Opinions - 19.09.2012

De Tunis à Khartoum, la chute …

On connaissait la proximité idéologique d’Ennahdha avec le Cheikh Hassan Tourabi, tous deux se réclamant d’un islamisme qu’ils disent modéré. Ce qui n’a pas empêché le second d’étendre – sous la dictature de Jaafar Al Nemeyri dont il fut l’allié – l’application de la chariâa à tous les soudanais, chrétiens compris. Précipitant ainsi son pays dans une guerre civile de vingt ans, qui s’est achevée par sa scission en 2011, année de notre révolution.

Et voilà que notre pays se retrouve une année plus tard logé à la même enseigne que le Soudan ! Pas encore un état terroriste certes, nos dirigeants n’étant pas sous le coup de mandats d’amener internationaux. Mais déjà plus un pays fréquentable, que le gouvernement américain qualifie d’insécure et dont il déconseille la visite à ses citoyens, et a fortiori à ses investisseurs. Les martyrs de la révolution, tombés pour le droit à un emploi et à la dignité qu’il procure, apprécieront ce coup de pied aux investissements que les salafistes leur offrent en guise de cadeau posthume.

Des salafistes qui seraient bien inspirés de méditer le fait qu’aux dernières nouvelles, aucune manifestation anti-US n’ait encore eu lieu dans les pays de leurs rêves. Ni à Jeddah ni à Ryadh, ni à Doha d’ailleurs. Les américains seraient-ils donc en odeur de sainteté dans ces lieux ? A moins que saoudiens et qataris ne soient également insensibles aux atteintes indignes portées par un film ordurier contre les musulmans et leur Prophète?

Ni l’un ni l’autre en vérité. Les dirigeants saoudiens, tout comme les qataris, sont tout simplement soucieux des intérêts de leurs pays, qu’ils entendent protéger. Ils laissent donc à d’autres – plus naïfs qu’eux – le soin d’exprimer par la violence le ressentiment à l’égard d’un brûlot dont l’unique fonction était de déchaîner les passions des musulmans et de les pousser à dégrader eux-mêmes leur propre image. Mission accomplie à cet égard pour Mr Sam Bacile, personnage qui n’a d’ailleurs jamais existé : son plan diabolique aura réussi au-delà de toutes ses espérances.

Mais laissons là les salafistes, qui ne sont qu’un leurre. Espérer ramener à la raison des gens dont l’idéal de gouvernement est celui du mollah Omar tient au mieux du rêve, au pire de la supercherie. On peut en revanche – et on doit – s’étonner de l’apathie, sinon de la complaisance, dont leurs exactions bénéficient au plus haut sommet de l’état. On peut s’étonner que ce gouvernement et  ce parti, arrivés au pouvoir avec la bénédiction US, et qui nous promettaient capitaux et merveilles en provenance des Etats Unis et du Golfe, laissent aujourd’hui faire sans sourciller des actions si contraires à nos intérêts nationaux. D’autant que la dernière en date était non seulement prévisible, mais également annoncée. Elle eût donc été parfaitement maîtrisable sans violence excessive, et sans morts !, si elle avait été gérée à temps par des forces de l’ordre plus nombreuses, mieux préparées et porteuses d’ordres clairs. Elle eût pu ne donner lieu qu’à une expression de protestation, normale en démocratie, pour peu qu’elle préserve l’intégrité des personnes et des biens placés sous la protection du gouvernement. Elle eût pu ... si ce dernier l’avait voulu ainsi, et s’il avait fait en sorte qu’il n’en soit pas autrement.

Mais il n’en a rien été, comme toujours lorsque les salafistes sont à la manœuvre. Les forces de l’ordre se contentent alors du  rôle de spectateur, n’intervenant qu’en dernière extrémité, lorsqu’il est déjà trop tard. Elles éprouvent ensuite le plus grand mal à arrêter les coupables, et quand  elles y parviennent, ceux-ci n’écopent que de peines symboliques prononcées par une justice qui sait pourtant faire preuve de plus de sévérité, lorsqu’il s’agit de journalistes ou d’un doyen de Faculté.  La rhétorique pro-gouvernementale entre in fine en action pour faire porter le chapeau à d’autres. Tantôt à la presse et à l’opposition qui exagèreraient les faits, somme toute mineurs et anodins, et ne relevant que de la liberté d’expression. Tantôt à l’ancien régime qui serait responsable des turbulences finalement excusables de ces braves petits, puisqu’il a tenus à l’écart des bienfaits de l’éducation nahdhaouie qui en aurait fait des citoyens modèles. Et cette fois, c’est l’auteur de la provocation qui serait le principal coupable des réactions violentes qu’elle a suscitées … Comme si le b-a-ba de la politique ne consistait pas justement à éviter de tomber dans les pièges tendus par les provocateurs.

Et c’est là qu’il faut revenir au Soudan. Les exactions des milices janjawid qui, en semant la terreur dans les villages du Darfour, avaient conduit leurs populations à voter à plus de 99% pour l’indépendance du Sud, étaient elles aussi réprouvées par les autorités soudanaises. Qui les laissaient faire néanmoins sans les réprimer, sans faire appliquer la loi, sans protéger ses citoyens victimes de leurs agressions et de leurs massacres. Et qui en même temps criait au loup en rejetant la responsabilité sur d’autres, tantôt la presse étrangère et les ONG humanitaires, tantôt les gouvernements occidentaux ou les organisations internationales.

Il n’est pas utile de pousser plus loin les parallèles, nous n’en sommes – grâce à Dieu – pas encore là. Mais faudra-t-il attendre d’en arriver là pour réagir et tenter de redresser la barre, au risque que le pire ne soit déjà consommé ?

Mohamed JAOUA
(*) Universitaire

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1 Commentaire
Les Commentaires
Fakhfakh Abdelfatteh - 20-09-2012 12:03

Bravo pour cet excellent article, ô combien écrit...c'est rare, de nos jours, nom de D..., mais laissons ça de côté, tu écris "Les martyrs de la révolution, tombés pour le droit à un emploi et à la dignité qu’il procure, apprécieront ce .." .Mohamed, mon ami..Tu as des nouvelles des martyrs?!

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