News - 12.08.2016

L’ambassadeur Habib Kaabachi: L’invasion du Koweït...les prémices de la catastrophe

L’ambassadeur Habib Kaabachi: L’invasion du Koweït...les prémices de la catastrophe

Pour avoir vécu l’invasion du Koweït par son hégémonique voisin, l’Irak, le 2 août 1990, étant ambassadeur de Tunisie auprès de l’État du Koweït à l’époque, je me dois de témoigner brièvement et le plus objectivement possible du déroulement de ce dangereux évènement dont les conséquences dramatiques immédiates pour le Koweït en premier lieu ainsi que pour l’Irak, les pays du Golfe et le monde arabe qui a vu s’éclipser les illusions d’une certaine chimère d’union et de solidarité entre ses peuples, curieusement promise par les régimes à obédience panarabe dont l’Irak était le chef de file.Il faudrait rappeler quelques évènements significatifs qui ont précédé l’invasion du Koweït et qui constituaient des signes non trompeurs de ce qui allait se passer par la suite, à savoir:

  • le régime irakien qui se considère être sorti vainqueur de sa guerre avec l’Iran (1980-1988) et exigeait de la part des monarchies du Golfe, pour les avoir défendues et protégées des velléités du régime de Téhéran et de l’exportation de sa révolution islamique, des compensations sous forme de nouveaux tracés des frontières avec le Koweït ainsi que l’annulation pure et simple de ses dettes envers ce pays qui s’élevaient à pas moins de 26 milliards de dollars.
  • Au sommet arabe qui s’est tenu à Bagdad en mai 1990, Saddam Hussein a menacé, lors de la réunion à huis clos, les dirigeants des pays voisins du Golfe de mesures de représailles pour leur ingratitude et leur volonté d’affaiblir et de nuire à son pays.
  • Au cours des semaines qui suivirent, l’Irak a engagé une campagne de dénigrement et d’accusations à l’encontre du Koweït, lui reprochant de mener une politique délibérée visant à affaiblir l’Irak et à appauvrir son peuple.
  • Dans ce climat lourd de menaces, des tentatives de médiation menées par le Royaume d’Arabie Saoudite ainsi que par le secrétaire général de la Ligue des États arabes M. Chedli Klibi, qui faisait la navette entre Koweït City et Bagdad tout au long du mois de juillet 1990, n’ont pas permis de trouver un compromis pouvant éviter le pire entre les deux pays. Certains analystes estiment que Washington aurait, à travers son ambassadeur à Bagdad, tendu un piège au Président irakien pour l’engouffrer dans le guêpier d’une nouvelle guerre du Golfe. Je ne m’attarderai pas làdessus.

Les évènements douloureux

La fin du mois de juillet 1990 ajoutait à la chaleur torride de l’été koweïtien une atmosphère très lourde de menaces.

Dans les analyses des quelques ambassadeurs qui n’étaient pas déjà partis en congé, les spéculations se multipliaient sur ce qu’allait faire le régime irakien comme action punitive à l’encontre du Koweït. Sous-estimant l’agressivité du leadership irakien, on pensait qu’à la limite il envahirait la zone frontalière litigieuse riche en pétrole entre les deux pays.

Cependant, nous nous sommes réveillés avant l’aube du 2 août 1990 avec le bruit de tirs soutenus d’armes lourdes dirigés contre le palais où résidaient l’Émir et sa famille.

Les troupes irakiennes avaient traversé rapidement les frontières et ont débarqué au centre de la capitale koweïtienne avec armes et équipements lourds. L’Émir et son gouvernement ont pu, quant à eux, traverser à temps les frontières sud
et se sont réfugiés en Arabie Saoudite.

Les forces irakiennes d’occupation pensaient trouver un accueil enthousiaste auprès de l’opposition koweïtienne pour prendre le pouvoir, permettant ainsi d’accréditer la thèse d’un soulèvement populaire dirigé contre la famille régnante et qui, dans une seconde étape, demandera la fusion du Koweït avec l’Irak. Les jours qui suivirent l’invasion du 2 août étaient particulièrement difficiles pour mener à bien mes responsabilités de chef de poste pour la protection des quelque 2 500 membres de la communauté tunisienne vivant au Koweït.

