News - 22.11.2020

Ouajdi Souilem: De l'usage de l'or en thérapeutique, du pondéral à la nanoparticule

Ouajdi Souilem: De l'usage de l'or en thérapeutique, du pondéral à la nanoparticule.

Par Ouajdi Souilem - En examinant un article récemment publié par une équipe chinoise à Hong Kong* sur la capacité que possède un médicament à base de sel d’or (Auranofine classiquement utilisé dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde**) de renforcer l’action de certains antibiotiques et de contribuer ainsi à lutter contre certaines bactéries résistantes, j’ai vu défiler dans ma mémoire le parcours historique du précieux métal royal qui est l’or (aurum metallicum) et comment cet ardent métal a pu s’imposer à la médecine moderne et revenir par la grande porte mais déguisé sous une forme nanométrique.

L’usage de l’or en médecine remonte en réalité à 2500 ans avant JC par les chinois qui faisaient appel à l’or-cinabre qui signifie or rouge en raison de la présence de cinabre qui n’est autre que le sulfure de mercure. L’ocre rouge rappelle la couleur du sang et se trouve associé à la longévité et l’immortalité  (Bonne main, revue d’histoire de la pharmacie, 2013). C’est le cas aussi de l’association de l’or avec l’arbuste Ephédra, porteur de fruits rouges. D’ailleurs, cette combinaison était à l’origine du nom de Kimyeh (Chin-yeh), qui a été transformé par la suite  en arabe en KIMIYA puis AL KIMIYA pour donner enfin le terme Alchimie.

Contrairement aux chinois et aux indiens, Dioscorides n’était pas convaincu de l’intérêt de l’or et disait « que rien ne prouve que le métal fut entré dans la pratique médicale ».

En Egypte ancienne, Cléopâtre avait recours à ce précieux métal pour préserver son teint et l’utilisait en masque chaque soir avant d’aller dormir.

L’usage de l’or s’est répandu au moyen âge grâce à l’apport de certains médecins arabes dont Avicenne qui rapportait début du XIème siècle « L’or entre dans des remèdes contre la mélancolie, il fait cesser la puanteur de la bouche, même, pris à l’intérieur, il est d’un grand secours contre la chute des cheveux, il fortifie les yeux, il est utile dans la cardialgie et les battements de cœur, et il aide beaucoup quand on a des difficultés à respirer ».

Sérapion, médecin arabe, rapportait déjà vers la fin du dixième siècle que l’or en poudre est utile dans la mélancolie et dans la faiblesse du cœur.

Abu al-Qacim al-Zahraoui, médecin andalous (936-1013) recommandait pour obtenir l’or en poudre, de le frotter sur un linge rude, au-dessus d’un vase plein d’eau, et d’employer la poudre qui tombe au fond du liquide.

Dorvault rapporte dans son catalogue pharmaceutique (1877), les différentes formulations à base d’or (arséniate, bromure, chlorure, hyposulfite, iodure, sulfure) tout en mentionnant les pellicules d’or.

C’est en 1442 que De la Motte a pu confectionner des gouttes d’or (élixir d’or) et des gouttes blanches (élixir blanc) qui étaient recommandées dans la pleurésie, l’asthme, la goutte, le rhumatisme et les coliques.

Paracelse (1493-1541) réputé pour son dénigrement au galénisme et à l’apport d’Hippocrate et d’Avicenne à la médecine occidentale, a rejeté les bienfaits de l’or.

Plusieurs célébrités ont pu recevoir une cure à base d’or, c’est le cas de:

Isabelle de Bavière, Reine de France (1385- 1422) qui pour combattre son obésité, avait utilisé un électuaire à base d’or.

Louis XI, Roi de France (1461-1483), qui souffrait probablement d’épilepsie, avait reçu de l’or potable comme traitement. L’or potable était administré dans des soupes ou avec de l’alcool et il était considéré comme une sorte d’élixir de jouvence et ceci malgré sa forte toxicité mal évaluée à l’époque.

Diane de Poitiers, favorite du Roi Henri II, se traitait par des décoctions d’or qu’elle buvait chaque matin pour préserver sa jeunesse et qui semble être morte probablement empoisonnée par ce métal en 1566 (Sandrine Cabut, 2009).

