires étaient suffisantes pour faire face à la détérioration de la conjoncture économique. Mais, trop rapidement on s’était rendu compte que l’on était en présence d’un phénomène beaucoup plus structurel et qui exige des réponses nouvelles et différentes. C’est de cette manière que le keynésianisme a supplanté la pensée économique traditionnelle et que les politiques de relance budgétaire ont rapidement remplacé les politiques monétaires et ont permis aux économies occidentales de sortir de la plus grande crise dans l’histoire du capitalisme.

Cette question s’est aussi posée aux lendemains de la crise des subprimes à l’automne 2008. Alors, que jusque-là la contre-révolution classique alliée au néo-keynésianisme dans le cadre d’une synthèse molle avait défendu la neutralité des politiques économiques, l’ampleur de la crise a été à l’origine d’un changement majeur de paradigme et à un retour des recettes de Keynes, le maître de Cambridge. Ainsi, le sauvetage des banques et la relance de la croissance économique sont devenues les grandes priorités des pouvoirs publics qui ont usé des politiques monétaires expansionnistes ainsi que des politiques de relance budgétaire afin d’échapper à la déflation et de remettre l’économie sur le chemin vertueux de la croissance.

Ces questions se posent au moment où le débat public bat son plein en Tunisie sur le nouveau budget 2013 présenté par le gouvernement et qui sera discuté dans les prochains jours par l’Assemblée nationale constituante. L’interrogation sur la pertinence des outils de la politique économique est justifiée dans la mesure où la transition politique que connaît la Tunisie depuis la révolution du 14 janvier 2011 est un moment exceptionnel. En effet, ce moment constitue une rupture majeure avec l’histoire politique et économique de notre pays marquée par l’autoritarisme et la faillite du modèle de développement économique. Par ailleurs, cette révolution ouvre une longue période historique de transition marquée par l’incertitude et l’indétermination. Comme les grandes crises dans l’histoire économique contemporaine, cette transition par son ampleur et son impact économique avec la plus grande dépression économique dans l’histoire de la Tunisie indépendante, la chute de l’investissement et un accroissement sans précédent du chômage pose d’importants défis aux outils de la politique économique traditionnelle.

Pour répondre à cette crise économique majeure, les pouvoirs publics ont cherché à opérer un important changement de cap en matière de politique économique afin de faire face à la récession et à une plus grande demande sociale. Ainsi, les autorités monétaires ont défini une nouvelle politique plus expansionniste afin de faciliter l’accès au financement et d’éviter l’assèchement de l’économie. Cette politique monétaire a été renforcée par une politique budgétaire de relance et l’investissement public est venu parer à la forte baisse de l’investissement privé. Cet effort de relance sera particulièrement marqué lors de la loi de finances complémentaires en 2012 et passera de 4,7 milliards de dinars en 2011 à 6,4.

La nouvelle loi de finances s’inscrit dans cette même dynamique et l’option pour les outils traditionnels de la politique économique pour relancer l’économie se trouve confirmée. Certes, la politique monétaire a connu quelques ajustements depuis quelques semaines suite à la hausse de l’inflation. Mais, la loi de finances maintient l’effort de relance par le budget de l’Etat. Certes, les dépenses d’investissements sont moins élevées que lors de l’année 2012 et se situent autour de 5,5 milliards de dinars ce qui représente une baisse de l’ordre de 14,1%. Cependant, ce niveau reste élevé et dépasse celui de 2011. Par ailleurs, les dépenses de fonctionnement ont connu une importante hausse par rapport à celles prévus dans le budget complémentaire de l’année 2012 et passent de 14,7 milliards de dinars à 16,9 milliards ce qui représente une hausse de près de près de 14,8%. Ce sont les dépenses courantes, avec 9,7 milliards de dinars, et celles de subventions, avec 5,7 milliards, qui représentent les parts les plus importantes des dépenses de l’Etat dans ce budget 2013. Les dépenses s’élèveront en 2013 à 26,6 milliards de dinars ce qui représente une hausse de près de 5,6% par rapport à l’année précédente. Il s’agit bien d’une politique de relance par la demande et le projet de budget pour l’année 2013 s’inscrit bien dans la même logique des budgets post-révolutionnaires. Cependant, ce budget se distingue par rapport à l’année 2012 à la loi de finances complémentaires dans la mesure où les dépenses courantes et par conséquent la consommation privée deviennent la locomotive de la demande au détriment de l’investissement. Ce choix s’explique par les pressions sociales de plus en plus fortes dans cette période de transition et sera à l’origine d’une plus grande fragilisation des grands équilibres macroéconomiques. 

