News - 02.02.2015

Environnement : contre les dysfonctionnements et les négligences à la pelle, une mobilisation générale s’impose !

  Ecrit par
Mohamed Larbi Bouguerra
Tunisie -

« Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égard ni patience ».
(René Char)

Plongés dans les enivrants jeux et les captivantes tractations de la formation du gouvernement, nos politiciens ne sont apparemment pas au courant de la mort, tout récemment, à l’hôpital de Sousse, de ce gosse de 12 ans, élève de l’école Edoulèb de Kasserine.

Mort de la rage. Après une morsure de chien au visage, en novembre dernier,  en dépit des soins reçus.

Nos décideurs et nos politiciens ont sûrement des préoccupations moins terre terre… comme leur carrière, leur fauteuil, les honneurs… Mais la rage…vous voulez rire ! Soyons sérieux !
Et pourtant !

La rage ! Il s’agit d’un terrible symptôme du lamentable état de l’environnement du pays. Mais comme dit la sagesse populaire chez nous : « L’oued emporte la vieille… » et nos politiciens n’ont pour horizon que les maroquins ministériels. 

En 2013, la rage aurait fait six victimes dans notre pays. Six morts de trop !

Mânes de Pasteur, au secours, des Tunisiens meurent encore de la rage au XXIème siècle !

Indifférence et négligences coupables

Quand donc nos responsables se décideront-ils à éliminer ce stigmate du sous-développement et de la négligence vis-à-vis de notre milieu de vie qu’est la maladie rabique, une marque au fer rouge des pays retardataires ? Quand donc nos vétérinaires et nos médecins se décideront-ils à se mobiliser pour vacciner,  tatouer les chiens et les autres animaux domestiques et à sensibiliser les gens sur cette affection incurable dès que ses symptômes se déclarent ? Faut-il rappeler que les enfants en sont les premières victimes ? Quand donc nos édiles se décideront-ils à abattre tout chien errant ? Et par-dessus tout, quand se décidera-t-on à éliminer containers et poubelles qui regorgent d’aliments pour la gent canine ?

C’est vrai, des campagnes antirabiques sont faites mais cela n’est pas suffisant… au regard de la stigmatisation, de l’incurabilité de cette terrible virose et de la répétition des drames.

La rage est la caractéristique des pays les plus pauvres d’Afrique et d’Asie. Il semblerait que, sur ce plan, nous rejoignions cette cohorte des damnés de la terre. Pourquoi ?

Parce que notre environnement se dégrade. Quelle meilleure preuve de cette indifférence coupable que la disparition d’un   Ministère dédié au seul environnement dans le premier projet du gouvernement M. Essid? L’Etat ne peut se désintéresser des préoccupations écologistes et environnementales, essentielles pour l’économie du pays et le bien-être de ses habitants.

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) s’est attelée au cours des trois dernières décennies à casser « le cycle de négligence » qui affecte la prévention de cette affection,  essentiellement dans les pays à revenus faibles ou moyens. Elle vise à éliminer la rage en 2015 dans tous les pays latino-américains et en 2020 dans tous les pays du Sud-est asiatique. La Tunisie restera-t-elle encore longtemps à la traîne et se complaira-t-elle dans la négligence… qui tue les enfants?

Du temps de Ben Ali, le laisser-aller des municipalités pouvait être expliqué par le  fait que leurs membres n’avaient de compte à rendre qu’au locataire de Carthage et aux pontes locaux du RCD alors que l’opinion de leurs concitoyens comptait pour du beurre. Mais aujourd’hui, les délégations spéciales sont censées être au service du citoyen. Pourtant, rien ne change et la lèpre de la pollution, des chiens errants  et des ordures continue à défigurer les villes et les campagnes… comme si le 14 janvier 2011 de la Dignité n’avait  jamais eu lieu.  Il est clair que les élections municipales doivent se tenir au plus vite. Sinon le tsunami des ordures et les meutes canines risquent  de nous emporter tous au moyen de la rage, de la peste et du choléra ! Nous devons réaliser que l’écosystème est plastique. L’activité humaine lui donne forme créant une interdépendance entre elle et l’homme. Il faut de toute urgence œuvrer à améliorer cette interdépendance.

Mobilisation générale

Pour faire face, pourquoi ne pas mobiliser les jeunes, les scouts, les retraités… pour stopper ce chaos ? Pourquoi ne pas provoquer un mouvement populaire et une émulation entre les villes contre ce déferlement  mortel? La situation est à mon humble avis assez grave pour que nos sages du Quartet s’y impliquent, avec leur doigté habituel, pour amener les Tunisiens à une conduite plus responsable vis-à-vis de leur environnement et faire sentir aux politiciens qu’il est temps d’être sérieux à propos de notre environnement.  Pour le bénéfice de leur santé et pour le bien-être des générations à venir. Pour le bénéfice de l’économie aussi, touristique notamment. Sans oublier que dans quelques semaines, le monde entier sera chez nous à l’occasion du Forum Social Mondial (FSM) de mars prochain. Il n’est pas possible « d’invisibiliser » le problème des déchets et notre mauvais rapport à l’urbain.

