News - 04.11.2023

Ahmed Ounaïes: Le Déluge d’Al-Aqsa

Ahmed Ounaïes: Le Déluge d’Al-Aqsa

Quand le Président des Etats-Unis était Roosevelt, les forces armées américaines pénétraient en Méditerranée et débarquaient en Afrique du Nord dans le but de lancer la bataille décisive pour libérer les peuples européens victimes de l’occupation. Les forces américaines débarquaient en effet en Afrique du Nord en novembre 1942 et livraient à Kasserine (19-25 février 1943) leur première bataille contre l’Allemagne qui alors dominait l’Europe et qui soumettait ses peuples à l’occupation. Aujourd’hui, les forces armées américaines reçoivent l’ordre de pénétrer en Méditerranée et de former une concentration de moyens maritimes, aériens et terrestres, non pour libérer les peuples soumis à l’occupation mais pour perpétuer l’occupation.

Nous assistons à la montée en puissance de l’Occidentalisme dans une forme plus achevée – l’Occident uni, suprémaciste et dominateur. Nous assistons également au rebondissement du colonialisme et de son corollaire «delenda est». Tels sont les axes du nouvel ordre mondial qui s’édifie sous nos yeux et dont le drame palestinien est l’un des accélérateurs.

Nous présentons le drame palestinien en six points.

1. D’abord, le tableau palestinien à la date du 7 octobre

C’est le face-à-face violent entre la puissance occupante et le peuple victime de l’occupation. Le régime d’occupation est entré dans sa 57ème année en juillet dernier. Toute la jeunesse palestinienne est née sous ce régime. Le tableau Palestinien présente la forme de domination la plus apparente dans le champ du Moyen Orient.

Doit-on conclure que la situation est irréversible? En observant le maillage militaire sur le terrain, l’implantation coloniale rampante et la misère palestinienne, on peut en effet tirer la conclusion que le peuple victime, n’ayant guère d’autre issue, succombe et se résigne. Conclusion que nous estimons superficielle. Elle traduit l’espérance de la puissance occupante, l’autocomplaisance, l’aveuglement politique, la négation de l’expérience coloniale et, tout autant, l’aveu d’ignorance de l’homme. Le propre de l’homme, c’est la liberté, la révolte contre l’humiliation, le sens de la dignité.

Les peuples familiers des situations de domination tirent la conclusion inverse. La résistance est inhérente à l’occupation. Partout ailleurs dans le monde, jusqu’en août 2021 en Afghanistan, l’occupation a cédé devant la résistance. Combien d’affrontements sanglants ont jalonné l’occupation israélienne, provoqués soit par la puissance occupante, soit par la résistance palestinienne ! Prenons tout juste le XXIème siècle: au cours des deux dernières décennies, huit affrontements mobilisent le peuple palestinien.    

Intifadha Al-Aqsa (28 septembre 2000-28 septembre 2002;

Opération Pluie d’été (28 juin-26 nov. 2006);  

Opération Hiver chaud (27 février-19 juin 2008); 

Opération Plomb durci (27 décembre 2008-21 janvier 2009); 

Opération Pilier de défense (14-21 novembre 2012); 

Opération Bordure protectrice (7 juillet-26 août 2014);

La Marche du Retour (30 mars 2018-29 nov. 2019);  

Opération Epée de Jérusalem (10-21 mai 2021). 

La mémoire est chargée. En septembre-octobre 2023, l’atmosphère est lourde. Les actes de résistance se multiplient dans les territoires occupés, notamment à Jenine, dans la vieille ville de Jérusalem et autour de la mosquée Al-Aqsa. La répression est toujours sanglante. Les cortèges des funérailles des martyrs palestiniens sont quasi quotidiens. L’accroissement des profanations d’Al-Aqsa témoigne de l’entrée en scène méthodique des colons. La résistance palestinienne était dans l’air.

Dans ce contexte de plomb, l’opération du 7 octobre 2023, comme les affrontements précédents, était humainement inéluctable. Telle est l’occupation dans sa 57e année. 

