News - 01.08.2023

Hommage à l'universitaire Annie Bardi

L’universitaire Annie Bardi n’est plus !

Par Arselène Ben Farhat - J’ai appris une bien triste nouvelle: Mme Annie Bardi vient de nous quitter le 24 juillet 2023.

Agrégée de littérature française, Mme Annie Bardi a enseigné à Tunis durant environ 35 ans dans différentes institutions universitaires: la Faculté des Lettres de Manouba, la Faculté du 9 avril, l’Institut supérieur de la formation continue et l’Ecole Normale Supérieure. Elle était une brillante universitaire qui a marqué le parcours de plusieurs générations d’étudiants.

Je garde d’elle l’image de l’enseignante modeste, attentive, sensible, généreuse bienveillante et en même temps rigoureuse et exigeante. Elle adorait enseigner. C’est pourquoi elle a consacré sa vie à de multiples activités d’enseignement. Toutefois, pour elle, il ne s’agissait pas de transmettre un savoir, mais un savoir-faire. Chacun de ses TD était un très riche moment d’interaction, de partage et de plaisir, car la littérature ne se construit pas, selon Annie Bardi, comme un discours monologique unidimensionnel mais comme un échange avec l’autre et avec soi, parfois contre soi. Le texte littéraire devenait, dans ses séances, un espace dialogique où le professeur, maitre de la parole, s’éclipsait et où l’étudiant-lecteur devenait le véritable commentateur créateur.

Une telle vision de l’enseignement était presque impossible à mettre en œuvre dans le cadre des cours magistraux. Pourtant, Annie Bardi arrivait à le faire: elle refusait de dicter des cours et fournissait, à partir de multiples supports textuels, visuels ou sonores, des pistes que nous devrions nous-mêmes explorer. De plus, elle consacrait la fin de chaque cours magistral à un moment d’échange: elle nous demandait de réagir à ses propos, de les commenter et de lui poser des questions. Mais, qui osait prendre la parole? Son visage s’illuminait quand l’un d’entre nous brisait le lourd silence qui dominait l’amphi et à partir d’une remarque parfois futile de notre camarade, elle se lançait dans des explications ou plutôt des questionnements qui attisaient notre curiosité.

Cette manière de procéder a beaucoup imprégné notre parcours d’enseignant et de chercheur. Annie Bardi nous a transmis sa passion de la littérature ainsi que sa rigueur méthodologique. Elle nous a initié aux diverses méthodes de lecture des œuvres littéraires en nous offrant une formation théorique doublée de travaux pratiques. Elle a constamment tenté de nous procurer le bonheur de la découverte et de susciter en nous la magnifique sensation de progresser dans l’univers merveilleux de la poésie de Victor Hugo, d’Arthur Rimbaud, etc. ou des romans de Gustave Flaubert, d’Emile Zola, de Marcel Proust, de Julien Gracq, etc. Son projet consistait à nous permettre d’acquérir les réflexes et l’habileté des lecteurs avertis et de maitriser les techniques d’analyse textuelle.En somme, Mme Annie Bardi n’était pas uniquement une simple enseignante universitaire, elle incarnait pour nous l’image idéale du Professeur dont nous rêvons. Il n’est pas du coup étonnant qu’on lui rende, de son vivant, un vif hommage à plusieurs reprises à Tunis et à Sfax:

• Les 25 et 26 novembre 1999, les collègues de Mme Anne Bardi, ses amis et ses étudiants ont organisé, à la Faculté des Lettres Manouba, un colloque international intitulé «Le prince dans l’imaginaire racinien et son dialogue avec la scène louis-quatorzienne» afin de lui rendre hommage. Les actes de ce colloque ont été publiés en 2003, textes réunis et présentés par Mohamed Raja Rahmouni et édités par la Faculté des Lettres Manouba et Cérès Editions.

Le 15 avril 2008, le Centre Dialogue et Culture (CDC) et le Département de Français de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Sfax ont invité Mme Annie Bardi. C’était une belle occasion pour que nous lui exprimions notre estime et notre admiration. Elle a donné une conférence intitulée: «Lire la poésie de Rimbaud: de la lecture au commentaire». Sa rencontre avec ses étudiants était très émouvante.

Le 27 avril 2018, l'Unité de Recherche ATLL (ISLT, UCAR) a organisé, en hommage à Mme Annie Bardi, une journée d’étude sur le thème de «la Rencontre» à l’Institut Supérieur des Langues de Tunis (ISLT).

Plusieurs amis et étudiants de Mme Annie Bardi ont exprimé, Après l’annonce de son décès, leur tristesse d’une manière délicate et émouvante sur leur page Facebook et ont évoqué des souvenirs inoubliables de cette universitaire exceptionnelle. Je cite quelques exemples:

Abdeljelil Karoui

Le décès du professeur Annie Bardi.

