News - 20.12.2023

Tunisie: Une nouvelle approche pour surmonter la crise de l’élevage

Tunisie: Une nouvelle approche pour surmonter la crise de l’élevage

Ridha Bergaoui - En Tunisie, depuis quelques années, le secteur de l’élevage passe par d’importantes difficultés. Le réchauffement climatique et son lot de sécheresse et de chaleur, la crise du Covid et la guerre en Ukraine ont gravement menacé l’élevage et la disponibilité des productions animales. Aucune filière n’a été épargnée. Aussi bien le secteur laitier, que le secteur des viandes et des œufs ont été gravement secoués.

Parmi les raisons principales de ce bouleversement, on retrouve l’augmentation des prix des facteurs de production comme le carburant, main d’œuvre, produits de traitement et surtout le problème des aliments du bétail. Ces derniers ont connu des augmentations successives importantes qui ont fortement fait croitre les couts de production. De son côté, l’Etat, afin de combattre l’inflation et protéger le consommateur, procède à la fixation des marges et des prix de vente au consommateur. L’éleveur se trouve entre l’obligation soit de vendre à perte soit de réduire son troupeau en attendant des jours meilleurs ou d’arrêter simplement son activité, de liquider son cheptel et d’abandonner l’élevage.

Cette situation a conduit inévitablement à la réduction de l’offre, la désorganisation des circuits de commercialisation et l’augmentation des prix de vente au consommateur. Celui-ci connait depuis quelque temps une détérioration de son pouvoir d’achat avec une inflation galopante et des pénuries de certains produits indispensables et rencontre de plus en plus de difficultés pour s’approvisionner.

Un système d’élevage basé sur l’importation

Jusqu’à l’indépendance, l’élevage Tunisien était extensif, basé sur des races locales, certes rustiques et peu exigeantes, mais peu productives, se nourrissant sur les parcours, jachères et résidus des cultures. Pour mettre en place des filières modernes, performantes et compétitives, il fallait importer aussi bien des reproducteurs des races sélectionnées que les matières premières des aliments concentrés et tout le nécessaire d’élevage. Il fallait surtout mettre en place et développer deux filières importantes: d’une part une filière laitière basée sur la race mixte (lait et viande) Pie noire et d’autre part une filière avicole pour la production de viande et des œufs. L’alimentation sera basée sur du concentré fabriqué sur place et composé essentiellement de maïs grain et de tourteau de soja tous deux importés.

Au fil des années, le système mis en place s’est bien développé et a atteint les objectifs visés au départ à savoir le développement de filières animales modernes, des niveaux de consommation des protéines animales par le citoyen adéquats et une autosuffisance en produits d’origine animale.Malheureusement ce système, qui dépend de l’importation et soumis à l’instabilité des marchés mondiaux des matières premières, n’était pas durable et les dernières crises ont clairement montré sa fragilité et sa vulnérabilité.

Un éleveur à la merci des fabricants d’aliments concentrés

La Tunisie importe chaque année de grandes quantités d’orge, de maïs, de soja pour la fabrication des aliments concentrés auxquels il faut ajouter des compléments minéraux, vitamines et des additifs divers. En période de sécheresse, la Tunisie importe également du foin, des bouchons de luzerne et même du son de blé.

Dans sa politique d’encouragement à l’intensification de l’élevage, l’Etat a stimulé l’utilisation des aliments concentrés en les subventionnant fortement. Inconnus jusqu’aux années 1970, les éleveurs se sont rapidement aperçus de l’importance et de l’intérêt économique de l’utilisation des concentrés pour booster les productions et améliorer la rentabilité de leurs élevages. Au fil du temps, l’usage du concentré est devenu crucial et inévitable. Les cultures des fourrages sont peu pratiquées et abandonnées et des systèmes de production hors sol ont vu le jour dans des régions peu favorables à la production des fourrages.  Ces systèmes sont basés sur les aliments concentrés, l’achat d’aliments grossiers (foin et paille) avec l’utilisation des déchets divers en fonction des disponibilités régionales. L’aviculture n’était pas en marge de cette tendance et de nombreux petits élevages, essentiellement de poulets de chair, ont vu le jour un peu partout parfois dans des conditions techniquement peu favorables (bâtiment d’élevage sommaire, mauvaises conditions sanitaires, aucune maitrise technique…).L’industrie des aliments concentrés s’est très vite développée, surtout à partir de 1990, après que l’Office des céréales avait cédé l’importation du maïs et du soja à des opérateurs privés. Il s’agit généralement de grands groupes qui disposent de moyens financiers importants à la fois importateurs, commerçants, fabricants d’aliments concentrés et éleveurs de volaille. De nos jours seuls trois grands groupes dominent le marché et vendent les aliments concentrés aux éleveurs aux prix qui leur convient.

L’éleveur se trouve à la merci des fabricants de concentrés qui fixent les prix, souvent à la hausse, sans pouvoir augmenter ses prix de vente qui se trouvent plafonnés par les autorités. Celles-ci essayent de maitriser la situation en faisant pression sur les groupes signalés précédemment, sans beaucoup de résultats. Récemment, le Président de la République a ordonné la création d’un Office qui sera chargé du secteur des aliments du bétail afin d’aider les éleveurs en les libérant de l’emprise de ces groupes qui imposent leurs dictats.

Ne pas se tromper d’ennemi

L’erreur serait certainement de considérer les fabricants d’aliments concentrés les ennemis du peuple, les rendre responsables de la crise actuelle et des malheurs des éleveurs et des consommateurs. Ces industriels représentent un maillon essentiel de la filière. S’attaquer à ce secteur pour combattre, et peut-être même prendre la place, des industriels privés ne vont certainement pas résoudre le problème et réduire les couts des productions animales.

