Opinions - 10.01.2013

Comment faire revivre cet espoir

Aujourd’hui, lundi 17 décembre 2012 : il y a deux ans que la Révolution a éclaté, que le dictateur s’est enfui, que le pays a été libéré de l’oppression. Un grand et énorme espoir est né ce jour : une Tunisie démocratique, moderne, paisible, heureuse, prospère répondant aux besoins de la population, évitant les querelles religieuses, idéologiques ou autres et écartant les violences et les violations de l’ordre légal et de la paix sociale.

On ne peut pas dire que cet espoir, ce rêve s’est réalisé durant la période de deux ans qui vient de s’écouler. Nous n’avons pas été à la hauteur de l’évènement : il faut bien aujourd’hui le reconnaître et en tirer la leçon. Dès le 14 janvier 2011, la préoccupation principale des dirigeants à tous les niveaux était l’accès au pouvoir, le plus rapidement possible, préoccupation qui dure jusqu’à ce jour. Les plus pressés réclamaient une élection présidentielle pour remplacer Ben Ali, oubliant tous les méfaits et les malheurs d’un régime présidentiel qui a duré un demi-siècle.

Alors que la situation du pays réclamait un gouvernement crédible, efficace, émanant de l’union à l’échelle nationale de toutes les forces vives du pays en vue de répondre à l’attente de la population, on a préféré la solution de gouvernements «provisoires» et «transitoire» qui manquaient de la légitimité et du temps nécessaires pour agir efficacement. On aura ainsi trois gouvernements «provisoires» et un gouvernement «transitoire».

Les deux premiers n’avaient pas une bonne réputation et n’ont pas duré. Le troisième était consensuel par «résignation». Il aurait pu être plus performant s’il avait pu préfigurer une «union nationale» regroupant les principales forces politiques et ne s’était pas contenté de «neutralité» et de recours à des ministres techniques sans audience politique auprès du pays. 

Il a néanmoins réussi, après 9 mois de labeur, à organiser les premières élections législatives, sans préparation suffisante, avec une loi électorale non adaptée aux besoins de l’heure et sans une loi sur les partis politiques, d’où la prolifération de ces derniers, leur discrédit et la multiplication de listes indépendantes peu crédibles. Le résultat n’a pas été satisfaisant, l’abstention s’est élevée à environ 50% du corps électoral, l’élimination du tiers des votants qui n’a obtenu aucun siège à l’Assemblée constituante et l’émergence du parti dit islamique ne représentant que moins de 20% du corps électoral.

Autre inconvénient majeur : de nouveau, et en vue de cette élection, on a décidé que l’Assemblée élue le 23 octobre 2011 aura un mandat d’une seule année pour établir une constitution. Ce mandat s’est terminé le 23 octobre 2012 et la constitution n’est pas encore promulguée. Cette Assemblée n’est plus portée que par le «consensus» de la nécessité. Elle ne peut avoir le même crédit. Cette assemblée a désigné un gouvernement qui ne disposait pas du temps nécessaire pour agir efficacement.

Des résultats peu satisfaisants

Cette relation des faits explique les difficultés et les dérives que le pays a connues durant ce parcours de deux ans. La légitimité insuffisante des quatre gouvernements et leur durée limitée expliquent le désordre qui a régné durant cette période.

Désordre politique et disputes incessantes entre les partis et fractions politiques, désordre économique résultant de l’insécurité et la persistance et la multiplication des procès de toutes sortes détruisant la confiance dans l’avenir. Désordre social provenant des catégories les plus démunies et des régions les plus défavorisées à l’Ouest et au Sud notamment et qui ont été à l’origine de la révolution.

Volonté d’accaparement du pouvoir pendant la période «transitoire» avec l’utilisation de la religion dans la politique et la confusion qui en est résultée avec l’occupation des mosquées et des principaux postes de l’Etat dont les gouverneurs dans les régions : donc préparation de la seconde vague d’élections qui doivent être présidentielles, législatives et municipales et ce en vue de l’établissement d’un Etat «islamique».

Et comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement transitoire, par faiblesse ou par complaisance, a cru utile de couvrir et même d’encourager des fractions extrémistes utilisant la violence, d’où notamment l’attaque de l’Ambassade et de l’Ecole américaines, la violence extrême à Tataouine, Douar Hicher et ailleurs et enfin l’attaque du siège de la centrale syndicale, l’ UGTT, qui a failli mal se terminer.