2. Le statut des territoires

A. Le statut des territoires occupés est fixé dans les mêmes termes dans les résolutions des NU et de ses organes. Rappelons les termes de la Résolution 2334 du Conseil de Sécurité, adoptée le 23 décembre 2016: Israël est qualifié de «puissance occupante»; en outre, le Conseil condamne «toutes les mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut du Territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris Jérusalem-Est, notamment la construction et l’expansion de colonies de peuplement, le transfert de colons israéliens, la confiscation de terres, la destruction de maisons, et le déplacement de civils palestiniens, en violation du droit international humanitaire et des résolutions pertinentes».

Le statut de Jérusalem fait l’objet de deux Résolutions fondamentales du Conseil de Sécurité (476 du 30 juin 1980 et 478 du 20 août 1980), les deux ayant été introduites par le groupe occidental au Conseil et négociées avec la délégation tunisienne, alors membre du Conseil. Je cite le 1er § de la 476: Le Conseil «Réaffirme la nécessité impérieuse de mettre fin à l’occupation prolongée des territoires arabes occupés par Israël depuis 1967, y compris Jérusalem»; voici le § 4: le Conseil «Réaffirme que toutes les mesures qui ont modifié le caractère géographique, démographique et historique et le statut de la Ville sainte de Jérusalem sont nulles et non avenues et doivent être rapportées en application des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité».

Un mois plus tard, le 30 juillet, la Knesset adopte ce qu’elle désigne comme loi fondamentale, proclamant Jérusalem «la capitale une et indivisible» de l’Etat d’Israël. Le Conseil de Sécurité adopte alors le 20 août la Résolution 478, dont voici le § 5: le Conseil «Décide de ne pas reconnaître la loi fondamentale et les autres actions d’Israël qui, du fait de cette loi, cherchent à modifier le caractère et le statut de Jérusalem et demande… b) aux Etats qui ont établi des missions diplomatiques à Jérusalem de retirer ces missions de la Ville sainte».

Le statut est clair. Cependant, les tentatives de légalisation des mesures unilatérales israéliennes dans les territoires occupés ont commencé en 2017.

Un an après l’adoption par le Conseil de Sécurité de la Résolution 2334, Donald Trump, Président des Etats-Unis, signe le 17 décembre 2017 un décret qui reconnaît la légalité de l’acte unilatéral d’annexion de Jérusalem. Le lendemain, 18 décembre, 14 voix au sein du Conseil de Sécurité votent contre la mesure américaine; la 15e voix, celle des Etats-Unis, bloque la Résolution, ce fut le 43e veto des Etats-Unis contre les droits du peuple Palestinien. Le 21 décembre, l’Assemblée générale rejette la mesure américaine par 128 voix contre 9, avec 35 abstentions. Le 14 mai suivant, en 2018, l’Ambassade des Etats-Unis est transférée de Tel Aviv à Jérusalem. Un seul pays, le Guatemala, transfère aussi son ambassade. 

La deuxième tentative de légalisation est lancée en 2019. Les Etats-Unis proclament, le 25 mars 2019, la légalité de l’annexion par Israël du plateau syrien du Golan. Puis le 18 novembre, Mike Pompeo, Secrétaire d’Etat, déclare: «Pour les Etats-Unis, les colonies israéliennes ne sont pas considérées contraires au droit international.» L’Administration qui a succédé à Trump en Janvier 2021 n’a pas annulé ces décisions.

Sur le terrain, le régime d’occupation est odieux. A la faveur des mesures américaines, l’expansion de la colonisation et l’expulsion des familles palestiniennes s’intensifient. Les hordes de colons, encadrés ou non par des gardes armés, sillonnent les quartiers palestiniens pour narguer les familles dans leurs demeures. Les cultivateurs palestiniens sont privés d’accès à leurs champs, les sources d’eau sont détournées au profit des colons. Où en sommes-nous des obligations de la Charte, de la «responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales»?

La 3e tentative de légalisation date du 7 octobre, avec le basculement de l’UE.

