News - 12.06.2021

Présentation de Mélanges d’Histoire ancienne du Professeur Ammar Mahjoubi : un hommage à l'historien de la Tunisie antique

Les Mélanges d’Histoire ancienne du Professeur Ammar Mahjoubi

Par Professeur Houcine Jaïdi - Monsieur le Président de l’Académie, madame la Directrice  du Département des Sciences Humaines et Sociales, mesdames et messieurs les membres de l’Académie, monsieur le Directeur général des Editions Leaders, cher(e)s collègues et ami(e)s, mesdames et messieurs.

Dans l’ouvrage du Professeur Ammar Mahjoubi que j’ai l’honneur et le plaisir de vous présenter, il y a beaucoup de science, de pédagogie et d’engagement. L’exercice difficile auquel je m’adonne, aujourd’hui, devant vous, consiste à dire, en peu de mots, où réside la grande science, où se dégage la pédagogie de haut niveau et où se révèle l’engagement sans relâche.
Mais avant de montrer les qualités de l’ouvrage, je commencerai par donner un aperçu de son contenu. Je terminerai ma présentation par des remarques qui soulignent  l’originalité de la coédition. 

Une publication destinée au grand public

Ceux parmi vous qui ont déjà pris connaissance de l’ouvrage savent qu’il s’agit d’un choix d’articles  publiés, du mois de juin 2017 au mois de décembre 2019, dans le  magazine Leaders et mis en ligne sur le site Web portant le même nom.  Dans cette trentaine de contributions qui totalisent près de 320 pages et dont chacune est composée d’une dizaine de pages en moyenne, l’auteur a traité divers sujets qui se rapportent tous à son domaine de spécialité, l’histoire ancienne, celle de la Tunisie et du Maghreb d’abord, mais aussi celle de la Méditerranée hors Maghreb, avec quelques prolongements en direction de la Mésopotamie, et du Plateau iranien.

Dans le livre, les articles ont regroupés en cinq rubriques :

Le Proche-Orient antique (4 articles): Palmyre/Tadmur et Zenobia ; A l’aube de l’Histoire, la Mésopotamie ; L’épopée de Gilgamesh ; Les Perses Achéménides.

Carthage et les royaumes numides (6 articles): A l’aube de l’histoire de la Tunisie. De la fondation de Carthage à son ancrage africain ; Les relations extérieures de l’Etat carthaginois. Traités, pactes et conventions conclus du VIe au IIIe s. av.-J.-C. ;  La constitution de Carthage ; Les royaumes indigènes du Maghreb antique ; Hannibal ; 149-146 av. J.-C. à Carthage : les années finales.

Rome et sa province africaine (8 articles): Pompéi ; Evergétisme et charité ; La corruption électorale à Rome ; Augustin et la quête de la sagesse ; Augustin, évêque d’Hippone ; Henchir el-Faouar. La cité antique des Belalitani Maiores ; L’éradication de la langue et de la culture latines au Maghreb ; Survivance du latin et de la Culture antique au Maghreb.

Les Hébreux et le monothéisme (3 articles): Du paganisme au monothéisme. L’évolution religieuse des Hébreux ; Compte rendu du livre de l’historien Shlomo Sand « Comment le peuple juif fut inventé » ; A propos du fondamentalisme religieux et ses antécédents.

Réflexions et opinions diverses: (8 articles) : Du classement des constitutions à la distinction entre démocratie et ochlocratie ; De l’altérité de la démocratie grecque et des démocraties occidentales contemporaines ; La cité antique ; Le régime des notables dans la cité antique ; Soumission ou opinion publique ? ; Dépolitisation et apolitisme ; L’historiographie du Maghreb antique ; Au cœur de la Méditerranée, mers et littoraux.
Les titres des rubriques, à eux seuls, montrent la grande diversité des sujets.

