Opinions - 20.01.2013

Malgré nos difficultés, ne perdons pas de vue ce qui se passe de l'autre côté de la Méditerranée !

Il est vrai que notre pays est la cible d’Al Qaïda. Il est vrai que la Tunisie  n’en finit pas avec ses graves difficultés comme viennent de l’illustrer, hélas, les terribles évènements de Siliana et ceux de la Place Mohamed-Ali, pour ne citer que ces cas emblématiques et surtout si douloureux. Il est vrai que  ce qui vient de se passer à Djerba, ce 22 décembre,  n’incite pas non plus à l’optimisme !

Et pourtant…, et en dépit de la chevrotine de Siliana… A cause du poids du passé et de l’Histoire, du nombre de  compatriotes travaillant de l’autre côté de la Méditerranée, des échanges commerciaux, culturels et autres, nous ne pouvons  nous désintéresser de  ce qui se passe actuellement, sur l’autre rive,  en France.

 M. Hollande a gagné la bataille de l’Elysée et les promesses de campagne se sont évaporées comme rosée du matin. Pas de régularisation de sans-papiers,  le droit de vote des étrangers est passé à la trappe au profit du «mariage pour tous». M.Hollande semble avoir retenu la leçon de George  Bush qui a gagné un second mandat en mettant le mariage homosexuel et l’avortement au centre du débat ! Ainsi, sont évacués le chômage, les sans-abri, la hausse des impôts, la régression des droits sociaux… Le député socialiste Malek Boutih affirme traverser un «trou noir» face à la politique que mène présentement le gouvernement français: «Nous sommes devant un objet non identifié qui absorbe notre énergie. Et ce n’est pas la surutilisation des sujets de société qui va la combler».

 De son côté, Emmanuel Maurel, le chef de file de l’aile gauche du PS, avertit : «…On fait le mariage pour tous et en même temps on flexibilise le marché du travail, sans augmenter les salaires, et à la fin, on se fait laminer. Je ne voudrais pas que le hollandisme se résume à n’être que du social-défaitisme.»  S’il restait une once d’espoir, le voyage du président Hollande en Algérie l’a complètement détruite: sur le fond, il a pratiquement marché dans les pas de Nicolas Sarkozy lors de sa visite en 2007.  Il a voulu ressusciter cette Union pour la Méditerranée prônée par son prédécesseur à l’Elysée – sous l’égide des dictateurs Moubarak et Ben Ali – qui visait notamment à «normaliser» l’entité sioniste et n’a consenti à reconnaître que «les souffrances» infligées par le système colonial au peuple algérien! Pour Josette Audin – la veuve de ce jeune mathématicien communiste, partisan d’une Algérie libérée du carcan colonialiste et mort sous la torture des parachutistes  en 1957–, François Hollande a fait  «le minimum du minimum du minimum de ce qu’il aurait dû faire.» Ce n’est pas demain la veille donc que Hollande reconnaîtra les crimes colonialistes commis en Tunisie: de l’assassinat de Hached au ratissage de Tazerka et du napalm contre les 8 000 Tunisiens assassinés à Bizerte en juillet 1961 aux camps de détention du sud : Remada, Zaarour et Tataouine, où la France a fait croupir des centaines de patriotes et à l’éloignement à Pau de Moncef Bey, pour ne rien dire des Tunisiens enrôlés dans l’armée française  et utilisés comme chair à canon dans des guerres qui ne les concernaient en rien !

