News - 03.11.2018

Retour de Shanghai: Le dragon chinois et les autoroutes du futur

Retour de Shanghai: Le dragon chinois et les autoroutes du futur

Shanghai - De l’envoyé spécial de Leaders, Abdelhafidh Harguem - De nuit, la terrasse du 21e étage du Wanda Reign, l’un des nombreux palaces de Shanghai, offre une vue féerique sur le Bund, boulevard jalonné de gratte-ciel et de somptueux édifices, au cœur de l’ancienne concession internationale de la ville ainsi que sur la ligne d’horizon du district de Pudong, sur la rive Est de la rivière Huangpu.

Surnommé le «Manhattan de Shanghai», ce nouveau quartier des affaires, construit  au début des années 1990, après avoir été une zone où pullulaient les cabanes de riziculteurs et les hangars désaffectés, est aujourd’hui l’un des symboles les plus éloquents des succès économiques de la Chine. Les scintillements des buildings, au milieu desquels trône majestueusement la tour de télévision, appelée «la Perle de l’Orient», ainsi que les guirlandes lumineuses des bateaux promenades émettant des sons stridents de musique impriment sur les eaux de la rivière des plaques cristallines.

La splendeur du panorama éveille en moi des souvenirs d’un premier voyage en Chine, il y a 35 ans. Souvenirs toujours vivaces dans leurs moindres détails, indélébilement gravés dans la mémoire. Tant il est vrai que l’opulence et la grandeur de l’héritage de l’ère impériale dans un pays communiste où l’austérité était de rigueur ne pouvaient que marquer l’esprit du visiteur.

Comment ne pas me rappeler encore cette foule dense d’ouvriers chinois qui, en se rendant à leur travail dans un impressionnant cortège de bicyclettes, investissaient, par un matin froid de décembre 1983, la place Tian’anmen? Spectacle singulier que j’observais du balcon de ma chambre à l’hôtel de Pékin à l’allure plutôt austère, mais luxueuse pour l’époque. Comment ne pas garder aussi en mémoire cette capitale plongée, de par l’architecture de ses bâtiments et la nonchalance de sa vie quotidienne, dans son histoire ancienne, ses artères dégagées, où les rares automobiles privées attiraient les regards admiratifs des passants?

Pour mieux appréhender les données du présent, il n’y a rien de mieux qu’une vue rétrospective de la situation dans laquelle se trouvait le pays, il y a quatre décennies. Auteur du célèbre livre Quand la Chine s’éveillera le monde tremblera, Alain Peyrefitte disait à juste titre : «La Chine d’aujourd’hui ne prend son sens que si on la met en perspective avec la Chine d’hier».

Au début des années 1980, le pays, faut-il le rappeler, venait de s’ouvrir au monde extérieur après avoir opté, sous la conduite de Deng Xiaoping, pour une politique économique plus libérale et mis en œuvre «les quatre modernisations» dans les secteurs de l’agriculture, de l’industrie, de l’éducation et des sciences, ainsi que dans le domaine de la défense et ce après le retentissant chaos engendré par «la Révolution Culturelle» de Mao Zedong. Ce fut le substrat du plan de développement de la Chine et les premières origines du prodigieux essor économique et des formidables progrès scientifiques et technologiques qu’elle connaît de nos jours. En 1983, un ouvrier chinois  gagnait à peine 10 yuans par mois, le PIB était aux alentours de 230 milliards de dollars pour une population de 1,023 milliard d’habitants alors qu’en 2017, le PIB a atteint 12,24 billions de dollars et le revenu par tête d’habitant est passé de 225 dollars en 1983 à 16 760 dollars en 2017 pour une population de 1,386 milliard d’âmes.
«Nous n’avons pas perdu notre temps dans les palabres et les discussions oiseuses. Bien au contraire, nous nous sommes fixé un objectif : développer notre pays et le hisser au pinacle de la maîtrise scientifique et technologique dans le monde. Nous avons travaillé d’arrache-pied et dans la plus grande discrétion pour y parvenir.» explique, dans un français parfait, Philippe, cadre supérieur au sein d’une grande entreprise chinoise, représentatif de cette jeunesse solidement formée et hautement qualifiée, qui prend aujourd’hui une part active au développement de son pays.

