News - 03.05.2021

Béchir Ben Yahmed s’est éteint... son encre ne sèchera pas

Béchir Ben Yahmed s’est éteint... son encre ne sèchera pas

Un mois seulement après avoir bouclé ses 93 ans, Béchir Ben Yahmed, le fondateur de Jeune Afrique est décédé à Paris. Hospitalisé depuis cinq semaines suite à une infection du Covid, il a rendu l'âme, tôt ce matin, lundi 3 mai 2021. En ce jour de la célébration de la liberté de la presse. Ses initiales, BBY, ont longtemps été une grande marque de presse. Son groupe média, structuré autour du mythique hebdomadaire, a régné sans partage pendant 60 ans sur le continent africain, ses dirigeants, ses élites et tous ceux qui s’intéressent au continent noir. Béchir a façonné une légende. La sienne, d’abord, celle d’un grand patron de presse. Et c’est de Jeune Afrique. BBY et JA ont exercé un magistère d’une rare autorité et puissance.

Avril...

Le mois d’avril a toujours marqué la vie de Béchir Ben Yahmed. C’est en effet le 2 avril 1928, qu’il était né. A Djerba. Son père, Si Amor, était dans le commerce et l’agriculture. Béchir était le benjamin d’une fratrie de quatre garçons (Sadok, Brahim et Othman) et d’une fille. Si l’aîné, Sadok, a choisi de faire des études en pharmacie, Béchir préfèrera HEC Paris. Début des années 1950, la vingtaine d’années à peine entamée, il était virevoltant au Quartier Latin, assidu au Café de Flore à Saint-Germain, comme chez son voisin Les Deux Magots, temples des intellectuels, artistes et militants politiques de tous pays. Avec Hassen Belkhodja, Ben Yahmed s’engagera au cœur de l’équipe rapprochée de Bourguiba. Une longue passion ponctuée de dépits, de retrouvailles et de séparations marquera à vie leur tumultueuse relation.

C’est aussi en un mois d’avril, en 1955, que Béchir Ben Yahmed, faisant alors partie de la délégation tunisienne conduisant les négociations avec la France pour l’indépendance de la Tunisie, qu’il fondera son journal, l’Action. Le titre est celui de Bourguiba lorsqu’il avait créée en 1934, le Néo-Destour. Béchir lui redonnera vie et le mettra au goût du dernier quart d’heure de la lutte.

Un an après, et toujours au cours d’un mois d’avril, en 1956, Bourguiba nommera Béchir Ben Yahmed, secrétaire d’Etat à l’Information. A 28 ans seulement. Il était le benjamin des membres du gouvernement. Bourguiba voulait en fait le faire propulser au sein de l’Assemblée constituante, mais il n’avait pas l’âge minimum de 30 ans requis.

Dans sa fougue militante, Béchir Ben Yahmed n’hésitera pas à dire non à Bourguiba. Il osera démissionner de ses fonctions en 1957. Une grande première, on ne démissionnait pas sous Bourguiba. Il fondera le 17 octobre 1960, l’hebdomadaire Afrique Action. Une première légende déjà. Qui prendra le titre de Jeune Afrique. Un sacre. En avril 1962, (encore avril), l’atmosphère devient étouffante pour Béchir. Sa décision est prise : il partira à Rome et y en installera en mai sa rédaction, avant de finir par implanter son quartier général à Paris, dès 1964. Pour ne plus quitter la capitale française. La légende prend alors forme.

A l'encre verte

Chaque matin jusqu’à son départ de la direction du journal en 2007, confiant les commandes à soin épouse Danielle et à leurs fils Amir et Marwane, Béchir arrivait tôt le matin au bureau. Souvent à pied. Plus tard, en vélo. Il ramenait avec lui une pile de journaux, de dossiers, et de documents. Sans perdre une minute, une fois installé au bureau, il découpe des articles, sélectionne des documents.  De son stylo à l’encre verte, il donne ses instructions sur des pages de bloc-notes qu’il enverra à ses collaborateurs. De la rédaction, du service marketing, de la diffusion ou de l’édition. BBY y signalait des informations significatives, souvent peu-connues, des articles de fond, des reportages. Il indiquait des angles d’attaque pour traiter l’actualité, montrait une opportunité de publicité, d’abonnement, de vente, d’édition... Il donnait le là pour tout le groupe. Ces petits billets devenaient plus que des instructions, des ordres. Mais, aussi, source d’inspiration.