Des médias dotés d’œillères

M. Hollande reste frileux cependant sur le drame palestinien et si la France a voté en faveur de l’admission de la Palestine comme membre observateur aux Nations unies – à l’égal du Vatican !–, le lobby sioniste a encore toute sa sympathie. A l’occasion du démantèlement d’un groupe islamiste, le CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France) – une organisation inconditionnellement et unilatéralement partisane de l’entité sioniste – a été reçu en grande pompe à l’Elysée début octobre 2012 alors que les organisations musulmanes ou propalestiniennes ne profitent guère d’une telle pompe.  La presse et les médias ont allumé un feu d’artifice pour rendre compte, à moult reprises,  de  la manifestation d’une poignée de salafistes près de l’ambassade américaine  à Paris et nous ont montré les gens du CRIF paradant sur le perron de l’Elysée mais ils ont « oublié » d’annoncer que des jeunes fanatiques du Bétar – une organisation sioniste violente – ont attaqué le domicile d’un journaliste propalestinien dans la banlieue parisienne. Il est vrai que le lobby sioniste en France s’active auprès des gens de plume. Ainsi, José Meidinger écrit le 02 décembre 2012 (sur le site Boulevard Voltaire) que le  site Rue89 a eu confirmation que le CRIF envoyait des étudiants en journalisme en Israël : «Les représentants du CRIF ne cachent pas (pourquoi se gêneraient-ils d’ailleurs) qu’ils ont bien l’intention de bourrer le crâne des futurs «journalistes» avec un programme à leur sauce, dont la Palestine occupée et le peuple palestinien seront bien évidemment absents.» Pire, notre ami Alain Gresh, directeur adjoint du mensuel Le Monde Diplomatique, rapporte sur son blog  que l’Elysée est infiltré par le CRIF et affirme que Paul Bernard, membre du Comité directeur du CRIF, tient la plume de François Hollande pour son discours en présence de Netanyahou à Toulouse ainsi que l’essentiel de son discours à l’ONU, et pose cette question frappée au coin du bon sens : «Imagine-t-on un instant un citoyen français de confession musulmane, engagé dans une association de soutien au peuple palestinien, chargé d’écrire les discours du Président de la République?» L’infiltration sioniste et sa proximité du pouvoir se notent tout autant aux Etats-Unis : Rahm Emanuel, l’ancien chef de cabinet d’Obama, maire actuel de Chicago, la troisième plus grande ville des Etats-Unis, est un officier de l’armée israélienne.

On relèvera enfin que M. Hollande a permis à Benjamin Netanyahou, lors de sa visite à Toulouse  le 31 octobre dernier, de sortir de son isolement diplomatique, de lancer sa campagne électorale  et lui a donné l’occasion d’appeler les citoyens français juifs à partir en Israël pour en faire leur «chez eux». «Cela signifierait-il– demande le Cercle des volontaires des juifs républicains – que les juifs ne seraient pas chez eux en France ? Si cela était sorti de la bouche d’un musulman,   ou d’un non-juif tout simplement, les chiens de garde aux aguets auraient hurlé en chœur à l’antisémitisme.» Et le Cercle, après avoir noté que les Israéliens qui le peuvent quittent en masse le pays actuellement, de citer le célèbre journaliste du Haaretz, un quotidien de l’opposition israélienne – Gidéon Lévy,  qui note : «Si nos ancêtres ont rêvé d’un passeport israélien pour s’échapper d’Europe, beaucoup parmi nous rêvent maintenant d’un second passeport pour s’échapper en Europe.» Opposé à la visite  de Netanyahou,  le Collectif pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens, dans une lettre adressée au Président de la République le 30 octobre 2012, écrit: «B. Netanyahou, c’est l’homme qui revendique et organise le développement systématique et sans précédent de la colonisation…C’est celui qui maintient Gaza sous un blocus inhumain, forme inacceptable et illégale de punition collective. C’est celui qui réprime avec constance et brutalité le mouvement de résistance populaire et pacifique de la société palestinienne. C’est celui qui menace d’intervenir contre l’Iran au risque de déclencher un cataclysme» et de conclure: «…M. Le Président de la République, nous vous demandons de lui tenir le langage de la vérité car dans l’ivresse de la force et de l’impunité, il mène son pays à l’abîme. »

Le legs explosif de la présidence Sarkozy

A l’heure actuelle, face à la mondialisation, à la désindustrialisation et au legs calamiteux de la présidence précédente, une certaine France se referme sur elle-même et regarde le monde avec suspicion… et tout spécialement les Arabes. Nicolas Sarkozy a introduit en effet un terrible et dangereux virus: la droite «décomplexée» - on peut dire tout haut sa haine de l’Autre, exprimer publiquement des sentiments nauséabonds, dire que les étrangers ont plus de droits que les Français (voir Marianne n° 805, 22-28 septembre 2012)… - dans une obscène tentative d’attirer les électeurs sionistes et ceux du Front National, racistes, xénophobes, non encore remis de la perte de l’Algérie «française».

