News - 24.08.2021

Bourguiba, le Musulman

Bourguiba et L'Islam

Sihem Bouzgarou Ben Ghachem - Aucun être humain, quelle que soit la profondeur de ses connaissances religieuses, n'est habilité à juger de la profondeur de la foi d'un autre être humain! D'ailleurs, celui, parmi les cheikhs, qui s'octroie ce pouvoir ou s'arroge le droit de juger de la croyance d'autrui, s'est attribué des prérogatives divines! Action totalement bannie par Dieu et ses prophètes ! Seul le Tout-puissant a le pouvoir de sonder les abîmes de l'âme humaine et de déterminer de la sincérité des croyants! D'ailleurs, le Seigneur avait dénié le droit de convertir par la force à son Prophète, maintes fois il est dit dans le Coran : "Prophète, tu ne dirigeras point vers Dieu qui tu aimerais sauver. Dieu dirigera qui il veut." (Le Récit, 56) (الغاشية22). De fait, s'interroger sur la profondeur de la foi de Bourguiba ou de quiconque est malvenu et inconvenant! Nous n'avons aucune latitude d'interférer ou de nous immiscer dans cette relation de Dieu avec sa créature!

Bourguiba et ses détracteurs

Les adversaires de Bourguiba, qu'ils soient des hommes politiques ou religieux l'ont souvent accusé d'être un apostat à cause de ses attitudes provocatrices ou de ses prises de position différentes des leurs.

Commençons par son attitude vis-à-vis des préceptes religieux ou devrais-je dire de son interprétation de ces prescriptions. Il est indéniable qu'il a adopté une démarche qui se démarque de celle de ses pairs, mais que certains, parmi les cheikhs zitouniens avaient suivie, également, à l'instar des cheikhs Tahar et Fadhel Ben Achour, pour ne parler que des Tunisiens. Bourguiba était convaincu que, en tant que religion, l'islam est ouvert et tolérant et surtout qu'il encourage l'exégèse et les interprétations humaines, sinon, il ne pourra jamais s'adapter à la réalité historique et sociale. Alors que les cheikhs, pour la plupart, qu'ils appartiennent à son époque, ceux de l'époque actuelle, sont intimement convaincus qu'il ne faut pas interpréter quand le Texte a déjà statué! Bourguiba quant à lui était persuadé que pour être compatible avec toutes les périodes historiques le Coran doit s'adapter aux règles, lois et conventions qui régissent l'époque actuelle! Ainsi, pourrions-nous attester de la justesse de la mutilation des membres, alors que toutes les lois et conventions internationales dénoncent ces pratiques comme attentatoires à l'intégrité humaine? Bourguiba a tranché et a estimé que les pratiques inhérentes aux premiers temps de l'Islam sont incompatibles avec l'époque contemporaine, par conséquent, ils les rejetées.

La laïcité de Bourguiba

Ses détracteurs, et ils sont nombreux, l'ont accusé d'être laïc, sans pour autant chercher à comprendre le sens premier de la laïcité et, surtout, en lui conférant une charge négative péjorative.

D'ailleurs Bourguiba a clairement affirmé lors d'une interview accordée à une journaliste canadienne qui lui avait posé la question suivante : " Que pensez-vous de ce que l'on entend souvent en Occident qu'il y aurait une incompatibilité entre un État laïque moderne, comme celui que la Tunisie est en train d'édifier et l'Islam comme religion du peuple," sa réponse péremptoire fut :"L'État tunisien moderne n'est pas laïc, c'est un État musulman, mais progressiste."

En réalité, les détracteurs de Bourguiba ont perdu de vue que la laïcité française est différente de celle, par exemple, adoptée en Angleterre ou en Belgique. Par conséquent, chaque nation adopte et adapte la laïcité au contexte spatio-temporel dans lequel elle évolue. Par ailleurs, dans ces pays catholiques où le clergé, joue le rôle d'intermédiaire entre le Créateur et sa Créature, la laïcité s'est imposé d'elle même puisque le corps ecclésiastique s'est octroyé le droit d'interférer dans cette relation, et par delà, d'interférer dans les affaires de l'État, se permettant même de museler et de censurer les activités intellectuelles et étatiques.
De fait, prétendre que la Tunisie est laïque s'annule par lui-même étant donné que la notion même de clergé n'existe pas pour les sunnites. En outre, la laïcité française à laquelle on attribue, à tort, une influence indéniable sur le projet réformateur du président, était loin d'être parfaite ou modèle.