A l'encre verte des générations entière de journalistes, dirigieants ou simples lecteurs ont été biberonnées. Béchir nous quitte. Son encre ne sèchera pas.

Allah yerhamou

Taoufik Habaieb

 

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10 Commentaires
Les Commentaires
makgech - 03-05-2021 13:55

très bel éloge funèbre à un grand journaliste qui fut aussi un lucide et perspicace politologue _ éphémère homme d’État sous Bourguiba .

ABD. MAHMOUD - 03-05-2021 14:06

Lycéen, JA était ma première école-source de presse inter'le : "CQJC"... Paix à son âme !

Mohamed Ali El Bekri - 03-05-2021 16:20

C'était un grand homme , un grand journaliste , un vrai patriote . Allah Yarhmou .

Aziz - 03-05-2021 16:53

Merci Si Taoufik pour cet hommage succinctement bien structuré et joliment écrit qui résume très justement le dévouement de votre confrère, Si Béchir, à sa profession journalistique qu'il avait exercée à sa guise et en toute liberté. Et c'est pour cette raison que j’étais,à une certaine époque de ma jeunesse, un lecteur assidu de ses éditoriaux "Ce Que je Crois". qu'il repose en paix.

Kamel benyaghlane - 03-05-2021 17:27

Patron discret grand stratège paix à son âme mon patron du 54 avenue des ternes Paris 15 ,oui avec mon cousin dans les années 1970 j'ai fait mes premiers pas de travail temporaire d'étudiant à remplir des milliers d,enveloppes de flyers publicitaires au service marketing en compagnie de mon ami de toujours hbib ouaja. On était payés à l,enveloppe fermée et expédiées dans le monde entier,pour devenir quelque temps après délégué commercial de jeune Afrique auprès de tous les clients potentiels tels que foyers d'étudiants et travailleurs africains

filali - 03-05-2021 19:15

C'était un grand journaliste et pas seulement " ce que je crois " . Adieu BBY tu nous manqueras .

MOHAMED LARBI BOUGUERRA - 04-05-2021 11:20

Merci pour cet éloge mérité. J'ai voyagé avec lui il y a trois ans sur le vol Tunis-Paris. Toujours affable, mémoire d'éléphant et faisant attention aux autres. Il appréciait les écrits scientifiques et a toujours très gentiment accusé réception de mes livres: "Les poisons du Tiers Monde", "La recherche contre le Tiers Monde", "La pollution invisible". Nul ne peut oublier son courage et son flair politique quand il démissionna de son ministère de l'Information. Première protestation contre le culte de la personnalité et contre le pouvoir personnel. Paix à ses cendres. Allah yarhamou ya naamou.

H.D - 04-05-2021 14:35

C'était une sorte de César, et les journalistes et collaborateurs étaient comme des gladiateurs dans une arène obligés de montrer leurs mérites et à prouver leurs points de vue. Quant à l'encre verte, c'était sa manière de maintenir sa filiation avec le président Bourguiba qui utilisait cette couleur.

Mike Kim - 06-05-2021 16:22

Mes condoléances à ses proches. BBY n’est presque jamais neutre. Il a une ligne, mais souvent sinueuse. Ses « Ce que je crois » : des devinations, sport favori des Tunisiens, sont souvent à côté de la plaque. Ce n’est pas un saint, mais il est assez cultivé et honnête. Jeune Afrique : un hebdomadaire géré par une famille…

jamila - 07-05-2021 04:42

Un visage du nationalisme Tunisien,Maghrebin nous quitte aujourd'hui .BBY représentait aussi par Jeune Afrique la voix des Maghrebins et des Africains en France par ses analyses ,par sa vision imposées à certains Média aveuglés par leur idéologie qu'ils portent contre la liberté de la pensée exprimée par le défi d'une plume progressiste ,avant-gardiste.

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