Du contenu de l’ouvrage  se dégagent  trois caractéristiques principales:

De par sa nature, le livre n’est pas une matière organisée en chapitres écrits de manière suivie, et rattaché à un sujet global. Mais cela n’exclut pas une continuité évidente entre certains articles comme c’est le cas des deux contributions consacrées à l’histoire du latin et de la culture antique au Maghreb ainsi que les des deux articles qui traitent de saint Augustin ou encore les trois articles où sont présentés la cité antique et des aspects de la vie municipale.

Au total, l’ouvrage apparaît comme un manuel de haute vulgarisation de l’histoire ancienne de la Tunisie et de son environnement plus ou moins proche qui a laissé des empreintes dans sa longue aventure historique. Mais si des faits sont utilement rappelés dans chaque contribution, c’est la réflexion qui domine et qui charpente l’ensemble de l’ouvrage.

Les contributions se rapportent  à des sujets précis qui se justifient par eux-mêmes. Mais de nombreux sujets sont un clin d’œil et parfois même un parallèle détaillé entre des réalités antiques et celles de nos jours, en Tunisie, dans le mode arabe ou dans les sociétés occidentales. De ce fait, ils apportent l’éclairage de la mise en perspective d’où l’historien fait ressortir les filiations, les altérations et les ruptures.

Compte tenu de ces caractéristiques, on ne peut que saluer  le fait que l’auteur ait choisi pour son ouvrage le titre  ‘’Mélanges d’histoire ancienne’’.

Je pourrai parler longuement de chaque sujet traité par l’auteur mais je ne le ferai pas parce que je ne voudrais pas vous priver du plaisir de lire ou de relire l’ouvrage pour en apprécier à la fois la diversité et l’unité. C’est  plutôt aux qualités de l’ouvrage que je voudrais consacrer l’essentiel de mon propos.

Un ouvrage aux multiples qualités

Un condensé de vastes connaissances

On ne présente pas le Professeur Ammar Mahjoubi. Mais je voudrais rappeler aux non spécialistes de l’histoire ancienne les fondements des vastes connaissances historiques qui se révèlent dans l’ouvrage autour duquel nous sommes réunis.      

L’auteur, qui est aujourd’hui le doyen des historiens universitaires tunisiens toutes spécialités confondues et de Beït

l-Hikma, vit avec la discipline ‘’Histoire’’ depuis près de trois quarts de siècle, en tant qu’étudiant, chercheur à plein temps et enseignant-chercheur universitaire en exercice puis en retraite studieuse. Après la formation solide qu’il a reçue au Collège Sadiki puis à l’Institut des Hautes Etudes de Tunis, c’est en 1961 qu’il a soutenu, en Sorbonne, sa thèse de doctorat de 3e Cycle dont le sujet était ‘’ La région de Béjà dans l’Antiquité’’.

Ce travail était, en fait, une première approche d’un sujet sur lequel, il avait commencé à travailler en 1959 et auquel il allait consacrer l’essentiel de son temps pendant une quinzaine d’années. L’enquête consistait en fouilles archéologiques et recherches historiques concernant le site de Henchir el-Faouar, situé à une dizaine de kilomètres au nord-est de la ville de Béja. Au fil des campagnes de fouilles, ce site s’est révélé être celui d’une petite cité d’origine numide dont les citoyens s’appelaient, à l’époque romaine, les ‘’Belalitani Maiores’’. De cet ethnique, le Professeur Mahjoubi, qui en est le découvreur,  a déduit que la cité devait s’appeler très probablement Belalis Maior. Ces recherches très fructueuses ont été présentées dans le cadre d’une thèse de doctorat d’État, soutenue en Sorbonne, en 1974 et publiée par l’Université de Tunis en 1978. La publication a été saluée par les plus grandes spécialistes de l’Antiquité tardive comme une avancée majeure dans la connaissance du Maghreb romain et plus généralement l’Occident romain, surtout durant le IVe siècle ap. J.-C. Avant la parution de ce grand livre,  le Professeur Mahjoubi avait publié, seul ou en tant que coauteur,  plusieurs études qui ont fait état de découvertes importantes en plusieurs endroits : Carthage, Kerkouane, Raqqada, Kairouan, les environs de Béjà …. Ses nombreuses publications en Tunisie et à l’étranger ont embrassé un large spectre allant de la découverte archéologique ou épigraphique à la synthèse relative à un vaste sujet.  Sa contribution au développement des études anciennes à l’Université de Tunis se révèle aussi à travers les nombreux mémoires et thèses qu’il a dirigés et qui ont couvert, avec des sujets très variés, toutes les périodes de la longue Antiquité tunisienne.

