News - 10.06.2021

Afif Ben Yedder - Si Béchir Ben Yahmed : Un maître pour moi. Et quel maître !

Si Béchir Ben Yahmed: Un maître pour moi. Et quel maître !

Par Afif Ben Yedder - A ma sortie de HEC, j’ai rejoint Jeune Afrique à Rome en 1963. L’appartement de la via Del Babuino servait aussi de bureau ! J’y ai connu Si Mohamed Ben Smaïl, le rédacteur en chef, qui est devenu un très grand ami. BBY et MBS étaient Djerbiens comme moi. Ils avaient respectivement douze et quinze ans de plus que moi. Ils m’ont pris sous leur aile et je leur dois beaucoup.

C’était l’époque héroïque des indépendances africaines. Ma première mission a été un voyage d’initiation de trois mois en Afrique subsaharienne francophone.

Jeune homme de 23 ans, j’étais reçu par les chefs d’Etat, les ministres, les leaders politiques et économiques africains. C’était le début d’une aventure passionnante et enrichissante.

Je côtoyais BBY tous les jours, matin, midi et soir.  Souvent très, très tard le soir. Ma femme – pour laquelle mon patron avait une affection rare - nous rejoignait alors avant de s’endormir à moitié sur un divan. Infatigable, il ne prenait jamais de véritables vacances. Il a travaillé avec acharnement toute sa vie, weekends compris, jusqu’à la veille de sa mort.

Béchir pouvait intimider et même plus, mais avec ceux qu’il appréciait, il était lui-même, charmeur, taquin et plein d’humour. Il n’y avait pas de meilleure compagnie, il pétillait d’intelligence et avait l’art de bien raconter des histoires et des anecdotes. Il aimait lire les publications en anglais et les livres politiques. Il bombardait ses collaborateurs de notes à l’encre verte, imitant en cela le président Bourguiba qu’il admirait beaucoup. Il confrontait ses idées avec des personnalités très influentes. Il avait des opinions solides et avait le courage nécessaire de les défendre contre vents et marées. Au détriment des intérêts du magazine.

J’ai travaillé pendant plus de dix ans avec BBY avant de prendre mon envol et lancer mon propre groupe de presse. Pendant cette période faste, j’ai rencontré des journalistes talentueux qui ont fait leurs débuts chez nous avant de devenir célèbres en France. Jeune Afrique a été une véritable pépinière. J’ai rencontré aussi des hommes politiques illustres et des dirigeants africains fameux qui avaient leur entrée  au journal.

On était une petite équipe soudée et on a tout appris sur le tas. Quand j’ai ouvert le bureau de Paris, j’ai utilisé pendant très longtemps mon chéquier personnel pour payer les fournisseurs et les pigistes avant de pouvoir créer une société française.

En ces temps-là, Jeune Afrique n’était pas riche. Tous les ans, on établissait un budget pour la banque. Et tous les ans, on dépensait ce qui était prévu et même plus, sans jamais arriver à atteindre nos objectifs de recettes! Au grand dam de la banque qui a été pour nous d’un soutien sans faille. Contrairement à moi, cette situation périlleuse n’a jamais vraiment inquiété le patron. Il avait le don et la baraka de toujours trouver une solution pour sortir de l’impasse à la dernière minute.

En plus des difficultés financières, des pays aussi importants que la Tunisie ou la Côte d’Ivoire interdisaient la vente des magazines à la suite d’articles virulents signés par Béchir Ben Yahmed: Le pouvoir personnel (sur Bourguiba) ou Le prix de l’absence  (sur Houphouët-Boigny).

Jeune Afrique a été le journal le plus saisi et le plus interdit en Afrique ! Les bureaux ont été bombardés à plusieurs reprises, comme cela a été largement rapporté récemment dans la presse.

Malgré tout cela, grâce à sa détermination, Si Béchir a réussi l’exploit de faire exister et prospérer son journal pendant plus de cinquante ans. Autour du magazine, il a fondé un solide groupe de presse et d’édition qu’il a confié à ses enfants pour le développer.

Il ne s’est pas contenté de couvrir uniquement l’Afrique francophone. Il n’y avait pas alors en Afrique anglophone un magazine influent comme Jeune Afrique. On a donc lancé Africa Magazine en anglais à Londres, où je me suis installé dès le début de 1971.  Cela a été un succès immédiat et on a pu ainsi couvrir tout le continent africain.

Si Béchir avait le don de réunir autour de lui des gens qui lui sont totalement dévoués et fidèles. Il leur accorde sa confiance et en retour ils deviennent des proches privilégiés.

Plus que quiconque, BBY a défendu les valeurs et les intérêts de l’Afrique. Et avec quel brio ! Après les combats pour les indépendances africaines, est venu celui contre les partis uniques et les dictatures. Incontournable, Jeune Afrique est devenu la voix de l’Afrique.

J’ai eu le très grand privilège – réservé à une poignée de collaborateurs –de connaître intimement un homme génial dont les immenses qualités compensaient et de loin des défauts certains, et de le servir dans ce projet auquel il a consacré sa vie: JA.

The rest is history.

Afif Ben Yedder

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