Mon épouse ayant décidé le matin même du jour de l’invasion de traverser la frontière et de se rendre à Riyad, accompagnée de notre fille âgée de deux ans et demi, cela m’avait permis de consacrer pleinement mon temps à couvrir les évènements et particulièrement à aider nos compatriotes à quitter le Koweït le plus tôt possible.

Il convient de rendre hommage aux ingénieurs et techniciens, aux infirmières et infirmiers et autres Tunisiens qui exerçaient dans le cadre de la coopération technique au Koweït et qui ont volontairement décidé de ne pas quitter ce pays et de continuer leurs services dans des circonstances sécuritaires dangereuses.

Il faudrait rappeler également qu’en tant qu’ambassadeur, je devais continuer mes fonctions avec seulement l’agent chargé des télécommunications à l’ambassade, mais sans chauffeur ni personnel domestique.

On a fait de notre mieux pour tenir le Département informé de la situation au Koweït malgré la coupure des lignes de communications téléphoniques et télégraphiques. Des ambassades de pays amis nous permettaient d’envoyer nos
messages chiffrés par radio.

J’ai veillé également au rapatriement de tous nos compatriotes qui voulaient rentrer au pays avec la collaboration de nos ambassades à Bagdad et Amman.

Les conséquences de la transgression de la légalité internationale

L’invasion du Koweït constitue une atteinte grave aux principes de la Charte des Nations unies, de la Charte de la Ligue des États arabes et de celle de l’Organisation de coopération islamique qui rejettent le recours à la force comme moyen de règlement des conflits entre États.

L’invasion du Koweït et par la suite son annexion comme province irakienne constituent inéluctablement une violation grave de la légalité internationale que le régime irakien de l’époque pensait pouvoir accomplir impunément.

La transgression des obligations de respect des règles du droit international par l’Irak aura des conséquences graves non seulement pour le pays agresseur mais a porté une atteinte grave à la solidarité arabe et plus particulièrement à la cause palestinienne. Le Koweït accueillait toutes les organisations palestiniennes ainsi que des centaines de milliers de Palestiniens qui y vivaient depuis des décennies.

La population koweïtienne que l’Irak prétendait aider à se débarrasser de la amille régnante a rejeté, à travers des manifestations populaires quotidiennes dès les premiers jours de l’invasion,«l’occupation irakienne».

L’Émir et son gouvernement qui ont trouvé refuge et se sont installés à Tayef, en Arabie Saoudite, constituent la légitimité du pouvoir. Plusieurs pays ont apporté leur soutien au gouvernement en exil.

Cependant, les dirigeants ainsi que l’opinion publique dans les pays arabes étaient divisés face à l’invasion irakienne du Koweït. Une réunion ministérielle urgente de la Ligue des États arabes tenue au Caire le lendemain de l’invasion a consacré cette division qui va s’accentuer davantage avec la constitution de la coalition internationale pour la libération du Koweït sous la direction des États-Unis d’Amérique.

S’agissant de la position officielle de notre pays qui a appelé à la nécessité d’une solution arabe au conflit, elle a été interprétée par les médias pro-irakiens comme favorable à l’Irak.

Je dois témoigner que les instructions que j’ai reçues du Département étaient claires : notre ambassade au Koweït devrait rester ouverte car notre pays n’accepte ni l’invasion ni l’annexion de ce pays par l’Irak.

Je dois également souligner que l’ambassade irakienne au Koweït s’est transformée dès le premier jour de l’invasion en chef-lieu du gouverneur militaire irakien. Celui-ci s’est donné l’autorité de téléphoner tous les jours aux ambassades établies au Koweït, dont la nôtre, pour leur donner l’ordre de mettre fin à leur présence dans ce pays qui, selon lui, est devenu une province irakienne.