Pour résoudre ces lancinantes questions environnementales, notre Quartet et la société civile pourraient inaugurer des conférences citoyennes soutenues par des experts comme cela se fait en Scandinavie, en France… Les gens se réunissant  se renforceraient mutuellement pour avancer des propositions citoyennes acceptables par tous pour fermer ces plaies environnementales béantes. Il faut aller plus loin que le Parlement des enfants de novembre dernier. Nous sommes tous appelés à mettre en place des mécanismes qui permettent aux bonnes volontés de protéger le pays et la nature. Si la Constitution a donné la place qui lui revient à l’environnement, quid du Code de l’environnement annoncé déjà en mars 2013 par la ministre, des juristes et des pdg?

Zéro déchet

Les négligences vis-à-vis de l’environnement sont hélas légion.

Lundi 19 janvier 2015, le journal télévisé de 20 heures de la Une a diffusé un sujet sur les éboueurs de Tunis qui ont décidé de mettre un brassard rouge pour exprimer leur mécontentement et la caméra de nous montrer un agent au travail. Cet homme n’avait à sa disposition aucun outil. Pas de pelle. Pas de balai. Il se servait d’un carton sans fond pour ramasser à la main, sans gants, les ordures.  Il transférait celles-ci dans une antique brouette. Avec son carton sans fond ! Tonneau des Danaïdes en fait !
Est-ce ainsi, en négligeant ses agents et l’environnement que la municipalité de  la capitale  compte améliorer l’aspect de Tunis ? Jusqu’à quand dans nos villes continuera-t-on à ramasser les ordures avec des bennes non couvertes qui sèment à tout vent leur contenu et leur  odoriférants miasmes?
Les psychologues et les spécialistes des sciences du comportement devront nous dire un jour pourquoi le Tunisien se conduit ainsi, négligeant son environnement, lui qui crie si souvent et si fort son amour de la patrie. 

Schizophrénie collective ?

Il n’est que temps pour que nos édiles (quand ils seront élus ?) s’attachent à la disparition réelle de ces amas d’ordures. Un mois de la propreté – comme l’année dernière- n’est pas suffisant comme le prouve, entre autres le cas de Jerba. L’enfouissement et les décharges ne sont plus des solutions pérennes. Les incinérateurs sont hors de question. Un grand nombre de villes dans le monde s’attaquent actuellement au problème des déchets par le recyclage. En Tunisie, cela se fait essentiellement de manière artisanale pour le plastique et parfois pour les métaux.  Or, de grandes agglomérations, de Milan à San Francisco en passant par Lorient en France, se sont lancées dans une politique de récupération, de tri et de recyclage de presque tous leurs déchets. Elles ont adopté un concept nouveau : Zéro déchet. A Montreuil, dans la région parisienne, le recyclage des matières organiques a été adopté. Comme dans dans de nombreux immeubles de Paris.  On produit ainsi  un excellent compost qui va dans les jardins. La collecte séparée des « fermentescibles » - végétaux, cartons, papiers, restes alimentaires - est devenue une habitude. Qui profite à la ville. De son côté, Milan, avec plus d’un million d’habitants,  organise cinq collectes différentes : les restes alimentaires, les métaux, les plastiques, les verres et le reste (appelé ordures résiduelles). Fin 2012, la ville se targuait d’avoir augmenté de 33% le volume de déchets triés et recyclés par rapport à l’année précédente. A Lorient, en Bretagne, la masse de déchets mis en décharge est en constante diminution : depuis 2007, le recyclage est passé de 25 à 44%. « Le meilleur déchet et celui qui coûte le moins cher, c’est celui qu’on ne produit pas » dit-on à Lorient où l’on sensibilise à l’éco-consommation et où on lutte contre le gaspillage - notamment d’aliments. En Tunisie, on pourrait commencer par éliminer les sacs en plastique - si souvent promis, jamais réalisé - et favoriser nos traditionnels métiers de production de couffins et d’objets similaires d’origine végétale.  Or, aujourd’hui, il semblerait que tout est fait pour déshiniber le consommateur et le plastique est omniprésent dans le pays… jusques et y compris sur les oliviers de Chaâl ! Le consommateur tunisien n’est pourtant ni suicidaire ni idiot mais on s’évertue à lui rendre les problèmes de consommation « invisibles »,  revêtus du manteau de la banalité.

San Francisco (837 000 habitants), aux Etats Unis, a annoncé son intention de devenir la première ville au monde sans déchets en 2020.

Si ces villes adoptent ce concept de Zéro déchet, pourquoi pas Jerba, Tunis, Sfax, Sousse, Fériana, Jendouba… ?

C’est aux Tunisiens de l’exiger. S’ils veulent améliorer leur rapport avec la nature !

Et pour conclure, faut-il rappeler à notre futur gouvernement et à la société civile tunisienne qu’en décembre prochain, suite à celle de Lima**, une réunion cruciale « aux enjeux sans précédent » (dixit le Quai d’Orsay) sur l’environnement,  COP 21,  aura lieu sur le site de Paris-Le  Bourget  avec la participation de plus  de 190 pays ? La Tunisie aura-t-elle,  d’ici là,  un ministre de l’environnement ? Qui vivra verra !

**Lire Leaders n°44, janvier 2015, p. 98

Mohamed Larbi Bouguerra

 

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