Quoi faire ?

Donc, gouvernance faible et hésitante et conséquences sur la situation générale du pays de plus en plus préoccupante. Que devons-nous faire pour nous en sortir ? Pour que l’espoir né avec la Révolution qui s’est transformé en déception ne devienne pas un désespoir devant cette détérioration continue ? et pour que le peu de liberté retrouvé ne disparaisse ?

Il faut faire revivre cet espoir. Il est nécessaire que les dirigeants retrouvent la raison et se montrent à la hauteur de la situation et cessent d’avoir comme préoccupation principale l’accès au pouvoir, préoccupation dérisoire, surtout si l’on ne peut rien faire avec ce pouvoir.

Aujourd’hui en effet, après une longue période non démocratique, aucun parti, aucune fraction politique ne pourra seule gouverner le pays. Le système classique d’une majorité et d’une opposition ne peut guère être utilisé. La majorité sera obligée d’être autoritaire et dictatoriale et l’opposition ne pourra pas être constructive étant donné son ambition de «chasser» la majorité. Dans la situation actuelle du pays, ce système ne pourra que reconduire et aggraver les défauts de la période provisoire et transitoire qui est encore en cours.

Il est important à cet effet que cesse pour un temps le recours à la religion et à l’idéologie. Le pouvoir et sa conquête ont été historiquement un facteur de discorde. Couplé avec la religion et l’idéologie, il devient un facteur de haine. Les guerres de religion intérieures en Europe, les croisades à l’extérieur l’ont suffisamment démontré. La Tunisie, pays modéré physiquement, climatiquement, humainement et qui a souffert des guerres, de la colonisation, de la mauvaise gouvernance, aspire profondément au calme spirituel et intellectuel.

Les gouvernants sont là non pour «islamiser», ni pour «désislamiser». L’Islam existe en Tunisie depuis 15 siècles. Aucun parti politique ne peut prétendre accaparer ou s’en servir ; ce serait une cause de conflit perpétuel. Le monde arabe et islamique, à part quelques rares exceptions, en souffre aujourd’hui et son retard par rapport aux pays développés s’explique par cette confusion sur l’objectif d’un gouvernement utile.

Les tâches du gouvernement

Ce gouvernement doit s’atteler à répondre aux besoins du pays et de la société et en premier lieu son besoin de sécurité pour vivre, travailler, produire, pour s’occuper de la famille et des enfants, la peur et l’insécurité ne pouvant conduire qu’à l’arriération du pays. En second lieu, lutte contre le chômage humiliant, création d’emplois suffisants en nombre et en qualité, grâce à une croissance économique soutenue et réduction progressive mais réelle des inégalités entre les catégories sociales et régions géographiques. Et enfin adaptation des structures de l’Etat au niveau du développement ainsi que la décentralisation progressive des institutions et responsabilisation des régions.

En outre, ce gouvernement doit aborder les réformes profondes que nécessite le développement du pays, notamment la réforme de l’éducation qui est la plus urgente. Il est humiliant de constater que nos meilleures universités se placent à un rang inacceptable à 7600 après les universités des autres pays du Maghreb, y compris la Mauritanie et  l’Egypte. L’université est devenue, comme l’ensemble du système éducatif, une « fabrique de chômeurs », comme le constate des professionnels du secteur. La Finlande, 5 millions d’habitants, qui a le meilleur système éducatif, a atteint un niveau de développement comparable à celui des pays les plus avancés.  La réforme du secteur financier devient aussi de plus en plus urgente, qu’il s’agisse de la finance publique, du secteur bancaire ou des finances extérieures. Le budget de l’Etat en déficit constant nécessitera une réforme de l’Etat. La centralisation et la paralysie du secteur privé nécessitent une révision progressive des tâches respectives.

L’Etat doit de plus en plus se limiter à celles qui ne peuvent être exercées par la société civile étant donné leur nature ou leur importance et doit laisser à celle-ci, celles qui concernent la production, le commerce, l’importation, l’exportation, le transport, etc. L’Etat a suffisamment montré son incompétence dans ces divers domaines. En revanche, il est irremplaçable comme responsable de l’établissement des plans de développement économique et social et de contrôle de la politique économique générale.

