News - 15.06.2020

Tourisme durable et inclusif post-Covid 2019 : Préserver, rénover et restructurer

Tourisme durable et inclusif post-Covid 2019 : Préserver, rénover et restructurer

Par Mongi Lahbib - Déclaré « sinistré » depuis une vingtaine d’années, le tourisme tunisien subit une profonde crise structurelle. L’infrastructure touristique – essentiellement balnéaire- est orientée vers un tourisme de masse trop souvent assimilé à l’hôtellerie. Les soubresauts de la révolution ont aggravé la situation d’un secteur obsolescent mais résilient, rattrapé dans sa convalescence par le Covid-19.

Selon une étude de l’Agence française de développement, le tiers des unités hôtelières seraient appelées à être reconverties et un autre tiers à mettre mises à niveau. De ce fait, les programmes de sauvetage et de relance du secteur gagneraient à être insérés dans le cadre d’une stratégie de restructuration et de diversification du secteur à l’horizon 2030 et au-delà. Celle-ci aurait pour objectifs de renforcer la rentabilité et la résilience du tourisme, favoriser sa remontée de la chaîne de valeurs et contribuer à l’atténuation des disparités sociales et régionales à travers un tourisme durable et inclusif, en mettant à profit l’effet Covid-19 au service d’un projet mobilisateur où le tourisme servirait de catalyseur et où la pandémie aurait servi de révélateur et d’accélérateur dans un monde en pleine mutation.

I. Le tourisme, vecteur et victime du covid-19

1. Importance et résilience du tourisme mondial

Le tourisme représente le troisième secteur le plus important du commerce mondial des biens et services avec un taux de croissance de 4,4% soit le double du taux de croissance mondiale au cours de la dernière décennie. Il contribue à 10,4% du PIB et assure 20% des emplois créés à travers le monde avec 1,4 Milliard de touristes en 2019.

Le tourisme est réputé fragile du fait de la saisonnalité de l’activité, la précarité des emplois et sa surexposition aux crises endogène et exogène. Le secteur a fait montre cependant d’une remarquable résilience. La reprise, suite à des attentats terroristes (13 mois) ; fut en moyenne plus rapide que pour les épidémies (21 mois), les catastrophes naturelles (24 mois) et l’instabilité politique (27 mois).

Selon l’Organisation mondiale du tourisme l’emploi a augmenté entre 2010-2019 de 11% tous secteurs confondus, suite à la crise financière mondiale et de 35% au cours de la même période pour la restauration et l’hébergement. Et ce en plus des effets d’entraînements des activités connexes.

2. Impact du Covid sur le secteur voyages et tourisme

Le conseil mondial du voyage et tourisme estime à 568 milliards de dollars les pertes du secteur.

L’organisation mondiale du tourisme (OMT) table sur une reprise du tourisme mondial à partir de 2021 et évalue entre 100 et 120 Millions les pertes d’emplois dans le secteur.

L’association internationale du transport aérien (IATA) estime quant à elle les pertes du transport aérien 314 Milliards de Dollars les pertes du secteur du transport aérien ne retrouverait son niveau d’avant-crise qu’au cours de la période 2024-2025 voire même 2029 selon le cabinet Archery Strategy.

La personnalisation des voyages à la carte, favorisée par les nouvelles technologies serait accentuée. Soulignant le besoin grandissant du touriste pour la recherche « d’expériences authentiques », le Secrétaire général de l’association « A World to travel » en appelle à adapter la logistique pour une « coproduction avec les habitants ».

Il ressort d’une enquête du Cabinet Roland Berger que le COVID-19 entrainerait la crainte du touriste des vols aériens et sa préférence d’un tourisme de proximité et du tourisme rural. Pour sa part le Commissaire européen du marché intérieur s’est prononcé en faveur d’un « tourisme durable face au tourisme de masse » dans le cadre du green deal européen.

II. Evolution et défis du tourisme tunisien

1. Déficit de gouvernance, absence de vision et d’audace

La Tunisie fut longtemps classée première destination touristique du monde arabe et même au-delà rivalisant avec la Turquie, sixième destination mondiale en 2019. Des erreurs furent commises en matière d’aménagement du territoire, aggravant la fracture sociale et régionale du pays. C’est ainsi que Gabès, une des rares oasis maritimes dans le monde, fut sacrifiée pour le développement d’un pôle industriel polluant.