Face au refus d’obtempérer à ces injonctions, le gouverneur militaire irakien a fixé la date du 24 août 1990 comme date limite pour la fermeture des ambassades étrangères au Koweït, après quoi l’eau et l’électricité seront coupées pour les résidences et les chancelleries récalcitrantes.

Il est clair que c’était là un moyen dramatique d’obliger les diplomates à fermer leurs ambassades du fait qu’on ne pouvait pas survivre sans électricité ni eau à 50 degrés à l’ombre.

J’en ai informé Tunis qui m’a donné les instructions de sortir en congé tout en gardant l’ambassade ouverte, en signe de non-reconnaissance de l’annexion du Koweït par l’Irak.

N’ayant plus de chauffeur, j’ai pu rejoindre Bagdad avec le convoi de l’ambassadeur du Liban qui a pu quitter la capitale irakienne alors que j’étais empêché de le faire du fait que notre ambassade restait ouverte au Koweït.

Je suis resté bloqué à Bagdad plus de 10 jours et suivi de près par les agents de renseignement irakiens jusqu’au jour où je me rendis à l’aéroport et j’ai insisté pour qu’on mette fin à ma rétention illégale.

J’ai pu regagner Tunis via Amman.

Il n’y avait à l’aéroport pour m’accueillir que mon épouse et ma fille de deux ans et demi ainsi qu’un ami très cher qui n’est autre que Si Taoufik Habaieb, qui dirigeait la représentation de l’Atct à l’ambassade de Tunisie au Koweït.

Pas un seul agent du ministère!

Je dois également rappeler que quelques jours après mon arrivée à Tunis, j’ai été instruit par feu Habib Boularès, ministre des Affaires étrangères de l’époque, de rejoindre l’envoyé du président de la République auprès des dirigeants des pays du Golfe qui devait rencontrer l’Émir du Koweït à Tayef. Nous avions été reçus par feu Cheikh Jaber Al Ahmed, Émir du Koweït, qui était amer et critique de la position que les médias attribuaient à la Tunisie, en rappelant la position tunisienne sous le Président Bourguiba qui avait condamné fermement une tentative irakienne similaire.

Il a regretté que la Tunisie ne défende pas la légalité internationale.

A titre d’exemple de la violation par les autorités d’occupation irakiennes de leurs obligations des conventions internationales relatives à la protection des ambassades étrangères, je pourrais citer ce qui suit:

  • le vol de nos effets personnels dans notre Résidence suite à la suppression des services de sécurité,
  • l’entrée au sein de notre chancellerie et le vol d’une valise dans le coffre-fort contenant des documents et des objets de valeur que m’avait confiés la famille d’un ami diplomate koweïtien. Heureusement que cette valise a été retrouvée après la libération du Koweït comme en témoigne l’auteur du chapitre d’un livre sur le Koweït sous le titre de «الأمانة».

Enfin, je voudrais exprimer toute ma frustration et mon amertume de n’avoir pas pu aider un diplomate koweïtien grand ami de notre pays à qui je rendais régulièrement visite dans l’endroit où il se cachait du fait qu’il n’avait pas pu quitter son pays avant l’invasion.

Il m’avait demandé de lui fournir un document attestant qu’il était ressortissant tunisien afin qu’il puisse quitter le Koweït.

En fonctionnaire discipliné, j’ai fait part de sa demande au ministère. Jusqu’à mon départ du Koweït, aucune réponse ne m’était parvenue.

Je ne l’ai plus revu depuis.

J’ai appris quelques années plus tard qu’il était décédé. Il s’agissait de feu Majran Al-Hamad, ex-ambassadeur de l’État du Koweït en Tunisie et Doyen du corps diplomatique dans notre pays.

Que son âme repose en paix et qu’il me pardonne de n’avoir pas pu l’aider.

Habib Kaabachi

Ambassadeur à KoweÏt durant l'invasion

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