Opinions - 12.11.2016

Masse salariale et partage de la valeur ajoutée en Tunisie

Masse salariale et partage de la valeur ajoutée
Le partage équitable de la valeur ajoutée entre les facteurs de production empoisonne les rapports sociaux depuis une quarantaine d’années. Aucune solution globale ne lui a été apportée par le gouvernement et les partenaires sociaux dans le cadre d’une vraie politique des revenus, soit par manque de clairvoyance ou de persévérance, soit parce que la problématique n’a été posée que pour embarrasser les syndicats à un moment donné. En proposant de calquer dans le futur le rythme de croissance de la masse salariale sur celui du PIB, le gouvernement actuel n’a pas pu s’empêcher de reproduire les mêmes erreurs tout en introduisant davantage de tension dans des rapports sociaux déjà très tendus.
 
  • Quoi qu’il en soit, le chef du gouvernement n’a pas précisé le PIB auquel il se réfère. Est-ce le PIB aux prix du marché (p.m) ou le PIB aux coûts des facteurs (c.f) ou encore la somme des valeurs ajoutées hors services non marchands? Gageons qu’il ne s’agit dans l’esprit du chef de gouvernement que du PIB c.f aux prix courants sinon la connexion qu’il souhaite établir entre son augmentation annuelle et celle de la masse salariale n’aurait aucun fondement.
  • Sous cette hypothèse, la valeur ajoutée des activités marchandes doit être traitée séparément de la valeur ajoutée des activités non marchandes (services de l’Administration + services fournis par les organisations associatives + services domestiques). 
En effet, la masse salariale des activités marchandes (agriculture pêche, industries et services marchands) est une des composantes de la VA de ces activités (respectivement 16,7% et 35% en 2014) alors que la valeur ajoutée des activités non marchandes est constituée essentiellement par sa masse salariale (77% en ce qui concerne l’Administration publique en 2014).
  • La part des salaires dans la VA varie assez sensiblement d’un secteur à l’autre, d’une branche à l’autre, d’une entreprise à l’autre. Entrent en jeu la taille de l’entreprise, la nature capitalistique ou non de l’activité principale, le capital par travailleur, etc. 

Si on applique le même taux d’accroissement de la masse salariale à toute l’économie sans distinction, certaines branches et entreprises pourraient être pénalisées alors que les salariés pourraient l’être dans d’autres.

  • En tout état de cause, proposer de faire évoluer la masse salariale au rythme de la valeur ajoutée à prix courants n’a de sens que si tous les partenaires sociaux s’accordent pour juger juste ou acceptable la répartition «initiale» de la valeur ajoutée. Or aucun consensus n’existe à ce sujet.

Ce point d’achoppement s’ajoute à d’autres sujets de discorde concernant, notamment, la composition de la masse salariale, l’appréciation de son augmentation d’une année à l’autre et l’indice des prix. Le gouvernement aurait pu commencer par aplanir ces difficultés conceptuelles et méthodologiques avant d’aller plus loin. L’intrusion inopinée du chef de gouvernement dans une affaire aussi délicate et complexe est d’autant plus maladroite dans les circonstances actuelles qu’elle laisse à penser que la part de la masse des salaires dans le PIB c.f a augmenté inconsidérément au cours des cinq dernières années. Telle n’est pas la réalité.

En effet, la part des salaires dans le PIB c.f pour l’ensemble de l’économie est passée de 41,6% en 2010 à 42,0% en 2011; 40,9% en 2012 ; 41,2% en 2013 ; 41,5% en 2014. Selon le «Rapport mondial sur les salaires 2012/2013» du BIT : dans un groupe de 16 pays émergents ou en développement, cette part a diminué, passant de 62 pour cent du PIB au début des années 1990 à 58 pour cent juste avant la crise (de 2008).

Part des salaires dans la valeur ajoutée

Selon l’Itceq, la valeur ajoutée aux coûts des facteurs a augmenté pour l’ensemble de l’économie de 7,7% en termes courants contre 7,6% pour la masse salariale lors de la période 2011-2014 (respectivement 8,2% et 10,2% lors de la période 2008-2010). Toutefois, la masse salariale des activités marchandes non agricoles n’a augmenté que de 6,1% au cours de la période 2011-2014 contre 6,8% pour la VA de ces activités (respectivement 11,1% et 8,5% lors de la période 2008-2010). C’est la masse salariale de l’Administration qui a augmenté le plus  en 2011-2014: 10,9% contre 8,9% en 2008-2010.

Le salaire annuel moyen de l’Administration publique a augmenté de 7,8% en 2010-2014 contre 4,1% seulement pour celui des activités marchandes non agricoles. Mais en dinars de 2005, le salaire annuel moyen dans les activités marchandes non agricoles a enregistré, selon l’Itceq, une baisse de -1,0% lors de la période 2011-2014 contre +2,5% dans l’Administration publique.

L’amélioration du  pouvoir d’achat des salaires entre 2011 et 2014 n’aurait donc concerné que les fonctionnaires alors que les salariés des activités marchandes non agricoles, deux fois et demie plus nombreux, ont vu leur pouvoir d’achat baisser.

Ce constat, basé sur les données officielles, fragilise la position du gouvernement et conforte celle de l’Ugtt en ce qui concerne le blocage ou le report des augmentations salariales dans les activités marchandes non agricoles. La position syndicale est d’autant plus recevable que l’impact de l’évolution de la masse salariale sur le déficit budgétaire ne concerne que la masse des traitements et salaires de l’Administration publique, alors que l’augmentation de la masse salariale dans les activités marchandes serait susceptible, sous certaines conditions, de soulager quelque peu, et le budget à travers un supplément d’impôt, et la sécurité sociale à travers un supplément de cotisations.

Habib Touhami

 

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