Le secteur du tourisme n’a pu en fait s’adapter ni à l’évolution de la demande et l’offre mondiales, ni à la révolution numérique. Faiblesse des capitaux propres et du taux d’encadrement des unités hôtelières, surendettement, bradage des prix ont impacté négativement la qualité et l’image de la Tunisie.

Les programmes de rattrapage et de diversification du secteur ont eu des effets mitigés en raison de l’immobilisme des autorités et l’absence d’une vision d’ensemble. Les recommandations de l’étude « Tunisie 2030 » entamée par l’institut des études stratégiques (ITES) à la fin des années 1990 sont restées lettre morte.

2. Défis du Tourisme tunisien

La Tunisie fur classée par le rapport 2019 du World Economic Forum – WEF- de Davos 85ème sur 140 pays, en matière de compétitivité de voyages et tourisme ; alors qu’elle occupait la 32ème place en 2010-2011 devançant alors le Portugal (46ème) et l’Italie (48ème).
Fait encore plus grave, la Tunisie pointe au 90ème rang mondial pour la gestion des ressources naturelles et culturelles, loin derrière la Grèce (21ème), l’Egypte (22ème) voire les Emirats arabes-unis (45ème).

La situation est aggravée par la vulnérabilité du secteur face au changement climatique en raison des risques de réchauffement climatique et l’érosion et submersion marines qui toucheraient 21% de nos côtes en 2050 et 44% en 2100.

L’Agence de coopération allemande GIZ avait élaboré en 2010 une étude sur la stratégie d’adaptation du secteur en la matière dont les recommandations furent suivies de peu d’effet.

III. Enjeux du sauvetage et de la restructuration du tourisme tunisien

1. Du vivre ensemble à l’altérité et l’acculturation du tourisme

Enjeu sociétal et politique : la constitution de 2014 a amputé l’identité tunisienne de sa dimension méditerranéenne, tout en affirmant l’attachement de notre pays aux valeurs universelles, notamment la liberté de croyances et de conscience. La stigmatisation par certains milieux du secteur traduit souvent une vaine tentative de détricotage des acquis de la Tunisie indépendante. L’épreuve du COVID-19 vient d’en rappeler les fondamentaux : le savoir, la santé et la promotion de la femme, consolidés par l’apport de la révolution en matière de démocratisation. L’Histoire jugera.

Enjeu économique : la contribution du tourisme au PIB varie selon les sources entre 7 et 14%, cette dernière estimation étant basée sur le compte satellite de l’OMT. Cet écart traduit néanmoins des réserves des autorités publiques quant à la contribution réelle du secteur à l’économie nationale en raison des déperditions ou « hémorragies » de rentrées de devises et au comportement prédateur d’hôteliers notamment au détriment du domaine public maritime.

Enjeu social : Le tourisme assure 400.000 emplois et plus de 350.000 emplois pour l’artisanat, faisant ainsi vivre entre le quart et le tiers de la population en prenant en compte les emplois d’activités connexes. Réformé le secteur pourrait servir de levier pour le développement régional et pour la lutte contre la pauvreté dans le cadre d’un développement durable et équitable.

2. Pour un tourisme durable et inclusif

Le tourisme durable implique la préservation des ressources naturelles et du patrimoine culturel dans le respect des communautés locales et de leurs intérêts ainsi que de ceux des visiteurs et des générations futures.

La refondation du tourisme devrait ainsi s’inscrire dans la durée dans le cadre d’une approche globale et intégrée, en préservant l’acquis et en développant un tourisme alternatif susceptible de métamorphoser le paradigme actuel.

Le processus de transition touristique gagnerait à être articulée avec les transitions écologique et numérique, en vue d’assurer cohérence, convergence et synergie et ce en intégrant le tourisme comme priorité nationale aux plans de développement et d’aménagement du territoire.

L’implantation de nouvelles unités balnéaires serait réservée prioritairement au tourisme haut de gamme dont la reprise de  l’activité, dernièrement, constitue une lueur d’espoir quant à l’avenir du secteur touristique.
Outre l’implantation de zones frontalières proposées par le Cabinet Roland Berger, il conviendrait d’aménager des clusters touristiques décentralisés ou pôles d’excellence avec une différenciation des incitations fiscales et financières en faveur du développement régional.