3. Le basculement de l’Union Européenne

Les Etats de l’Europe occidentale étaient unis sur le principe de la suprématie du droit et votaient contre les violations israéliennes et contre les violations commises directement par les Etats-Unis. Le 18 février 2011, le jour même où les Etats-Unis opposaient leur 42e veto au projet de Résolution qui condamne «les colonies de peuplement israéliennes», la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne publiaient à New York une Déclaration commune où elles appelaient les Israéliens et les Palestiniens «à reprendre les négociations menant à la solution des deux Etats, sur la base des paramètres clairement définis. Pour que ces négociations puissent être couronnées de succès, elles devront aboutir à:

- Un accord sur les frontières des deux Etats, sur la base des lignes du 4 juin 1967, avec des échanges de territoire équivalents sur lesquels les parties pourront s’accorder;

- Des arrangements de sécurité qui, pour les Palestiniens, respectent la sécurité de l’Etat de Palestine et manifestent la fin de l’occupation… »

La Déclaration est ainsi conclue «Nous attendons donc des deux parties qu’elles reprennent les négociations sur cette base dès que possible. Notre objectif reste un règlement portant sur l’ensemble des questions du statut final et l’accueil de la Palestine au sein de l’Organisation des Nations Unies en tant que membre de plein droit en septembre 2011.» Cette Déclaration remonte à février 2011, la promesse du printemps arabe.

Rappelons d’abord que les Etats d’Europe occidentale qui, d’eux-mêmes, reconnaissent l’Etat Palestinien sont Malte et Chypre (Novembre 1988), l’Islande (15 Décembre 2011) et la Suède (30 Octobre 2014), ainsi que le Vatican (13 mai 2015). Mais dans l’ensemble, la ligne politique de nos partenaires européens s’en tenait au seul droit parce que le droit est le seuil de consensus entre le noyau libéral formé par les Méditerranéens et les Scandinaves, auxquels se rangent la majorité des autres Européens et, d’autre part, les inconditionnels d’Israël (Hollande et Allemagne, auxquels s’ajoutent, depuis le grand élargissement, la Tchéquie, la Hongrie et la Pologne). Au sein du Conseil Européen, les inconditionnels d’Israël bloquent toute mesure préconisée en vue d’une ouverture politique. C’est donc la culture du droit qui concilie et qui fonde, en dernier ressort, la position politique de l’Union Européenne.

Le 7 octobre 2023, l’Europe bascule. C’est la 3e tentative de légalisation.

Le 7 octobre, les Etats Européens observent l’acte de résistance violent des Palestiniens contre Israël. Mais nul n’ose le rattacher au contexte de l’occupation. Soudés déjà en bloc par le conflit ukrainien, ils s’accordent pour taire toute mention de l’occupation et pour qualifier l’opération de terrorisme. Omettre le statut des territoires, amalgamer terrorisme et résistance, dénaturer la lutte contre l’occupation, détacher l’acte de résistance du fond du peuple colonisé pour le rattacher à une organisation prédéfinie comme terroriste, c’est le discours colonial qui ressurgit dans le terreau européen et qui, comme naguère, pose le droit et les privilèges de la puissance coloniale. Nul ne mentionne l’occupation.

Cette politique de communication épurée et ciblée n’est pas une querelle de mots, mais de concepts, de principes, de morale et de responsabilité. Elle illustre une doctrine qui nous est familière. Tel est le rebondissement du colonialisme. A l’heure de vérité, l’Europe substitue à l’impératif de la fin de l’occupation, l’urgence de détruire le terrorisme. L’esquive, la forfaiture, la complicité exonèrent la puissance occupante. Telle est l’éternelle construction coloniale édifiée sur le mensonge, l’alibi, l’aveuglement. Destruction du terrorisme pour ne pas dire destruction du peuple palestinien. Terrorisme pour ne pas dire résistance. L’imprécation ‘‘Delenda est’’ unit le bloc occidental.