De plus, nombreux sont ceux qui avaient confondu athéisme et laïcité. Peut-être, voulait-on, sciemment induire en erreur ceux qui parmi nous ignorent le sens des deux termes et pour également légitimer leurs accusations contre lui?

Rappelons à cet effet que la laïcité garantit à tous les citoyens la liberté de conscience, de croyance et d’expression, leur assure le droit à une coexistence harmonieuse protégée par des lois civiles et préserve leur intégrité physique.

Alors que l'athéisme est la négation totale de l'existence de toute divinité. Ajoutons que la laïcité garantit à tout citoyen le droit de croire ou de ne pas croire, par conséquent que l'on soit athée ou croyant ou agnostique ou bouddhiste nous bénéficions des mêmes droits et des mêmes devoirs! Si nous sommes athées nous ne serons ni rejetés, ni stigmatisés, et nous jouirons de cette liberté de conscience assurée par la laïcité!

Bourguiba et la mosquée Ezzitouna

Tous ceux qui se sont penchés sur l'analyse des cycles d'études de la Mosquée Ezzitouna ne sont pas sans isavoir la déliquescence et l'absurdité des programmes et des enseignements dispensés au sein de la Grande Mosquée ! Bien avant l'indépendance, et suite à l'expédition française en Égypte, les Arabes découvrirent les progrès de l'Occident et commencèrent à s'interroger sur les mobiles de leur retard. Ce fut l'inauguration de ce que l'on appela, par la suite, le Mouvement des Lumières ou de la Réforme de la culture arabe. C'est ainsi qu'à partir de 1910, soutenus et encouragés par les enseignants, les étudiants de la Grande Mosquée, revendiquèrent une réforme de l'enseignement zitounien, à l'instar de leurs homologues d'El Azhar.

Je vous renvoie à ce propos, aux journaux de l'époque, tels que Al Mozeej المزعج, (L'Importun, paru en 1906 et censuré en 1907), qui s'était spécialisé dans la critique de la pédagogie des enseignants zitouniens, et avait même attribué à cet enseignement le titre peu glorieux de "L'homme malade" ! Les journalistes de L'Importun estimèrent que les enseignants de l'Illustre mosquée souffraient de lourds handicaps qu'ils dissimulaient sous l'intimidation et la menace! Par ailleurs, Le Cheikh Tahar Ben Achour, ténor du mouvement réformateur de l'enseignement zitounien et son fer de lance, décrivit, quant à lui le retard méthodologique et notionnel de cet enseignement, dans son célèbre ouvrage L'Aube n'est-elle point imminente!

Du reste, il est communément admis, par les Tunisiens, à quelques générations qu'ils appartiennent, que Bourguiba, ostensiblement hostile à l'identité du peuple, avait éteint le flambeau de la science au sein de la Mosquée! Mais il est indéniable que cette conviction erronée empêcha ses détracteurs d'analyser objectivement la situation réelle de l'enseignement zitounien. Par conséquent, parler du rayonnement de la Grande Mosquée et de son rôle avant-gardiste, comme un phare de la science et de la culture, procède plutôt d'une contestation idéologique que d'une transposition exacte de la réalité.

Sihem Bouzgarou Ben Ghachem
 

Vous aimez cet article ? partagez-le avec vos amis ! Abonnez-vous
commenter cet article
1 Commentaire
Les Commentaires
Ezedine Hadj-Mabrouk - 28-08-2021 09:59

Très bon article très bonne analyse. Manquait juste un éclaircissement sur la vraie position de Bourguiba sur le jeûne du mois de ramadan. Position très rationnelle et très pragmatique ne rejetant aucunement le jeûne.

X

Fly-out sidebar

This is an optional, fully widgetized sidebar. Show your latest posts, comments, etc. As is the rest of the menu, the sidebar too is fully color customizable.