La seule solution digne et efficace : l’union nationale

Toutes ces tâches requièrent un gouvernement qui dure suffisamment pour pouvoir les entreprendre. Il nous faut donc un pays calme et un gouvernement stable bénéficiant de la confiance de l’ensemble du monde politique et des différentes composantes de la société, en un mot un gouvernement d’union nationale qui va œuvrer pour réaliser les objectifs politiques, économiques et sociaux de la Révolution résumés dans la liberté et la dignité et aussi l’égalité. La plupart des porte-parole de l’opinion mettent l’accent sur le dialogue, la concertation, le consensus mais cela ne suffit guère.

Il faut des propositions pratiques pour concrétiser la concertation et le consensus, et un processus réunissant efficacité et légitimité. C’est ce qu’on a essayé de proclamer depuis des mois. C’est ce qu’on aurait dû entreprendre dès le 14 janvier 2011 ou au moins après les élections du 23 octobre 2011 et réunir toutes les énergies pour faire face aux problèmes du pays. On a gaspillé deux ans de non-concertation et de dispersion des efforts inutilement. Et la plupart des problèmes restent sans solution.  En effet, la sécurité du pays est fragile, à l’intérieur et aux frontières, la violence persiste, la constitution est encore à l’état de «brouillon», la mise en place des lois nécessaires à la réalisation d’élections réussies nécessitera du temps, qu’il s’agisse de l’Instance compétente pour contrôler les élections, de la loi sur les partis politiques, pour réduire leur nombre et assurer une ossature solide pour le gouvernement du pays ou de l’élaboration d’une loi électorale compréhensible pour le commun des citoyens électeurs comme le scrutin uninominal à deux tours pour réduire l’abstention qui ne peut qu’affaiblir la portée de l’élection.

Cela sans parler du renforcement d’une justice réellement indépendante qui aura à statuer sur les conflits électoraux, sans la réhabilitation et l’indépendance des services de police qui auront à sécuriser le processus électoral ou du secteur de l’information qui doit renseigner objectivement les citoyens, sans la solution des nombreuses questions concernant les martyrs et les blessés de la Révolution, la libération ou le jugement des personnes soupçonnées de participation à la dictature ou qui en ont profité, dont des centaines d’hommes d’affaires, ou encore le problème des «milices» qui se sont vu attribuer le rôle de protection de la Révolution, rôle qui incombe aux autorités légales ou enfin de la réapparition, certains l’affirment, de la corruption, l’argent pour les élections, ou la torture évoquée par des organismes de la société civile.

Changer totalement de système

C’est compte tenu de ce qui vient d’être exposé qu’il importe de changer totalement le système des périodes provisoires et transitoire.

Il nous faut une période de calme et de stabilité qui doit durer au moins trois ans pour entreprendre tous les efforts à faire et les problèmes les plus urgents à résoudre pour sauver le pays, le stabiliser et lui permettre d’acquérir une aptitude sérieuse à un gouvernement démocratique et stable.

Cette période de trois ans servira également à équilibrer le paysage politique. La Troïka est en progrès mais elle est déséquilibrée.

Elle montre tant bien que mal que les islamistes et les modernistes peuvent cohabiter et collaborer. Les difficultés proviennent de la domination du plus grand des trois.
Elle doit laisser la place à «l’union nationale» qui doit comprendre les représentants des partis politiques, des syndicats, des acteurs de la société civile, de l’Université notamment. Le rééquilibrage rendra plus crédible l’institution gouvernementale qui en émanera.

Il y a lieu de préciser en outre que pour obtenir le calme nécessaire pour l’accomplissement des tâches décrites ci-dessus, il y a lieu d’ajourner toutes élections pour après la période de trois ans de l’union nationale.

Les trois élections successives qui devront avoir lieu au cours de la même année, les campagnes électorales et l’agitation qu’elles provoquent ne sont pas de nature à calmer le pays : l’excitation sera à son comble et on ne pourra rien faire aboutir.

En attendant la fin de la période de calme de trois ans, il faudra proroger le mandat de l’Assemblée constituante et législative pour qu’elle puisse achever sereinement l’ensemble des travaux qui lui incombent en spécifiant que les votes en son sein doivent avoir lieu avec une majorité de quatre cinquième pour éviter toute perturbation de l’union nationale.

Quelle structure gouvernementale ?

Il est proposé deux institutions gouvernementales pour organiser la complémentarité entre l’expérience, le savoir-faire et la technicité avec la vision politique et l’établissement de l’orientation générale à suivre ainsi que le suivi de la gestion des affaires.