Quand j'ai rejoint le département de français de la Faculté du 9 avril, en 1972, elle y était déjà. Pendant notre longue carrière au 9 avril et ensuite à la Manouba, j'ai été frappé par sa compétence, sa totale disponibilité et sa passion pour la chose littéraire. Ce qui n'exclut pas la convivialité et le goût de ce qui n'est pas que spirituel. À la fin de chaque année, nous avions la tradition au département d'organiser un méchoui bien arrosé dans le domicile de l'un d'entre nous. J'avais connu son époux, un homme très attachant qui nous a quittés hélas très tôt.

Paix à son âme.

Ridha Béhi

Melle Perusa (Madame Annie Bardi) vient de nous quitter. Je l'ai eue comme professeur de français fin des années 60 avant mon départ en France. Elle nous a transmis sa passion pour la littérature... Elle m'a fait découvrir Proust et Flaubert.

Repose en paix grande dame. Je ne t'oublierai jamais...

Rabâa Abdelkéfi

Mme Annie Bardi Péruzat, que de nombreuses promotions de «francisants» du lycée Carnot, puis des universités de Tunis et de la Manouba ont bien connue, est décédée, à Paris, le 24 juillet 2023.

Agrégée de littérature française classique, latiniste et helléniste, elle a consacré l’essentiel de ses activités à l’enseignement. Passionnée, scrupuleuse et exigeante, aimant la Tunisie et les Tunisiens sans la moindre complaisance, tant elle croyait en eux, elle a tenté, durant les nombreuses décennies, de comprendre l’histoire et la culture du pays où elle a choisi de vivre.

Bien qu’attristée par la revendication identitaire arabo-islamique et par le nationaliste vindicatif qui, en Tunisie, allait crescendo, depuis la fin des années 1970, elle n’a jamais renoncé à exprimer ses idées et à les défendre avec un enthousiasme souvent incompris. Annie croyait que la rencontre des cultures ne pouvait qu’être salvatrice. Elle avait bien raison. La haine de l’autre qui, aujourd’hui s’étale au grand jour, témoigne de sa perspicacité.

Repose en paix, Annie, mon cher professeur et mon amie.

Amina Chenik

Une bien triste nouvelle. Notre chère Annie Bardi, professeur collègue et amie nous a quitté pour un monde meilleur. Une des figures les plus marquantes de l'université tunisienne qui nous a tous, étudiants ou enseignants, durablement marqués par sa passion, sa rigueur et sa générosité et qui nous laisse aujourd'hui bouleversés par la nouvelle, et bien tristes... Paix à son âme et sincères condoléances à sa famille, à Olfa, et Hichem ses enfants, à Hugues et Elie, Neil et Nessim ses petits-enfants.

Insaf Machta

Mme Annie Bardi n'est plus.

Elle nous a fait aimer Rabelais, Barbey d'Aurevilly et Julien Gracq, Homère, Virgile et Dante.

Je me souviens encore de ses mises au point méthodologiques où il y avait un bel alliage entre une rigueur sans faille et une attention sensible à l'émotion esthétique. C'est en partie grâce à elle que j'ai réussi à tourner la page de la tentation structuraliste.

Je l'ai eue comme professeur dans les années 90, mes parents l'avaient eue fin des années 60 du temps où tout le monde l'appelait Mlle Perusat.

Paix à son âme !

Husson Bussel (Houcine Bouslahi)

Ce que je garde de madame Annie Bardi, notre professeur de littérature à l'université, qui nous a quittés il y a deux jours, est associé à une date emblématique, du point de vue politique.

Je lui ai rendu visite un certain 13 septembre 1993, pour récupérer la copie d'une nouvelle que j'avais écrite pendant l'été, et pour apprendre les consignes qu'elle devait me donner, essentiellement d'un point de vue stylistique et linguistique (j'étais encore étudiant en maîtrise à la faculté de la Manouba). Or ma visite coïncidait avec un moment qu'on allait considérer comme historique: le fait concernait les accords de paix (dits Accords d'Oslo) entre l'OLP, représentée par Arafat, et Israël, représentée par Rabin. L'événement fut organisé à Washington. Nous avons passé l'après-midi à suivre en direct cet avènement qui aurait pu changer le cours de l'Histoire au Moyen-Orient et dans le monde.

Nous avons beaucoup parlé politique. J'étais agréablement surpris par l'enthousiasme et la joie qu'elle manifestait pour cet accord politique. Par un effet de contagion, un élan d'enthousiasme a pris possession de moi. J'étais saisi par l'idée que la politique qui faisait rêver est quelque chose d'agréable.

C'était sensationnel de découvrir son prof autrement qu'en classe. Madame Annie Bardi est l'un-e des enseignant-e-s qui ont marqué mon parcours universitaire, en tant qu'étudiant et en tant qu'enseignant.

Paix à son âme.

Arselène Ben Farhat

 

 

 

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