Située à distance presque égale (un peu plus de 1 200 km) entre Pékin au nord et Hong Kong au sud, Shanghai est, sans conteste, la perle de la Chine du 21e siècle, avec ses immeubles de verre, ses complexes commerciaux, son infrastructure routière, son réseau de transport public ultramoderne, ses zones de loisirs et d’attraction touristique, ainsi que son pont suspendu, celui de Yangpu, sur la rivière Huagpu.  Reliant le district de Yangou à la nouvelle zone du district de Pudong, cet ouvrage est parmi les plus grands ponts à haubans dans le monde avec une travée centrale de plus de 600 mètres.

Dans la capitale économique de la Chine, l’une des villes les plus encombrées et les plus peuplées de la planète, avec plus de 24 millions d’habitants, ce qui attire l’attention, outre l’harmonie de l’architecture d’ensemble et la propreté de l’espace public, c’est l’absence quasi-totale du cash dans les transactions commerciales. Le paiement par carte de crédit ou smartphone est aujourd’hui une pratique répandue partout en Chine. Même les mendiants se sont mis à l’heure du numérique ! Notre accompagnateur Huang nous exhibe, non sans fierté, l’image de l’un d’eux tendant son portable à la quête de l’aumône.  Autre fait remarquable dans cette mégapole: la police brille par son absence physique. Même si l’auto-discipline est une attitude commune aux citoyens chinois, on en vient à se demander comment la sécurité publique est assurée. Point d’énigme à cela. La plupart des villes, villages et bourgs chinois sont dotés de systèmes de surveillance vidéo.  C’est là l’une des applications de l’Intelligence Artificielle dans laquelle le gouvernement chinois et la compagnie Huawei ne cessent d’investir généreusement  depuis les années 1990 pour tirer parti des énormes opportunités qu’offre cette haute technologie. Et ce n’est nullement un hasard si cette compagnie a choisi l’AI comme thème du grand événement qu’elle a organisé les 10 et 11 octobre dernier à Shanghai (Huawei Connect 2018) et auquel ont été invitées plus de 20 mille personnes entre clients, partenaires et experts originaires de plus de 150 pays. Exemple emblématique de cette Chine qui dame le pion aux puissances technologiques et scientifiques dont notamment les États Unis d’Amérique, Huawei tient à être un acteur primordial de la promotion de l’IA  à l’échelle mondiale.  Fournisseur global de solutions dans le domaine des technologies de l’information et des communications (TIC), deuxième pourvoyeur mondial de téléphones mobiles en termes de vente, cette compagnie , présente sur les marchés de près de 140 pays, se place dans la perspective du grand tournant technologique à l’orée duquel se trouve l’humanité.

«À l’horizon 2025, il y aura 40 milliards d’appareils intelligents de par le monde. 86% des multinationales adopteront l’Intelligence Artificielle et le taux d’utilisation des données atteindra un taux jusqu’ici inégalé de 80%. L’Intelligence Artificielle sera, alors, aussi partagée que l’air que nous respirons», lit-on dans une note de présentation de «Huawei Connect 2018».Abritant pour la troisième fois consécutive dans son centre d’exposition et palais des congrès le méga-évènement de Huawei, Shanghai devient, en plus de son poids économique, une capitale technologique de premier plan. Cette stature, ajoutée à son occidentalisation à outrance, aggrave les disparités régionales en Chine où les provinces de l’ouest restent à vocation essentiellement rurale, accusant un important retard de développement. Avec cette occidentalisation, l’admirateur de la civilisation chinoise, notamment dans son attribut architectural, en arrive à regretter les altérations qu’elle a subies sous les coups de boutoir d’un modernisme débridé. Afin de retrouver cet univers authentiquement chinois, il faut quitter Shanghai pour se rendre à Xitang, à 90 km au sud-ouest de la ville. Même s’il est touristique, ce pittoresque village d’eau est une miniature de cette Chine exotique qu’on aime tant voir et visiter, avec ses anciennes maisons en pierre, ses ponts arqués, ses corridors et ses ruelles pavées, fermées à la circulation automobile.

Comment concilier authenticité et modernité, être à la pointe des progrès scientifiques et technologiques en poursuivant résolument la marche sur les autoroutes du futur, sans pour autant tomber dans les travers de la déculturation et de la standardisation des modes de vivre, de penser et d’agir? Tel me semble être le défi que le pays du dragon se doit de relever pour demeurer cette machine à fabriquer de la civilisation.

Abdelhafidh Harguem

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