Les contributions publiées dans le livre autour duquel nous nous réunissons aujourd’hui sont donc basées sur un grand savoir accumulé pendant plus de deux générations et nourri d’une expérience d’homme de terrain doté d’une très vaste culture. C’est cette vaste culture, servie par une connaissance approfondie des langues grecque, latine et arabe, et de plusieurs langues vivantes étrangères qui a permis à l’auteur de traiter, dans son livre, avec beaucoup d’assurance, des sujets qui ne font pas partie de son domaine de recherché privilégié qui est l’histoire ancienne de la Tunisie et particulièrement la période romaine. 

Une pédagogie éprouvée

Dans l’ouvrage, les marques de la pédagogie sont omniprésentes.

On les constate d’abord au niveau du ‘’format’’ choisi pour le livre. L’auteur n’a pas voulu écrire un livre au sens où en entend ce mot généralement et comme il l’a fait lui-même tant de fois pour d’autres publics. Il a choisi d’offrir à ses lecteurs des articles parus, au fil des mois, dans un magazine en version papier et dans sa version électronique. L’avantage n’est pas mince dans la mesure où le lecteur peut aborder, par des textes courts et dans l’ordre qu’il choisit, des développements aussi instructifs les uns que les autres et dont la date de parution dans Leaders est toujours indiquée pour en rappeler le contexte.

La pédagogie se révèle aussi dans les nombreuses précautions prises par l’auteur afin de faciliter la lecture de l’ouvrage aux non spécialistes. Ainsi, a-t-il souvent rappelé les étymologies et les définitions de certains concepts propres à l’histoire ancienne. Au besoin,  il n’a pas hésité à donner la traduction d’un mot en arabe ou à entreprendre des  rapprochements avec des réalités plus proches et plus connues, sans tomber dans l’extrapolation. Le recours aux notes de bas de page est extrêmement rare et quand la citation des sources ou des études est jugée nécessaire, elle est faite, le plus souvent, entre parenthèses, dans le corps du texte. De cette manière, le propos est précis tout en étant digeste et fluide.

Mais faut-il s’étonner de tant de pédagogie de la part d’un auteur qui a commencé à enseigner l’histoire, il y a plus de soixante ans. Le jeune enseignant  qui a commencé sa carrière au Lycée de garçons de Sousse a, après la parenthèse des années de thèse, passées à Paris, exercé, pendant une demi-douzaine d’années en tant que chercheur à plein temps à l’Institut national d’Archéologie et d’Arts (l’actuel Institut national du Patrimoine), chargé d’animer les recherches historiques et archéologiques. Puis, il entama, à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Tunis, une carrière d’enseignant-chercheur qui s’est étalée sur près de trente ans.

Moins de dix ans après le début de cette troisième tranche de vie professionnelle, il a été chargé de la direction de l’Ecole Normale Supérieure de Tunis où il continué à enseigner tout en assurant une formation de 3e Cycle dans sa Faculté d’origine. Après cette charge, la direction de l’Institut Supérieur de l’Education et de la Formation Continue et celle de  l’Institut Supérieur de l’Histoire du Mouvement National (l’actuel Institut Supérieur de l’Histoire de la Tunisie Contemporaine) ne l’ont jamais coupé de l’enseignement et de l’encadrement des travaux des jeunes chercheurs.