L’Europe, au mépris de son propre voisinage, reconstitue le mur entre le Nord et le Sud de la Méditerranée, une frontière ethnique et politique, une distance culturelle, le parti pris de la force. La cause Palestinienne est trop lourde pour le leadership européen. La domination, le mensonge, la lâcheté sont davantage à sa mesure. Nous reprenons à la case départ!
L’expression «guerre Israël-Hamas» pour désigner le conflit est forgée et lancée par le bloc. C’est l’emblème repris de bout en bout des médias occidentaux, éclipsant l’occupation, niant la nature du conflit, excluant le peuple Palestinien du champ : l’Europe efface la cause palestinienne et recentre le terrorisme. La face apparente de la démarche devient le droit d’Israël à la légitime défense, sans mentionner sa qualité de puissance occupante et sans référence à la Palestine.

Ce subterfuge est à la base du 45e veto des Etats-Unis au Conseil de Sécurité le 24 octobre, et de l’amendement soumis par le Canada au projet de Résolution Jordanien devant l’Assemblée Générale le 27 octobre, relatif au droit humanitaire; le projet d’amendement était rejeté, mais il avait recueilli 88 voix, tandis que la Résolution Jordanienne finalement votée, et non amendée, recueillait 120 voix. A notre sens, 88 pays représentent le volume de dilatation extrême du bloc occidental; 120 pays représentent le seuil de composition du pôle adverse.

Le conflit ukrainien a déjà uni le Front Occidental. De surcroît, les calculs politiques et les opportunismes typiques de l’extrême droite qui, aujourd’hui, submerge la scène européenne, trouvent dans la théâtralité de l’acte du 7 octobre l’opportunité d’exalter l’émotionnel, déclic typique du populisme et de l’extrême droite. Enfin, le basculement européen puise substantiellement dans le fond colonialiste et raciste qui reprend sur le terreau des Métropoles coloniales historiques. Ce basculement est une régression majeure face au voisinage arabe et à la sphère anticoloniale en Asie, en Amérique et en Afrique.

Au lendemain du 7 octobre, l’échec général de leurs visites auprès des dirigeants arabes rappelle les dirigeants Européens au droit. Deux semaines après le basculement, ils en appellent d’abord au droit humanitaire puis, dans un deuxième temps, ils ressortent la formule du règlement à deux Etats. A ce titre, trois réserves:

D’abord, le paradoxe de légitimer l’offensive militaire d’Israël et de fournir aux futures victimes les soins et les vivres;

D’autre part, le silence total sur le Plan de Paix arabe signifie que les Européens jugent les concessions palestiniennes insuffisantes.

La formule indécise des deux Etats cache un projet difficile à formuler, un projet inavouable parce qu’il fait honte. Quand la puissance occupante rejette le Plan de paix fondé sur la légalité internationale et qu’elle perpétue l’occupation, les Européens n’ignorent pas que le but évident est de contraindre le peuple palestinien à concéder, par l’intimidation et la terreur, tels droits politiques et territoriaux qu’Israël choisit de spolier. Le régime d’occupation ne fait que servir la stratégie de spoliation. Les 45 vetos des Etats-Unis et le basculement des Européens confortent évidemment la stratégie.

Le précédent de l’Etat sans terre existe – le modèle Vatican, enclavé et doté tout juste d’une esplanade;  
Enfin, le scandale moral subsiste. L’Europe ignore le principe du respect égal des peuples et abandonne la suprématie du droit. L’option de l’occupation définitive, de la colonisation et de la politique de puissance entache irrémédiablement la culture européenne.

En clair, le bloc occidental cautionne la confiscation des territoires par la force. Que restera-t-il de l’acquis juridique et politique de la cause palestinienne dans le référentiel des Nations Unies ? Encore faudra-t-il survivre. Par le fer et par le feu, Israël écrasera la capacité de revendication du peuple Palestinien et substituera le droit de survie au droit à la terre. Telle est la portée du basculement européen.