Le véritable problème c’est que l’intensification de l’élevage a été basée essentiellement sur l’encouragement des éleveurs à l’usage, parfois abusif et injustifié, d’aliments concentrés à base de matières premières importées. Dans les régions favorables du Nord du pays, les cultures fourragères sont jugées peu rentables par les agriculteurs et sont de moins en moins pratiquées. Au Centre et au Sud, le développement de l’arboriculture et l’extension des villes ont réduit sensiblement les surfaces des parcours et la sédentarisation a entrainé la surcharge et la dégradation des pâturages.

La véritable solution dans ce cas, consiste à un retour à la normale. Vaches et moutons sont des ruminants dont l’aliment essentiel doit être l’herbe et non le concentré. Par ailleurs, les volailles ne mangent pas que du maïs et de tourteau de soja. Elles ont besoin, tout simplement, d’un aliment équilibré qui leur apporte suffisamment d’éléments nutritifs et qui peut être composé de plusieurs constituants : céréales (orge, blé fourrager, maïs…), graines de légumineuses (féveroles, fèves, pois…), tourteaux (colza, soja…), son et autres coproduits.

Résoudre la crise de l’élevage revient donc à développer la disponibilité de nos ressources fourragères et augmenter leur contribution dans l’alimentation du cheptel national. Il s’agit surtout de:

Améliorer et protéger les parcours

Constituer des ressources fourragères sur pied (cactus, arbustes fourragers…)

Développer et intensifier les cultures fourragères dans les régions favorables

Encourager la culture des légumineuses comme la féverole et les graines oléo-protéagineuses comme le colza.

Encourager l’incorporation dans les aliments concentrés de produits d’origine locale.

Ceci passe nécessairement par un soutien à la recherche dans le domaine des ressources alimentaires ainsi que le développement et l’amélioration de l’organisation et de l’efficacité de la vulgarisation agricole.De nombreux travaux de recherche ont été effectués par les établissements nationaux de l’enseignement supérieur et de la recherche, en matière de développement des ressources, de l’utilisation et de valorisation des sous-produits et des déchets agricoles et agro-alimentaires, de la substitution des matières importées par des produits locaux…. Ces Instituts disposent également d’acquis en matière de sélection variétale d’espèces fourragères. Plusieurs variétés adaptées et productives sont régulièrement enregistrées ainsi que de référentiels techniques pour la conduite des cultures fourragères sont élaborés. Malheureusement ces acquis sont très peu valorisés.

Par ailleurs la Tunisie possède, à travers l’Office de l’élevage et des pâturages (OEP), d’une excellente expérience en matière de développement et de vulgarisation des ressources fourragères. De nombreux organismes interviennent aussi dans le secteur des aliments du bétail comme l’Office des céréales qui importe et commercialise le son, l’orge fourragère et les aliments de sauvegarde en période de sécheresse (bouchons de luzerne, foin…).Le Groupement interprofessionnel de la viande et du lait (Givlait) intervient également dans la subvention du transport des fourrages du Nord au Centre et Sud du pays.

Pour un Office de l’alimentation animale

La création d’un Office de l’alimentation animale serait une excellente opportunité pour développer nos ressources fourragères locales. Pour l’importation, la fabrication et la commercialisation des aliments concentrés l’Etat dispose de tous les moyens pour contrôler et faire respecter la réglementation en vigueur afin d’éviter un quelconque abus et dérapage de la part des opérateurs dans le secteur. A ce propos, la Tunisie dispose de toute une panoplie de textes réglementaires complets et précis qui régissent la fabrication et la commercialisation des aliments du bétail. Elle dispose également d’un laboratoire moderne (Laboratoire central d’analyse des aliments du bétail), ultra équipé en appareils qui a pour mission d’effectuer des analyses de contrôle, des essais des aliments pour animaux et les matières premières, ingrédients, prémélanges et additifs.

L’élevage joue un rôle socio-économique très important dont la survie dépend de la disponibilité et des prix des ressources fourragères et pastorales. Préserver le secteur des aliments concentrés et développer-intensifier la production et l’utilisation des aliments grossiers (parcours et pâturages, arbustes fourragers et cultures fourragères) serait indispensable pour réduire la dépendance de notre élevage des concentrés et de l’importation des matières premières nécessaires. La relance des cultures fourragères et l’amélioration des parcours restent tributaires d’une stratégie nationale qui fait intervenir tous les organismes impliqués.

La coordination entre les différents intervenants, la maitrise d’une bonne technique de gestion des ressources par le biais d’un encadrement efficace des agriculteurs et des éleveurs à coté de la volonté politique actuelle de faire face à la crise de l’élevage et venir en aide aux éleveurs restent nécessaires et peuvent représenter les tâches essentielles de l’Office dont la création a été annoncé par le Président de la République. Certes les difficultés intérieures à côté d’une sécheresse et un manque de pluie persistants et graves sont des facteurs limitants, toutefois des possibilités d’amélioration des productions pastorales et fourragères existent réellement.

Enfin, être éleveur est un métier à part entière. On ne s’improvise pas éleveur sans aucune formation et connaissance des techniques d’élevage (allant du choix des géniteurs, à l’alimentation du cheptel, les soins sanitaires, la conduite…). L’éleveur doit également essayer constamment d’améliorer la rentabilité de son élevage en évitant le gaspillage et les pertes d’aliments, en maitrisant les pathologies et la reproduction et en éloignant de son cheptel les animaux peu productifs.

Ridha Bergaoui

 

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