Son départ à la retraite, au milieu des années 1990,  lui a permis de publier, à partir de l’année 2000, de nombreux ouvrages rédigés en arabe ou en français. Ces publications commencées au Centre des Publications Universitaires (CPU), ont été réalisées, en partie, par la maison d’édition ‘’Ibn Zeidoun’’ fondée par le regretté Mohamed Abdeljaoued et par  l’Or du Temps. Destinés d’abord aux étudiants et au  grand public, ces ouvrages n’étaient pas seulement des synthèses commodes et utiles ; ils portaient la marque personnelle d’un grand spécialiste des questions abordées. En cela, comme dans ses enseignements, le Professeur Mahjoubi respectait parfaitement la règle énoncée, au  début du Ve siècle ap. J.-C., par saint Jérôme qui, dans une lettre célèbre, adressée à une jeune fille très cultivée qui se plaignait à lui du niveau déplorable de son précepteur, a proclamé : «Il faut longtemps apprendre ce qu’on doit enseigner».

En consacrant, au cours des deux dernières décennies,  une bonne partie de son temps à écrire pour le public estudiantin et, plus généralement  pour le grand public, le Professeur Mahjoubi renouait, en fait, avec ce qu’il avait commencé à faire plus de trente ans auparavant et qu’il avait délaissé, un temps, pour se consacrer entièrement à la recherche, à l’enseignement, à l’encadrement des jeunes chercheur et à la gestion des établissements de recherche et d’enseignement. Il faut rappeler, ici, qu’il a fait partie, à la fin des années 1960, de la jeune équipe d’enseignants-chercheurs tunisiens qui a rédigé, en plusieurs tomes, la première ‘’Histoire de la Tunisie’’. Dans le cadre de cette publication entamée, en 1968, par la Société Tunisienne de Diffusion (STD), l’élaboration du premier tome de la série, consacré à l’Antiquité, a été confiée à feu Hédi Slim, au Professeur Mahjoubi et au Professeur Khaled Belhkodja.

En plus de sa contribution à la rédaction de ce volume, le  Professeur Mahjoubi s’est chargé, dans le cadre de la même série, de la rédaction d’un ouvrage consacré aux cités romaines de Tunisie. Ces deux volumes (comme tous les autres de la même série) ont comblé un vide immense. Ils sont toujours utilisés après avoir été réédités, avec une mise à jour substantielle, l’un, en 2003, par Sud Éditions animées, alors, par feu Mohamed Masmoudi  et l’autre, en 2004, par  l’Agence de Mise en Valeur du Patrimoine et de Promotion Culturelle. La mise à jour et le souci de refléter la nouvelle teneur des deux ouvrages ont dicté une modification de leurs titres : L’ ‘’Histoire de la Tunisie’’ est devenue ‘’Histoire générale de la Tunisie’’ et ‘’Les cités romaines de Tunisie’’ ont cédé la place aux ‘’Cités antiques de Tunisie’’.

Avant ces deux éditions revues et augmentées, le Professeur Mahjoubi avait contribué, par un chapitre substantiel, à ‘’L’Histoire générale de l’Afrique ‘’, publiée par l’Unesco, en 1980 et qui était destinée à la fois aux étudiants en Histoire et au grand public.
Dans cette énumération des écrits qui relèvent de la haute vulgarisation, il faut aussi citer le recueil de textes d’Apulée, le célèbre auteur latin africain du IIe siècle ap.-C. Les textes de ce recueil, choisis et introduits par le Professeur Mahjoubi, ont été traduits en arabe par feu Larbi Abderrazzak et publiés par Beït al-Hikma, en 1998.

Quand feu Mohamed Charfi a entamé, à la fin l’année 1989, en tant que ministre de l’Education et des Sciences, la réforme des programmes et des manuels scolaires, la présidence de la commission relative à l’histoire ancienne a été confiée au Professeur Mahjoubi. Sous sa houlette, une refonte radicale a été entreprise. La réforme a été marquée, entre autres, par l’introduction d’un enseignement consistant de l’histoire ancienne dans les programmes de la première Année de l’Enseignement Secondaire alors qu’elle n’existait jusque là qu’au niveau de la 7e Année de l’Ecole de Base. C’est ainsi que, depuis une trentaine d’années, les élèves tunisiens ont droit à une meilleure connaissance de la longue histoire ancienne de leur pays.