Qu’en est-il, dans cette logique, de la raison d’être de l’Organisation des Nations Unies? Le consensus formé par Roosevelt pour fonder un ordre mondial sur le droit, tel que l’illustre la Charte des NU, est obsolète. L’ONU elle-même vacille. D’autres buts et principes se font jour. A cette fin, le front occidental est enfin uni pour fonder le nouvel ordre mondial sur la politique de puissance.

4. L’immunité des civils

Dans le contexte de l’occupation, quelle place subsiste pour les valeurs civiles? Si le droit de la guerre fait obligation d’épargner les civils innocents, le champ social est totalement absorbé dans la sphère militaire. La demeure familiale, la rue, l’école, l’hôpital, le lieu de travail sont à la merci des forces d’occupation qui surgissent en tout lieu, à tout moment, qui arrêtent et emportent quiconque leur semble utile à leurs fins; les notions d’enfant, de vieillard, d’adulte ne sont plus valides. Dans ce face-à-face, l’ordre civil n’est plus qu’une fiction. Quelle convention internationale, quel scrupule humaniste ont jamais retenu les forces d’occupation quant au respect des valeurs civiles?

Les peuples européens sous l’occupation le savent. Ils ont subi un tel régime. Ils n’ont jamais admis les jugements des tribunaux siégeant sous le régime de l’occupation. Admettraient-ils aujourd’hui la pratique israélienne de la détention administrative pratiquée de part en part de la Palestine?

En définitive, où se dresse la limite de l’usage légitime de la force ? Quand le destin des prisonniers ne fait pas mystère, que l’assassinat ciblé, les maisons défoncées, les parents outragés et humiliés devant leurs propres enfants sont l’ordinaire des forces d’occupation, le terrorisme d’Etat submerge l’ordre social. 

Les forces d’occupation ne s’embarrassent guère de principes, elles exercent la force pure, elles tuent à vue, torturent en bonne conscience et humilient par le fait de la dégradation délibérée de la personne humaine. La démarcation entre civil et militaire relève d’une logique de droit; le régime de l’occupation abolit le droit.

Shirine Abou Akla, assassinée le 11 mai 2022, n’était-elle pas une personne civile ? Comment qualifier son assassinat par les forces d’occupation? Et pour quelle raison était-elle assassinée ? Était-elle une terroriste ?

Lorsqu’en juillet 2006 la résistance libanaise et la résistance palestinienne avaient conduit des opérations contre des militaires des forces d’occupation et fait prisonniers non pas des civils mais des soldats, l’accusation de terrorisme ne les a guère épargnés. Le déchaînement des gouvernements et des médias occidentaux trahit la culture juridique biaisée des Etats Occidentaux pour qui l’enjeu véritable en Palestine n’est pas la protection des civils, mais le déni du droit à la résistance.

Du reste, la puissance occupante a-t-elle jamais été redevable devant une quelconque Institution compétente pour juger de tels actes ? Voici un précédent dont la Suisse est témoin.

Le 5 décembre 2001, la Suisse, mandatée par l’ONU, présidait à Genève la Conférence sur l'application par Israël de la IVe Convention de Genève dans les Territoires occupés, avec la participation de 110 pays. La IVe Convention de Genève règle les conditions de l’occupation militaire et vise la protection de la population civile tant qu'un accord de paix n'a pas mis fin au conflit. Elle interdit notamment les colonies de peuplement, l'usage indiscriminé de la force contre les civils, les punitions collectives et les bouclages de territoires.

Deux jours auparavant, le 3 décembre, Israël entreprenait une démarche diplomatique de dernière minute afin de faire annuler la Conférence. Des pressions étaient exercées sur la Suisse qui n’avait pas cédé. Finalement, Israël et les Etats-Unis boycottaient la conférence, tandis que l’UE exigeait, en contrepartie de sa participation, la suppression de passages de la Déclaration finale qui préconisaient un système de sanctions contre Israël. Pourquoi donc l’UE tenait-elle à immuniser par préalable Israël ? Pour l’UE, le principe de redevabilité n’est pas exigible de l’ensemble des Etats. Pour les pays occidentaux, ce prétendu principe n’est pas véritablement universel. 