Sur les conseils de Patrick Buisson qui vient de l’extrême droite fasciste, Nicolas Sarkozy, dans son discours de campagne du 11 mars 2012 à Villepinte, a exécuté une comique danse du ventre pour obtenir le vote du Front National et fustigé, comme Marine Le Pen, les accords de Schengen qui permettent la libre circulation à travers les frontières de l’Union européenne et donc «l’invasion arabe». Ainsi, grâce à Sarkozy, il est devenu de bon ton d’exprimer son rejet de l’Autre, arabe, musulman ou «basané». Son parti, l’UMP, s’est considérablement «droitisé». L’islamophobie – et plus généralement les étrangers non communautaires – est devenue le cheval de bataille et la rengaine favorite de toute la droite et tout y  passe, pêle-mêle, comme si tous les musulmans de France étaient des salafistes ou des partisans d’un wahabisme d’un autre âge : viande halal, piscines, hôpitaux, minarets, tchadors, voiles, prières dans les rues… jusqu’au risible «pain au chocolat» du prétendant à la présidence de l’UMP,  Jean-François Copé – lui-même d’origine étrangère d’ailleurs puisque sa mère est née en Algérie   et que son père est d’origine juive roumaine d’après Wikipédia – qui n’a pas réalisé que le ramadan ayant eu lieu cette année en août, alors que toutes les écoles de France et de Navarre étaient en vacances, son histoire du petit écolier qui se fait voler son goûter par de méchants élèves musulmans ne pouvait tenir la route! Cette ridicule invention d’un politicien prêt à tout pour arriver prouve la fertile imagination des tenants du rejet des Arabes et des Maghrébins - même quand ils sont français ! «Copé cogne comme un sourd, tout le temps, sans relâche, au point en effet de parachever la banalisation, la «normalisation» de Marine Le Pen … Mettre les immigrés sous  la pression et en accusation parce que, dans l’esprit de Copé, c’est la seule façon de récupérer l’électorat populaire», écrit Maurice Szafran, PDG de Marianne (in n°812, 10-16 novembre 2012, p.4), enterrant ainsi la «droite républicaine», héritière du gaullisme et de la démocratie chrétienne. Qui a oublié les grasses plaisanteries anti-maghrébines de Brice Hortefeux – un intime de Sarkozy– au sujet de cet adhérent UMP d’origine nord-africaine ? Du reste, les tribunaux devaient  sanctionner  ce porte-flingue de Sarkozy pour ses propos ignobles. En fait, tout ce beau monde qui vient parfois de l’extrême droite – Jean-François Copé, Christian Estrosi, député-maire de Nice, et autre Gérard Longuet, sénateur, ancien ministre de la Défense – souffre de la perception d’un certain déclin de l’Occident et se sent menacé par la rive sud de la Méditerranée, par l’Orient… Leonardo Padura, le grand écrivain cubain, affirme: «Tu ne peux pas imaginer ce que peuvent faire la haine et la rancœur quand on les a bien nourries.» Dans Le Monde du 08 avril 2012, Jérôme Leroy relevait l’existence d’ «un enracinement durable de l’extrême droite dans la société française…, une société de replis communautaires, identitaires, religieux, où tout le monde a peur de tout le monde et où la haine latente est attisée par ceux qui ont tout intérêt à ce que les regards ne se posent pas sur les causes réelles de cette situation : un creusement sans précédent des inégalités économiques et une ségrégation de fait inscrite dans le tissu de nos villes. »
 