Ces dépenses seront équilibrées par un accroissement des recettes fiscales qui seront autour de 16,6 milliards de dinars. Parallèlement, on enregistre également un accroissement de l’endettement qui atteindra 6,8 milliards de dinars pour équilibrer le budget de l’Etat en 2013.

La question qui se pose alors est de savoir si ce budget de l’Etat et le type de relance proposé est soutenable ? Il faut également se poser la question sur l’impact économique de ce budget et sa capacité à assurer une reprise de la croissance et de l’emploi ? En d’autres termes, il s’agit pour nous de voir la pertinence des outils traditionnels de la politique économique dans les périodes de transition et leur capacité à remettre l’économie sur la voie de la croissance et de l’emploi.

D’abord, il faut souligner que cet effort de relance a été à l’origine d’une plus grande fragilisation de la situation macroéconomique. Ainsi, les derniers chiffres du FMI montrent une forte hausse de l’inflation qui est passée de 3,5% en 2011 à 5% selon les prévisions de 2012, ce qui a justifié les ajustements récents de la politique monétaire. Par ailleurs, le déficit budgétaire a grimpé rapidement pour passer de 3,5% à 7,1% durant la même période. Cette relance a été également à l’origine d’une détérioration des comptes extérieurs et le déficit du compte courant est passé durant la même période de 7,3 à 7,9%. Ces contraintes macroéconomiques ont été à l’origine d’une hausse de l’endettement externe de l’économie qui passera de 50,2% du PIB à 54,6% entre 2011 et 2012 et devrait atteindre 57% en 2013. Par ailleurs, la dette publique grimpera de 44,4% à 46,3% entre 2011 et 2012 pour parvenir à près de 57% en 2013. Clairement la politique de relance a été à l’origine d’une fragilisation des grands équilibres et l’usage des outils traditionnels de la politique économique n’est pas soutenable dans la mesure où il entraine une détérioration de la situation macroéconomique. Cette détérioration sera encore plus marquée et les pressions inflationnistes plus fortes avec le changement de cap dans la relance par la demande et l’accent mis sur les dépenses courantes et la consommation par rapport à l’investissement.  

L’autre question est de savoir si cette relance est pertinente et si les outils traditionnels de la politique économique permettent de sortir l’économie de sa dépression. Certes, l’économie tunisienne connaîtra, selon les prévisions, une amélioration en 2012 où la croissance sera de 2,7% et cette tendance se poursuivra en 2013 avec une croissance qui devrait se situer autour de 3,5%. Mais, cette dynamique reste faible par rapport aux besoins de l’économie et particulièrement pour une reprise forte de l’emploi qui reste le plus important défi de la transition économique en Tunisie.

Depuis le 14 janvier, les pouvoirs publics ont opté pour une relance économique pour sortir l’économie de la dépression et la remettre sur les rails de la croissance. Une politique monétaire expansionniste et une relance par la politique budgétaire ont été au cœur du dispositif de politique économique mis en place. Cependant, les résultats de ces choix ont été jusqu’à présent été faibles. En effet, non seulement la reprise n’a pas été à la hauteur des défis mais elle a été à l’origine d’une plus grande fragilité des grands équilibres macroéconomiques. D’où les questionnements sur la pertinence des politiques économiques traditionnelles mises en place jusque-là. Et, ces limités doivent ouvrir une période de grande expérimentation et d’innovation en matière de politique économique. D’ailleurs, les périodes de crise et de grand chambardement politique et économique sont des moments de grande effervescence intellectuelle et politique.