Les loyaux services rendus par le Professeur Mahjoubi au monde éducatif ont été couronnés, plus d’une fois, par la reconnaissance publique qu’il n’a jamais cherchée. Parmi les nombreuses décorations tunisiennes et maghrébines qu’il a reçues à partir de 1969, figure sa décoration, en 1995, de l’Ordre tunisien du Mérite de l’Enseignement.

Il est donc évident que le Professeur Mahjoubi n’a pas commencé, en 2017, à écrire pour les étudiants en Histoire et pour le grand public. Il avait commencé à le faire un demi-siècle plus tôt tout en continuant à publier dans le cadre académique, comme en témoignent, au cours des dernières années, ses nombreuses contributions aux activités scientifiques de Beït al-Hikma, parues régulièrement dans la série  intitulée ‘’Les conférences de Beït al Hikma’’.

L’engagement continu

Les thèmes traités par le Professeur Mahjoubi dans ses contributions parues dans  Leaders ont souvent été inspirées par l’actualité parfois brûlante. Mais cela ne poussait pas forcément l’auteur à réagir à chaud. Au besoin, il prenait le temps de réfléchir, de se documenter longuement, de demander l’avis d’un connaisseur sur un aspect particulier de la question. En somme, il s’occupait de la question à la manière d’un savant qui, tout en étant sûr de tout ce qu’il sait, n’hésite pas, pour tout le reste, à demander l’avis d’un tiers en qui il a confiance. Pour illustrer cette démarche, je prendrai deux exemples.

L’article intitulé ‘’Palmyre /Tadmur et Zenobia ‘’ (p. 41-54) a été publié dans Leaders du mois de mars 2017. En ce mois, le célèbre site antique de Syrie, classé au patrimoine mondial de l’Unesco, venait de sortir d’un cycle d’atrocités inouïes qui lui avaient été infligées par les hordes de Daech, en deux sinistres épisodes qui ont secoué la conscience mondiale, du mois de mai 2015 au mois de janvier 2017. Des monuments d’une valeur inestimable avaient été détruits ou pulvérisés à l’explosif ; des centaines d’habitants avaient été massacrés. Parmi les victimes, il y avait l’archéologue et universitaire Khaled al Assad qui a été décapité, à l’âge de 81 ans, là où il avait travaillé pendant 40 ans. Je peux témoigner que tous ces grands malheurs, qui ont affligé à la fois les êtres humains et les vestiges précieux de la célèbre cité antique, ont été vécus, pendant près de deux ans, par le Professeur Mahjoubi avec une grande douleur. Mais pour écrire son article sur Palmyre, il a pris le temps de lire, entre autres, l’excellent livre de Paul Veyne, publié en décembre 2015 sous le titre ‘’Palmyre. L’irremplaçable trésor’’. Et comme Zénobie, la reine de Palmyre n’était autre que  Al Zabaà des auteurs arabes, le Professeur Mahjoubi n’a pas hésité à s’adresser à son grand ami de longue date, feu Mohamed Yalaoui, pour l’éclairer sur l’apport des sources arabes. De là est sortie la lumineuse page 52 du livre où se conjuguent l’érudition de l’historien de l’Antiquité et celle du spécialiste de la langue et de la littérature arabes. 

- L’article intitulé ‘’Du classement des constitutions à la distinction entre démocratie et ochlocratie’’ (p. 248-257) est paru, dans Leaders, au mois d’août 2018. Dans cette contribution, l’auteur a cherché à distinguer la vraie démocratie de ce que Polybe, l’historien grec du IIe siècle av. J.-C. avait appelé ‘’ochlocratie’’, ce qui veut dire en grec ‘’le gouvernement de la multitude’’  ou ‘’le gouvernement de la foule’’. Au mois d’août 2018, notre pays sortait des premières élections municipales organisées après l’adoption de la nouvelle constitution. La campagne électorale  s’était déroulée dans un contexte marqué par des contestations populaires qui sont allées jusqu’au blocage des routes et des sites de production des matières premières. Ces comportements avaient été justifiés, de temps à autre, par de nombreux discours démagogiques qui ne perdaient pas de vue l’échéance électorale toute proche. Attentif à tout cela, le Professeur Mahjoubi a voulu montrer, dans son article, que ce qui se passait dans notre pays avait des antécédents bien anciens qui se présentaient bien évidemment sous les formes de leur époque.  En s’appuyant sur les textes anciens, d’Hérodote à Polybe, sur les analyses  précieuses de Jacqueline de Romilly mais aussi sur celles, si proches dans le temps, du constitutionnaliste et politologue Oscar Ferreira, il a rappelé que le diktat de la foule peut, en tout temps, être soumis à la tutelle d’un démagogue, avec le risque de déboucher sur une tyrannie pure et dure.