5. Les otages

La problématique des otages s’inscrit dans un contexte dominé par quatre facteurs.

D’abord, les palestiniens en Palestine, soumis au régime d’occupation, sont les otages de la puissance occupante. Tant qu’ils sont sur le territoire palestinien, la puissance occupante détient sur chacun d’eux le droit de vie et de mort. En outre, ils ne contrôlent ni la mer qui baigne leur littoral, ni l’espace aérien, ni les frontières qui les séparent de leur voisinage. Leur approvisionnement en tout est autorisé ou interdit par la puissance occupante. Les tunnels de communication, parade contre le bouclage, sont bombardés et reconstruits indéfiniment. Cette condition humaine est vécue intensément par le peuple victime. Il n’y échappe qu’en émigrant, en abandonnant sa terre. Or, le peuple Palestinien ne lâche pas la terre. Tout est là.

La patrie alternative – al-watan al-badil – est une des solutions que soutient Israël. Une telle finalité est à la base de la déshumanisation du régime d’occupation. Les moyens de pression, à cette fin, sont inouïs. A cette fin, Israël et ses alliés font pression sur les palestiniens, mais aussi sur les pays voisins et sur tous les autres. Nul ne cède. Sur place, les Palestiniens ressentent la pression de toutes parts, dans leur vie quotidienne, en conscience claire et dans le subconscient, parce que le régime d’occupation vécu est une atmosphère étouffante.

Le lundi 9 octobre, le Ministre de la Défense et le Ministre de l’Energie d’Israël annoncent tous deux, face au monde, la décision d’interrompre l’approvisionnement de l’eau, de l’énergie et des fournitures alimentaires. C’est l’un des moyens de révéler qu’Israël détient le droit de vie et de mort sur le peuple Palestinien. La gamme des moyens pour exercer ce droit est large. Exemple, les blessés sont promis à la mort: sans énergie, les hôpitaux ne peuvent pas stériliser les outils d’intervention. Autre exemple, tirer au canon et bombarder jour et nuit sur un groupe humain assiégé, en situation carcérale. L’intensité du processus de liquidation du peuple palestinien monte ou descend d’un cran, mais la politique d’extermination est au cœur de l’occupation.

Que de fois, ce groupe humain était-il soumis aux bombardements, combien de tués par les forces armées, individuellement ou dans le tas ? Seule la puissance occupante détient l’autorité d’en décider et de passer à l’acte, sans qu’aucune autre autorité dans le monde ne puisse l’en empêcher ni la sanctionner en conséquence. Détenir seul le choix du moment où vous commencez et où vous arrêtez le massacre, c’est détenir le droit de vie et de mort. Face au monde, Israël affirme ce droit et l’exerce.

Ainsi le peuple victime de l’occupation est-il l’otage par excellence: de bout en bout de la Palestine, le peuple victime le savait, le subissait. Face-à-face avec la puissance occupante, il en avait tiré la conséquence.

Le 2e aspect de la problématique des otages est le précédent de Gilad Shalit. Ce soldat israélien était capturé par la Résistance Palestinienne le 24 juin 2006. Cet acte était le détonateur de l’opération Pluie d’Eté. Pendant plus de cinq ans, tant que durait la négociation, Shalit était prisonnier de la Résistance et traité comme tel. En contrepartie de sa libération en octobre 2011, la Résistance avait réalisé la libération d’un premier groupe de 20 prisonnières Palestiniennes, puis d’un 2e groupe totalisant 1027 prisonniers Palestiniens.

Le 3e aspect de la problématique est la décision de la Résistance Palestinienne de libérer unilatéralement, dans les 15 premiers jours de leur captivité, 4 femmes otages qui ont rejoint leurs familles sans autre formalité. Jamais le régime d’occupation n’avait été capable d’un tel geste.