A plus long terme les districts prévus par la constitution, favoriseraient l’interaction et la complémentarité entre le littoral et l’arrière-pays susceptibles d’être reliés par des couloirs économiques et logistiques structurants, ce qui renforcerait les identités et branding touristiques au niveau local, régional et national.

Activité transversale, le tourisme implique une approche participative aussi large que possible, notamment aux niveaux local et régional, couronnée par un Conseil supérieur du Tourisme présidé par le Chef du gouvernement.

IV. Grappes de niches du tourisme alternatif

Un large consensus national et mondial s’est dégagé suite à la crise du COVID-19, en faveur des secteurs de l’agriculture et de la santé qui bénéficient, - avec le tourisme culturel-, d’une demande sans cesse croissante notamment de touristes à haut revenu.

1. Tourisme de santé et de bien-être

Du Safe-Covid-19 au Healthy Tourism (tourisme médical, sportif, golf, thalassothérapie, balnéothérapie, yachting, phytothérapie, tourisme du 3ème âge…).

« L’air est si pur qu’il empêche de mourir » (Gustave Flaubert, Salammbô)

La Tunisie est classée 2ème destination mondiale en thalassothérapie et seconde en Afrique pour le tourisme médical. La maîtrise de la gestion du COVID pourrait être mise à profit pour développer une économie de santé englobant notamment industries pharmaceutiques et équipements médicaux, l’amélioration de l’hygiène et  la préservation de l’environnement.

Produit agroalimentaire, gastronomique et diététique, l’huile d’olive tunisienne peine à contribuer à la différenciation et l’attractivité de la destination Tunisie. Notre pays n’a pas été ainsi classé par l’UNESCO parmi les 7 pays pratiquant la diète méditerranéenne. La route de l’olivier, figurant aussi sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, ne profite pas davantage à la Tunisie du fait que nos restaurateurs, sauf rares exceptions, préfèrent le recours à l’huile végétale subventionnée…

Aussi serait-il indiqué de :

- Développer le régime alimentaire méditerranéen ainsi que les traitements cosmétiques et anti-âge (huiles essentielles, gélules de figues de barbarie et de grenades…)

- Encourager les résidences médicalisées pour séniors (4 millions de personnes dépendantes en France selon l’INSEE en 2050).

- Développer le tourisme médical notamment en directions des pays du Maghreb, de l’Afrique et de l’Europe.

1. Tourisme de nature (nature based tourism)

Tourisme écologique, de plein air, de fraîcheur, agrotourisme, parcs nationaux, tourisme rural, saharien, spéléologique, la Tunisie offre une grande variété de paysages naturels. Elle dispose de 15 parcs nationaux et de 76 sites potentiels d’écotourisme.

Il conviendrait à cet égard :

D’activer la mise en place des six circuits thématiques retenus par le Ministère de l’environnement en collaboration avec la GIZ

Intégrer le tourisme rural dans le cadre d’une stratégie de modernisation de l’agriculture et de développement rural intégrée notamment à l’occasion des négociations de l’ALECA

Activer la mise en œuvre du plan 2016-2025 de développement durable Switchmed.

Proposer au Japon l’extension au tourisme rural de l’expérience en cours depuis 2004, destinée à la réalisation de microprojets en faveur de zones rurales et défavorisées, s’inspirant du concept « un village, un produit »

Multiplier et diversifier les modes de financement en PPP, économie sociale et solidaire, essaimage et amorçage, fonds dédiés et de péréquation, accélération de la mise en place des banques postale et des régions, création d’une agence foncière agricole en s’inspirant des sociétés françaises d’aménagement foncier et rural. Ces « SAFER » sont des sociétés, sans but lucratif, visant à encourager l’installation de jeunes en milieu rural ; le remembrement et la restructuration des exploitations agricoles…

2. Tourisme culturel et cultuel

Tourisme patrimonial ; mémoriel ; gastronomique ; créatif ; oeno et Oli tourisme ; habitat et artisanat…
La Tunisie dispose de 30.000 sites et vestiges archéologiques, dont 8 figurent sur la liste du patrimoine mondial et 15 sur la liste indicative de l’UNESCO (dont Gabès et du Chott El Jerid trame du roman de Jules Verne « L’invasion de la mer »).