Dans plus d’un article, l’auteur a mis en valeur les grands acquis de notre pays pendant sa longue Antiquité qui couvre la moitié de ses trois mille ans d’histoire. Cela l’a amené à rappeler l’importance des contributions des femmes et des hommes de notre pays à l’édification de la civilisation universelle. Avec beaucoup de douleur, il a, plus d’une fois, constaté que  de nombreux Tunisiens, y compris parmi les plus instruits, ne sont plus portés à s’approprier l’immense histoire ancienne de leur pays,  en la considérant comme la leur à part entière. Ses appels argumentés pour cette appropriation ont le souffle d’un message qui est la fois celui de la raison et du patriotisme.

Voici quelques lignes de l’un des deux articles qu’il a consacrés à Saint Augustin sous le titre ‘’Saint Augustin, évêque d’Hippone’’, publié dans le magazine Leaders du mois de juin 2018 :

«Sait-on qu’en reniant Augustin, on renierait l’héritage de plus d’un millénaire de notre histoire ? Millénaire qui fit de la Carthage punique puis romano-africaine l’un des pôles principaux de la culture antique. Sait-on qu’avec ce reniement on entérine implicitement les desseins de la politique coloniale ? En procédant à une destruction progressive de notre identité, celle-ci commença par s’approprier, en nous en dépouillant, le legs de notre histoire ancienne. Sait-on enfin qu’il est vain de renier Augustin, car l’humanité entière et l’Occident en particulier véhiculent, consciemment ou non, des concepts augustiniens ? ‘’Parfois même, écrit A. Mandouze, elle parle Augustin sans le savoir’’. Or c’est peu ou prou, notre culture des IVe et Ve siècles qui irrigue l’œuvre d’Augustin, et partant irrigue le tissu de toute l’humanité. […] Certes notre religion est l’islam et notre langue est l’arabe ; mais en quoi l’adoption de cette langue et de cette religion justifierait-elle le reniement du legs de nos ancêtres, le reniement de notre culture ancienne ?» (p. 170).        

Dans tous ces exemples que je viens de citer, le professeur Mahjoubi, sans se départir de la rigueur scientifique qui l’a toujours habité, fait preuve d’un engagement constant à défendre la vérité autant qu’elle peut être accessible à l’historien, et à servir les causes justes et l’intérêt général. Cette posture intellectuelle est en conformité avec une ligne de conduite, un choix de vie qu’il a fait depuis sa prime jeunesse. N’a t-il pas commencé à militer dans le Mouvement national alors qu’il était encore élève au Collège Sadiki ? N’a-t-il pas  participé, en mars 1952, à l’organisation d’une audacieuse manifestation d’opposition au pouvoir colonial, dans son propre collège et dans six autres lycées du pays ? N’a-t-il pas été l’un des fondateurs de l’UGET en 1952 ?

Devenu enseignant puis enseignant-chercheur, responsable de structures scientifiques ou pédagogiques, ou alors directeur d’établissements de natures diverses, il a toujours considéré la charge universitaire comme un devoir qu’il accomplissait à la manière d’un sacerdoce. 

