Opinions - 12.11.2020

Ridha Bergaoui: La sécheresse, un mal de trop

Ridha Bergaoui: La sécheresse, un mal de trop

Par Pr Ridha Bergaoui - A côté d’une crise politique, qui dure depuis quelques années, la pandémie Covid-19  est venue aggraver une situation déjà délicate et fragile. Cette pandémie qui ne cesse de causer d’importants ravages sur le plan sanitaire, a généré une crise économique associée à une crise sociale. Le pays se trouve on ne peut plus mal et tous les indicateurs sont au rouge.

Malheureusement dans ce contexte déprimant, un autre mal est en train de s’installer parmi nous et dont les conséquences pourraient être encore beaucoup plus graves. Il s’agit du changement climatique et de la sécheresse.

Quoique la Tunisie soit habituée à gérer des épisodes de sécheresse plus ou moins longue, la FAO, dans son rapport « Gestion de la sécheresse au Proche-Orient et en Afrique du Nord », publié à Rome le 15 juin 2018, a relevé  que le suivi de la sécheresse dans ces pays n’est pas au point. Elle a appelé à  mieux s’organiser et adopter une approche proactive et faire face plus efficacement pour affronter les sécheresses. Elle recommande  la collecte et le partage de données de qualité afin de mettre en place une alerte précoce et précise.

La sécheresse, un phénomène naturel, ancien et de plus en plus fréquent

La Tunisie est un pays essentiellement aride, les trois quarts de la superficie sont situés dans les étages bioclimatiques semi-aride, aride et saharien. Le problème de la disponibilité de l’eau a été,  une préoccupation majeure pour les  civilisations qui ont vécu sur cette terre depuis les Carthaginois.

La pluviométrie moyenne est de 230 mm/an, avec de très fortes variations du nord au sud et d’une année à une autre. La moyenne des précipitations est de 36 millions de m3/an, allant d’un minima de 11 millions de  m3  (1993-7094) à 90 millions pour l’année 1969-70. La Tunisie se trouve en deçà du seuil de pauvreté hydrique estimé à 500 m3  /habitant/an. Le disponible par habitant est estimé à environ 450 m3 seulement. Ce seuil ne cesse de se réduire suite d’une part à l’accroissement de l’effectif  de la population et d’autre part en raison de l’augmentation de la fréquence des années sèches.

De nombreuses études montrent que la Tunisie est sérieusement exposée au réchauffement climatique. Celui-ci va entrainer une élévation du niveau de la mer, une hausse des températures, la rareté des précipitations et l’augmentation des phénomènes climatiques extrêmes (sécheresse, inondations…).

L’année dernière a failli être une année sèche. Les précipitations du mois de septembre à février étaient très faibles. Au mois de janvier la pluie était quasi absente et la température était plus élevée que la normale. L’année agricole a été sauvée grâce aux pluies des mois de mars et d’avril ainsi qu’aux importants stocks d’eau accumulés dans les barrages l’année pluvieuse précédente.

Une saison agricole mal partie

L’année dernière, la covid-19 a fortement perturbé  l’écoulement des récoltes de (huile, dattes, grenades…). La maladie du « blue tongue » ou langue bleue, chez les moutons et les vaches, a causé de nombreuses pertes surtout au niveau des petits éleveurs. L’absence et l’indisponibilité des intrants comme le DAP, l’ammonitre et les semences sélectionnées ont fortement retardé le démarrage de la saison agricole. Les politiques incohérentes, et l’absence d’une  stratégie claire à moyen et long terme, associées à l’instabilité politique que connait le pays ont entrainé une désorganisation complète des filières jusque là bien fonctionnelles (poulet, œufs, lait, dattes….).

Selon l’Observatoire National Agricole (ONAGRI, MARHP), les apports au niveau des barrages, du 1er septembre au 09 novembre, sont estimés à 101,389 millions de m3  contre une moyenne de 211,379 millions. Le taux de remplissage des barrages est à peine de 40% avec 897,922 millions de contre 1365,508 le même jour l’année dernière (soit 65%). La situation actuelle est alarmante et de sérieuses difficultés sont en vue surtout que la météo ne prévoit pas de précipitations importantes pour les jours à venir.

Pour l’agriculture, la pluviométrie automnale est très importante. Elle conditionne le démarrage de l’année agricole avec la préparation du sol et la mise en place des cultures. Un déficit pluviométrique automnal présage généralement d’une année sèche.

Dans ce contexte mondial et national fragile et fébrile, la Tunisie est elle préparée pour affronter correctement une nouvelle sécheresse qui viendra aggraver une situation déjà complexe ?

Effets de la sécheresse sur l’agriculture

La sécheresse se traduit par une diminution des productions végétales (céréaliculture, arboriculture, cultures maraichères, cultures fourragères…) et animales (viande et lait). Le déficit hydrique et les températures élevées favorisent l’apparition et la multiplication des parasites et des maladies entrainant l’augmentation de la morbidité et de la mortalité au niveau du cheptel.