Il conviendrait à cet égard de :

- Regrouper les ministères de la culture et du tourisme en vue de favoriser le financement de la sauvegarde et la mise en valeur de notre patrimoine et l’interaction entre évènementiel et tourisme. En quête de sens et d’authenticité 57% des touristes sont motivés par l’offre culturelle selon le baromètre TripAdvisor.

- Organiser des circuits mémoriels (campagne seconde guerre mondiale, hauts lieux de la révolution…)

- Favoriser le réseautage et le jumelage parmi plus d’une centaine de sites et villes portant le nom de Carthage en Europe et en Amérique.

- Organiser des circuits gastronomiques et créatifs

- Elaborer une stratégie de sauvetage et de mise en valeur de l’artisanat tunisien.

Tourisme religieux:

- Kairouan abrite le 4ème haut lieu de l’Islam et Tunis l’une des plus anciennes universités islamiques au Monde, celle d’Ezzitouna. En plus de Mahdia d’où sont partis les fatimides pour l’édification de la ville du Caire. La Tunisie est classée selon Master Card en 2019, 16ème destination touristique islamique derrière la Turquie (3ème), Singapour (6ème) et le Maroc (7ème).

- Outre le pèlerinage annuel d’El Ghriba à Djerba, il y a lieu de mettre en valeur un symbole de la magnificence de l’islam, le minaret de la grande mosquée de Testour portant l’étoile de David.

- Des « circuits Saint-Augustin » pourraient être organisés éventuellement avec l’Algérie ainsi que des visites et manifestations culturelles à l’acropolium de Carthage où est mort Saint-Louis au terme de la 8ème croisade au XIIIème siècle.

Tunisie: Pays résilient, démocratie en devenir et diplomatie économique en gestation

Creuset de civilisations, la Tunisie a survécu à ses envahisseurs, parvenant parfois à les tunisifier. Le pays a su à différentes occasions, être en avance de son temps dans sa région et au-delà. De la contribution de Carthage mise en exergue par Aristote, à la première « révolution du XXIème siècle "nobélisée" La Tunisie est homogène ethniquement et religieusement voire socialement comme le confirme l’indice GIN 2020 sur la disparité de répartition des revenus. L’éducation, la promotion de la femme, la classe moyenne et le dynamisme de la société civile constituent le socle de « l’exception tunisienne ».

Au vu de l’organisation prévue au cours de la prochaine période de sommets à dimension mondiale comme celui de la francophonie et TICAD, la Tunisie a une opportunité rare rare de renouer avec son rôle de trait d’union et de facilitateur. Le tourisme pouvant servir de levier pour consolider la place de la Méditerranée comme première destination touristique mondiale, reliant l’Eurasie et l’Afrique. Ce qui implique l’établissement d’une paix juste et durable dans la région en conformité avec la légalité internationale et les valeurs en partage au sein de l’Euro-med.

Le retard de l'open sky, l’échec commercial de l’aéroport d’Enfidha, les tergiversations concernant l’avenir de Tunisair et de l'aéroport de Tunis-Carthage, sans compter les déboires du port de RADES, affectent gravement la compétitivité du site tunisien comme hub touristique et économique régional. L'économie nationale devenant au service de la logistique et non l'inverse.

Les tergiversations de l'ARP quant à notre adhésion à la convention de zone de libre-échange africaine (ZLECA) et au protocole de Madrid de la gestion intégrée des zones côtières en Méditerranée risquent de faire douter certains de nos partenaires quant à la sincérité et au sérieux de notre appartenance africaine et méditerranéenne.

 

Mongi Lahbib
 

Vous aimez cet article ? partagez-le avec vos amis ! Abonnez-vous
commenter cet article
1 Commentaire
Les Commentaires
H. Kraiem - 16-06-2020 13:39

Bravo pour cette analyse globale et très bien informée des problématiques et des opportunités du secteur en ce moment difficile. j'espère qu'elle trouvera des échos auprès des acteurs concernés.

X

Fly-out sidebar

This is an optional, fully widgetized sidebar. Show your latest posts, comments, etc. As is the rest of the menu, the sidebar too is fully color customizable.