Au vingtième siècle, malgré une utilisation parfois empirique et sans que le mécanisme d’action soit parfaitement élucidé, l’or a ainsi pu trouver sa place dans le traitement de la syphilis, la tuberculose et particulièrement dans la prise en charge de l’arthrite rhumatoïde (Forestier, 1929). Reste que les effets toxiques sont nombreux, graves et systémiques dont particulièrement le risque d’aplasie médullaire, l’insuffisance rénale et l’insuffisance hépatique.

En homéopathie, les pépites obtenues par érosion mécanique du métal naturel sont réduites en poudre et utilisées notamment pour leur effet euphorisant et dans le traitement de certains troubles cardiaques. Aurum metallicum est prescrit aussi dans l'hypertension artérielle, l'artériosclérose, les otites chroniques, les syndromes maniaco-dépressifs avec beaucoup de précautions car malgré les hautes dilutions, le passage à l'acte est possible avec aurum metal (Samuel Hahnemann, 1796).

De nos jours, certains fabricants de cosmétiques n’hésitent pas à incorporer des particules d’or dans des crèmes à visée anti-âge. C’est le cas aussi en chirurgie esthétique où les fils d'or peuvent être utilisés pour combler les rides et s’opposer au relâchement cutané (Sandrine Cabut, 2009). A ce propos, les fils d'or tenseurs utilisés en esthétique ont été décrits par Hippocrate pour fixer les fractures de la mandibule.
L’or rentre dans la composition de plusieurs dispositifs médicaux comme  les pacemakers cardiaques, les implants dentaires ou de l’oreille interne. Il est utilisé comme agent de contraste en imagerie médicale sous forme de nanoparticules.

Actuellement la médecine moderne fait appel à l’utilisation des sels d’or dans différents domaines***. Nous citons à titre d’exemple dans le traitement de :

Polyarthrite rhumatoïde et dans le rhumatisme inflammatoire chronique d’origine auto-immune.

Maladies neurodégénératives : alzheimer, parkinson.

Atteintes parasitaires : leishmaniose, trypanosomiase, toxoplasmose, schistosomose…

Infections bactériennes à Staphylococcus aureus, Enterococus feacalis, Clostridium difficile…

Cancérologie, comme traitement complémentaire à la radiothérapie et à la chimiothérapie. Les nanoparticules d’or peuvent être dirigées spécifiquement vers la tumeur pour ensuite, être chauffées (photothermie) ; La chaleur dégagée provoque des lésions irréversibles à l’intérieur des cellules cancéreuses (traitement des cancers par hyperthermie). Les sels d’or semblent aussi altérer l’ADN de la cellule cancéreuse.

Des essais ont été engagés, dans des conditions de laboratoire, pour étudier la capacité de l’auranofine sur l’atténuation de l’infection virale du SARS-CoV-2 et la limitation des dégâts liés au choc cytokinique (Mukesh Kumar, 2020).

Ainsi, le célèbre métal a résisté aux aléas du temps et en vient à se repositionner comme un candidat inoxydable dans la lutte contre certaines maladies à l’ère des nanosciences et de la nanomédecine.

Ouajdi Souilem
Membre de la Société Tunisienne d’Histoire de la Médecine et de la Pharmacie

* Les travaux de l’équipe du Professeur Hongzhe Sun donnent un réel espoir dans la lutte contre l’antibiorésistance qui fait partie des "plus graves menaces pesant sur la santé mondiale" selon l’OMS.
 Réf : Hongzhe Sun et collaborateurs, Resensitizing carbapenem- and colistin-resistant bacteria to antibiotics using auranofin, Nature Communications, volume 11, 5263, 2020.

** L’auranofine a été découverte par hasard lors d’un traitement d’une personne tuberculeuse souffrant d’une polyarthrite rhumatoïde. Elle a été commercialisée en 1986. Le mécanisme d’action « anti-inflammatoire » est relativement  bien élucidé contrairement au mode d’action moléculaire à l’origine de ses différentes vertus thérapeutiques.

*** Des informations précises peuvent être retrouvées dans l’article suivant : Auranofin : repurposing an old drug for a golden new age, Christine Roder et Melanie J. Thomson, Drugs in R&D, 15(1), 2015.
 



 

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