Une coédition originale et bienvenue

Voila donc un ouvrage dans lequel un grand savant s’adresse au grand public pour l’entretenir, avec les mots qu’il faut,  de questions généralement  pointues mais souvent d’actualité. Quel meilleur cadre pour l’édition d’un tel ouvrage qu’une coédition entre la vénérable Académie dont l’auteur est membre actif et Les Editions Leaders dont le magazine et le site Web ont été les premiers à diffuser les textes auprès du grand public ? Maintenant que la chose est faite, elle peut sembler évidente, couler de source. Mais ce serait oublier toute la distance qui sépare encore, dans notre pays, le monde académique de la presse fût-elle de grande qualité. Il est vrai que Beït al-Hikma  a quelques précédents en matière de coédition et que le vénérable établissement a lancé, il y a déjà longtemps, L’Encyclopédie tunisienne en version papier puis, récemment, en version électronique. Cette Publication a, aujourd’hui, à son compte, une masse appréciable de savoir mis à la disposition du grand public sous forme de notices qui ont, très souvent, comblé un vide complet. Il est vrai aussi que Leaders a compté, dès sa création, de nombreux universitaires, parmi ses collaborateurs réguliers, leur assurant une liberté totale d’expression à tel point que le magazine est devenu pour certains d’entre eux une sorte de seconde famille. Mais il n’est pas moins vrai que la coédition de l’ouvrage du Professeur Mahjoubi est doublement originale, de par la genèse de l’œuvre comme de par le statut des deux partenaires. Il faut, donc, en savoir gré aux initiateurs du projet.

Leaders est, depuis quelques années, un éditeur d’ouvrages originaux et importants dont un bon nombre est issu des contributions d’universitaires qui écrivent régulièrement dans des sujets relevant de leur spécialité première ou avec lesquels ils sont très familiarisés. La librairie en ligne (Leaders.books.com.tn) qu’il a créée, il y a peu, est un moyen de diffusion moderne et pratique. Parmi les nombreux ouvrages publiés par Les Editions Leaders, une demi-douzaine de titres, dont celui du Professeur Mahjoubi, sont disponibles en version électronique. Ces copies digitales, sont destinées à un public qui, pour une raison ou une autre, préfère ce format. Dans la collection de Leaders, un ouvrage est disponible, en deux versions : l’une, qui est baptisée ‘’Edition Gold’’ est un grand format quadrichromie richement illustré alors que la seconde est désignée ‘’Livre universitaire’’. La version électronique d’un autre ouvrage est, depuis quelques jours, disponible sur la plateforme Amazon.

Ainsi, la coédition de l’ouvrage du Professeur Mahjoubi a inauguré, à ma connaissance, la vente des ouvrages des membres de Beït al-Hikma en version digitale. C’est là, le résultat heureux d’un Partenariat Public Privé auquel on ne peut qu’espérer un développement rapide.

Mesdames et messieurs, jusqu’ici, je me suis adressé à vous pour une présentation du livre, éclairée, je l’espère, par des jalons de la longue vie d’auteur du Professeur Ammar Mahjoubi. Je voudrais, avec votre permission, terminer en m’adressant à l’auteur en lui disant ceci :

Monsieur le Professeur et cher Maître,

En assistant, en votre 90e année, à la présentation de votre livre disponible en version papier et en version digitale, vous faites honneur, une fois de plus, à l’Université tunisienne, à Beït al-Hikma et au monde de l’édition de qualité. En retour, vous avez bien mérité de ces trois milieux qui se révèlent, à travers la publication de votre livre, solidaires  pour assurer l’épanouissement de la pensée libre et responsable et pour la diffusion des œuvres utiles à notre pays qui est pour vous plus cher que tout.
Quel meilleur vœu, cher Maître, en cette grande assemblée qui vous rend un hommage appuyé malgré le contexte sanitaire très particulier, que de vous souhaiter la bonne santé et la sérénité grâce auxquelles vous continuerez, à gratifier vos nombreux lecteurs, encore longtemps, de vos écrits à la fois instructifs et stimulants ?

Professeur Houcine Jaïdi

Lire aussi

Pr Ammar Mahjoubi ce vendredi 13 juilet à Beit al Hikma pour la présentation de son livre ‘’Mélange d’histoire ancienne’’
 

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