La sécheresse entraine l’augmentation du chômage et la chute des revenus de la population agricole rurale.  Elle renforce l’appauvrissement et la chute du pouvoir d’achat et l’endettement du paysan.
Elle entraine au niveau national une chute des exportations des produits agricoles et une augmentation de l’importation des denrées alimentaires et des fourrages entrainant  ainsi  un alourdissement du déficit de la balance alimentaire. L’Etat est obligé d’importer des aliments et des fourrages pour couvrir les besoins et assurer l’approvisionnement suffisant des marchés.

Le déficit hydrique entraine une diminution du niveau des nappes et l’augmentation de la salinité de l’eau. La diminution des réserves hydriques perturbe la gestion de cette ressource aussi bien au niveau de l’irrigation des cultures dans les périmètres irrigués qu’au niveau de la distribution de l’eau potable. Des coupures fréquentes et une dégradation de la qualité de l’eau inquiètent souvent le citoyen surtout en été où les besoins en eau atteignent leur maximum.

En année sèche l’Etat, représentée par le MARHP, déploie un certains nombre de mesures. Ces interventions visent:

le soutien aux agriculteurs et éleveurs

la sauvegarde du patrimoine national (cheptel et cultures)

une meilleure gestion des ressources hydriques

la stabilisation de la production.

Une commission nationale, ainsi que des commissions régionales, siègent régulièrement pour examiner l’évolution de la situation et prendre les mesures qui s’imposent.

Pour la création d’un Bureau Permanent de Suivi et de Lutte Contre la Sécheresse, au Ministère de l’Agriculture (MARHP)

L’efficacité des mesures mise en place pour lutter contre la sécheresse repose sur un système de prévision et d’alerte précoce et une approche proactive basée sur les principes de réduction des risques. Cette stratégie doit se baser sur des données, précises et à temps réel, sur tous les éléments importants concernant le climat, les réserves en eau, l’état des cultures, du cheptel, des parcours, de la population, de l’approvisionnement des marchés…  Les informations élaborées, ainsi que d’autres outils d’aide à la décision, permettent de lancer l’alerte et de déclencher le programme d’urgence face à la sécheresse.
En Tunisie, les données relatives au climat et son incidence sur les différents secteurs économiques (agriculture, santé, tourisme, infrastructures…) sont éparses et détenues par une multitude d’institutions indépendantes. C’est pour cette raison que nous proposons la création au sein du cabinet du Ministère de l’Agriculture (MARHP), d’un « Bureau Permanent de Suivi et de Lutte Contre la Sécheresse ».

Le premier objectif de ce bureau sera donc de centraliser toutes ces données pour avoir une vue d’ensemble plus claire de la situation et agir d’une façon prompte et efficace. Il sera chargé également du suivi et du contrôle des mesures décidés par le Ministère et mise en place par les différentes directions techniques et les CRDA. Il est également appelé à analyser et évaluer l’impact et l’efficacité de ces mesures pour faire face à la crise. A la fin de chaque saison, le bureau établit un rapport sur le déroulement de la campagne agricole, les mesures prises et leur impact pour atténuer les effets du climat. L’aspect archivage et conservation des données permettront d’établir une vraie stratégie de lutte contre la sécheresse en fonction de sa gravité, de sa durée et de la survenue.

Ce bureau sera amené à travailler directement avec les différents services du MARHP, avec d’autres ministères comme le Ministère du Transport (Institut National de la météorologie), le Ministère des Affaires locales et de l’Environnement ainsi que les Instituts de formation supérieure et de recherche et tous les comités nationaux chargés de l’environnement, du suivi des changements climatiques et des émissions des gaz à effet de serre. Le bureau travaillera également en étroite collaboration avec les Commissions Nationales et Régionales de Lutte contre les Calamités mises en place à l’occasion des catastrophes naturelles (inondations, sécheresse…).

La Tunisie est un pays essentiellement agricole. Les ressources en eau sont très limitées. Elle est exposée de plein fouet aux changements climatiques. Les épisodes de sécheresse seront de plus en plus fréquentes. Il est nécessaire de développer un système efficace de suivi et de coordination des actions pour faire face à la situation. La sécheresse n’est pas un phénomène climatique accidentel mais une composante permanente de notre climat, fréquente et périodique. La collecte des données est une étape décisive pour agir d’une façon efficace.

Pr Ridha Bergaoui
Professeur universitaire


 

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1 Commentaire
Les Commentaires
Habib OFAKHRI - 13-11-2020 15:04

Encore une fois,merci au contributeur pour cette"alerte".Intermittente. Source vitale,l'eau devient un enjeu géostratégique de"survie" sur toute la planète..En Tunisie,il est paradoxal que chaque saison s'ouvre par le lancement d'une nouvelle marque d'eau qui n'a de "minérale "que... l'appellation.! La recommandation s'impose.Une partie de la solution de la sécheresse réside dans une option impérieuse,celle de l'implantation de stations de dessalement. L'énergie existe(solaire) et l'eau (marine)à flots... En la matière, la technologie avance et les coûts sont à tendance baissière.A titre indicatif, qu'attend l'État pour lancer ,à cet effet des appels d'offre ou concessionnels du côté Russo/chinois!?

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