Le 4e facteur est l’avance des forces armées israéliennes dans les zones de Gaza qui abritent les tunnels. Les otages capturés le 7 octobre y sont vraisemblablement répartis.  Redoutons les interrogatoires des Palestiniens saisis dans ce but par l’armée d’occupation. Relisons l’ouvrage du Général Paul Aussaresses sur les pratiques des officiers impatients d’arracher un indice chez les victimes qui savent ou qui ne savent pas. Nous sommes assurés que le bloc colonial, d’avance, s’en lave les mains.
Ces quatre facteurs déterminent l’issue des otages capturés par la Résistance palestinienne le 7 octobre dernier.

6. La Résistance

Il ne s’agit pas, pour nous, de plaider la légitimité de la résistance, c’est une question dépassée. Il s’agit plutôt d’actualiser la problématique politique.

D’abord, le peuple victime de l’occupation doit concilier l’impératif du recours à la violence et l’impératif de la négociation. En dernier ressort, c’est la négociation qui conclut le conflit. Il est donc nécessaire de structurer cette dualité, de sorte que le pôle de la négociation et le pôle de l’action violente soient mobilisables en toute circonstance. La bipolarité apparente est une exigence de la finalité politique.

Il est logique que l’adversaire tente de spéculer sur cette dualité et de manœuvrer pour rompre l’unité du peuple en lutte. Le processus dialectique s’y prête. Dans la réalité, la cohésion est délicate, mais la convergence supérieure de la dynamique de libération dépasse les acteurs et prévaut toujours dans le processus de la libération et dans le progrès de la liberté. L’histoire des Relations Internationales n’a pas démenti cette grande leçon. Gaza et Ramallah sont les produits de cette dialectique. L’unité du peuple Palestinien en est la matrice.

Le 2e aspect est un autre processus dialectique, celui de l’impact de la représentation de l’occupant sur la représentation de la victime, et réciproquement. Ne sous-estimons pas cet effet sournois – l’homme édifie l’adversaire obsessionnel à son image. Le martyr reproduit ce que l’occupant lui inflige. Ainsi fera l’occupant à son tour, chacun selon ses capacités, mais tous deux captifs du même modèle. Le 7 octobre, la Résistance a frappé, mais elle n’a fait que rendre une part des dommages que l’occupant lui avait infligés dans la violence typique israélo-palestinienne.

Le 3e aspect est l’inégalité stratégique. Sans l’élargissement du champ, la résistance sera écrasée, même si la flamme survit dans l’âme du peuple. Pour la Résistance Palestinienne, la profondeur du champ ne saurait se limiter à la communauté arabe, elle doit inclure, dans le monde, les sociétés vigilantes, effervescentes, acquises au progrès de la liberté. La résistance des peuples Européens soumis à l’occupation, aussi héroïque fut-elle, n’avait triomphé que grâce à la solidarité, aux sacrifices et à la culture politique des Alliés à l’époque. Ainsi en est-il de toutes les résistances, en Asie, en Amérique et en Afrique.

Dans le champ du Moyen Orient, la solidarité et l’acceptation du sacrifice par la communauté arabe sont essentielles pour la survie de la Palestine et, tout autant, pour sa propre survie. Les ressources énergétiques – le gaz et le pétrole – pèsent certes, mais plus encore l’intelligence des grands équilibres, l’évaluation géostratégique et le courage politique. Les mises en garde déjà émises par l’Iran s’adressent en premier aux dirigeants arabes.

Nous enregistrons, avant le Sommet arabe du 11 novembre prochain, des indices de trois pays d’Amérique Latine (Bolivie, Colombie et Chili) et, surtout, la prise de position du Représentant Permanent de la Russie, Vassily Nebenzia, à la session extraordinaire de l’Assemblée Générale des NU. Le 1er novembre, il fixe la limite aux prétentions du bloc occidental à Gaza et en Palestine.

La Russie est la première puissance à proclamer expressément son opposition à l’imprécation ‘’delenda est‘’ qui frappe une à une les rives Sud de la Méditerranée et dont nous vivons, depuis le 7 octobre, l’un des épisodes.

Ahmed Ounaïes
Tunis, 3 novembre 2023

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