La France que nous aimons n’est pas celle des ségrégations et du rejet. C’est celle de  l’égalité, de la liberté et de la fraternité . C’est cette France que nous aimons qui met si bien en relief,  dans une  nouvelle et magnifique aile du très prestigieux musée du Louvre, l’éclat et la splendeur des arts et de la civilisation arabo-musulmans. Avec près de cinq millions de citoyens se réclamant de cette  culture, la France doit «faire passer le musulman de la situation d’Autre à celui de concitoyen à part entière. Il reste sans doute un long chemin à parcourir…», écrit le grand historien Jacques Le Goff en préface à l’ouvrage dirigé par le regretté Mohamed Arkoun Histoire de l’islam et des musulmans en France. (Albin Michel, Paris, 2006). C’est pourquoi, si «Le temps nourri par la colère n’est pas stérile, la colère féconde, comme l’amour» (Paul Nizan), il nous faut agir pour que triomphe la Raison  et que soient bannis  la haine et le racisme de cette France de la Déclaration des droits de l’Homme et de la Révolution de 1789 qui inspira le monde entier. Les Tunisiens ne sauraient, en dépit de ces heures cruciales qu’ils vivent, cesser de s’intéresser à ce qui s’y passe.

M.L.B.

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1 Commentaire
Les Commentaires
candide - 21-01-2013 12:46

M. BOUGUERRA, Votre article est plein de bon sens, mais pas toujours à l’honneur des français, j’en suis conscient, mais je n’y adhère pas totalement. Il ne faut pas perdre de vue que la France est un pays démocratique. Le président Hollande a été élu par une majorité de français, avec un programme de travail pour les 5 prochaines années, j’ai bien dit 5 années. Il est illusoire de penser que plusieurs points de ce programme sont abandonnés. Je ne saurais dire combien de français sont en accord avec ce programme idéologique conçu par la nomenklatura socialiste ? Certainement pas plus de 50% en raison du rejet de Nicolas Sarkosy. Plusieurs points de son programme ne remportent pas l’adhésion de tous les français. Ils font l’objet d’un choix de société qu’une majorité refuse et ne se prive pas pour le dire et le faire savoir. Venez donc vivre en France M. Bouguerra, ouvrez les yeux, les oreilles, vous serez contraint de réécrire votre article. Le résultat issu des urnes est une chose. La volonté populaire en est une autre et c’est elle qui prime dans une démocratie. Les partis politiques ne sont que des émanations de la pensée populaire, et c’est vrai, ce n’est pas toujours beau à voir. Quand vous parlez de colonialisme M. Bouguerra, votre discours est passé de mode. Vous ne parlez que du coté négatif des choses. Parlez plutôt de l’éducation que la France vous a donné et que si vous en êtes là, que si vos enfants ont fait des études si brillantes que beaucoup leur envient, c’est peut être aussi grâce à elle et à cette colonisation que beaucoup encore vomissent. Ne soyez pas leur drapeau, leur porte parole. Cinquante six ans après l’indépendance, il y a encore des individus vindicatifs et revendicatifs qui se confortent à l’idée d’une hypothétique repentance de la France, à laquelle également une majorité de Français est opposée. Pourquoi ne demanderaient ils pas également la comparution devant la cours de justice internationale, de Charles Martel qui en 732 a osé arrêter les arabes à Poitiers ? Reconnaître, n’a jamais été se repentir. L’histoire, chacun la subit. Nous ne sommes pas responsables des décisions prises par Napoléon et par ceux qui ont poursuivi son « œuvre ». Sans la présence française, vous seriez peut être une colonie anglaise, belge, espagnole ou portugaise, peut être même allemande ou italienne. Peut être aussi que la Tunisie n’existerait plus en tant qu’état, annexée depuis longtemps par l’Algérie ou par la Libye. Français né à Tunis, dans un pays que j’ai aimé et que j’aime encore plus chaque jour qui passe, mais qui aussi désespère de voir renaître le passé récent de cette Tunisie tant aimée. Les derniers mots qu’a dit mon grand père avant de mourir, « Laissez-moi me reposer sur cette terre où je suis né ». Il repose depuis 1956 en plein cœur de Tunis.

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