Face aux difficultés des politiques de demande, il nous semble qu’il est utile de les renforcer par un volet conséquent dans le domaine de l’offre. Cet effort doit viser prioritairement les entreprises et chercher à relancer l’investissement privé. Car jusque-là, cet effort manque et il sera essentiel de s’assurer sa contribution dans la relance de la croissance et dans le changement progressif du modèle de développement économique. La timidité de l’investissement privé n’est pas une question nouvelle en Tunisie. Par ailleurs, cette faiblesse de l’investissement privé n’est pas propre à notre pays et beaucoup d’études ont montré sa grande défiance sous les régimes autoritaires particulièrement devant le recul du droit et la montée de la corruption et du népotisme.
La période de transition a été marquée par un plus grand recul du secteur privé. Les difficultés héritées du passé, même si on peut souligner certaines améliorations du fait de la disparition des grandes figures du régime déchu, ont été renforcées par l’apparition de nouveaux défis avec notamment l’indétermination et l’incertitude qui règnent depuis le 14 janvier. Par ailleurs, cette période de transition a été marquée par une montée du militantisme syndical et politique et des revendications sociales. L’incertitude et les mobilisations n’ont pas encouragé le secteur privé pour sortir de sa léthargie ce qui a entraîné une forte augmentation du chômage.

Les économies en transition se trouvent face à un effet de ciseau qui rend la reprise difficile. Les effets limités de la demande et l’atonie de l’offre sont au centre d’une récession qui n’est pas prête de s’estomper en l’absence de politiques novatrices et de choix déterminés. Certes, c’est la demande qui a été privilégiée dans un premier temps dans l’espoir que l’action des pouvoirs publics puisse entraîner dans sa dynamique l’investissement privé. Or, les limites de ce choix doivent encourager à s’attaquer à l’offre et à sortir le secteur privé de sa léthargie pour reprendre goût à l’investissement et au risque. Mais, cette démarche ne sera pas facile et exige une action vigoureuse et déterminée. C’est d’un choc que nous avons besoin pour relancer l’investissement privé. A ce niveau, les pouvoirs publics peuvent utiliser l’outil fiscal et opérer d’importantes réductions d’impôts en faveur des entreprises qui s’engagent à prendre des risques et à opérer des investissements et à créer des emplois. Ce choc d’investissement consiste en un contrat à passer avec le secteur privé où les crédits d’impôt se feront en contre-partie d’importants efforts d’investissements.  

Le renforcement de la relance de la demande par une politique déterminée du côté de l’offre est nécessaire. En effet, l’investissement privé présente un avantage important par rapport à l’investissement public dans la mesure où la décision est beaucoup plus rapide à prendre et son exécution demande des délais beaucoup moins longs. La rapidité de ces actions est un élément essentiel dans la période de transition dans la mesure où la demande sociale et le chômage exercent de fortes pressions et font perdurer l’instabilité politique et sociale.

Il est plus qu’urgent de s’intéresser à l’offre et de s’inspirer d’expériences d’autres pays qui ont réussi à relancer l’investissement dans des périodes de grandes crises et de déterminer par conséquent les mesures qui pourront avoir les effets les plus incitatifs. Mais, cette action aura des effets négatifs à court terme et contribuera à un creusement du déficit public. Cependant, le déficit reste pour l’instant relativement limité et ses mesures devront à moyen terme favoriser une reprise de la croissance et un relèvement des recettes fiscales. Mais, ces mesures fiscales laissent entière la question de la réforme fiscale dont le chantier doit être ouvert au plus vite pour favoriser le développement d’une fiscalité plus juste et plus efficace pour donner les moyens d’action aux pouvoirs publics. 

Mais, il serait naïf de croire que l’outil fiscal pourrait à lui seul lever l’indétermination et rassurer le secteur privé pour reprendre goût au risque. Ces mesures fiscales doivent être renforcées par des mesures politiques qui pourraient réduire l’incertitude et aider les investisseurs privés à reprendre confiance et à reprendre leurs projets d’investissement.

L’examen du budget doit nous donner l’occasion pour réfléchir sur l’impact des outils et des instruments de politique économique dans la relance de la croissance et de l’emploi dans cette période de transition. Les limites de ces actions doivent favoriser l’inventivité des décideurs et leur capacité à sortir des politiques « normales » ou traditionnelles et définir de nouvelles actions pour les temps exceptionnels que nous vivons !

Hakim Ben Hammouda

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