Les deux organismes sont le Conseil de la République composé des représentants des différents participants à l’union nationale et le gouvernement comprenant des hommes d’Etat expérimentés, qu’ils soient d’origine politique ou technique, qui aura pour tâche de gérer le pays et de répondre aux besoins les plus urgents, notamment en matière de chômage et d’emploi, de développement régional et de rétablissement de nos finances extérieures pour éviter la «banqueroute» enregistrée à deux reprises en 1964 et 1986 et le recours au Fonds monétaire international et à la Banque mondiale pour surmonter la crise des paiements extérieurs.

Emprunter pour rembourser

Le schéma des finances extérieures reste le même depuis de nombreuses années et jusqu’au XI plan 2007-2011 : un déficit courant important (7 milliards de dinars), le remboursement du principal de la dette extérieure (12 milliards), sans compter les intérêts de la dette (7 milliards de dinars) compris dans la balance courante et une augmentation des réserves de change pour avoir de quoi « tenir » pendant 6 mois (3,3 milliards de dinars), d’où donc un total de 22 milliards de dinars. Il nous faut donc trouver des ressources pour faire face à ces besoins.

Toujours pour le XIe plan, il est prévu d’emprunter 13,1 milliards de dinars (on emprunte pour rembourser ce qu’on a emprunté) et de chercher 8,4 milliards de dinars d’IDE (investissements directs étrangers) et quelques dons pour 0,620 milliard. Au total, on aura 28 milliards de dinars de sortie de capitaux pour rembourser notre dette en principal et intérêt et pour améliorer nos réserves de change. C’est une balance très fragile. Supposons que nous ne trouvions pas ou en partie seulement les 8,4 milliards d’IDE, le pays n’inspirant pas confiance ou les 13,1 milliards d’emprunts, les prêteurs n’ayant pas confiance ou réclamant un taux d’intérêt élevé du fait de la notation des agences spécialisées. On sera en pleine crise et comme en 1964 et 1986, nous devons recourir au Fonds monétaire international et à la Banque mondiale et nous soumettre à leurs conditions, n’ayant pas été capables de gérer nos propres affaires. C’est cela la «faillite» d’un pays et de son gouvernement et le vocable en arabe se dit «Ifless».

Il en est des Etats comme des individus ou des entreprises. Trop d’endettement mène à la crise. La différence est simplement que l’Etat ne peut pas disparaître mais il souffrira et doit ou s’appauvrir ou réduire ses dépenses ou se soumettre aux exigences des organisations internationales prévues à cet effet. Ces organismes pensent, comme j’ai eu à le vérifier, que les dirigeants des pays n’avoueront leur incompétence qu’à la dernière minute pour rejeter sur le Fonds monétaire les conséquences de leur gestion. J’avais à l’époque (1982-1983) essayé d’entreprendre une action préventive avec le Fonds monétaire, la crise étant déjà inscrite dans les chiffres. Mzali, Premier ministre, n’en a pas voulu ainsi que certains de ses ministres. Moins de trois ans plus tard, il fallait supplier le Fonds monétaire de bien vouloir intervenir.

C’est dire que l’on n’a pas le droit de prendre cette question à la légère, il faut le faire sérieusement et longtemps à l’avance pour éviter l’humiliation de la cessation des paiements. J’évoque un peu longuement ce problème mal perçu par le grand nombre, même parmi les «savants» en la matière, étant convaincu que je le fais par devoir et non pour «exagérer» ou faire peur. Ce sont ces problèmes urgents que le gouvernement de l’union nationale doit traiter. De nombreux autres problèmes comportent les mêmes difficultés et il importe de ne pas les ignorer.

La sanction du référendum

Conseil de la République et gouvernement constitués, par consensus entre les différentes parties de l’union nationale, il y a lieu de consigner dans un accord général l’essentiel du dispositif pour pouvoir le soumettre à un référendum et donner ainsi à ces institutions et dispositions de l’union nationale la légitimité nécessaire et la sanction populaire effective, le consensus seul ne pouvant le faire.

Si le contenu de l’union nationale est approuvé par les principaux partenaires, il y a lieu de penser que la population sera soulagée et que le corps électoral l’approuvera. Le référendum peut ainsi se dérouler pacifiquement et calmement. Son succès rendra au pays sa stabilité intérieure et son crédit auprès de l’opinion internationale dont nous attendons un soutien significatif pour ouvrir devant le pays un meilleur avenir.

Le déroulement et la mise en place de l’union nationale et du référendum peuvent avoir lieu durant le premier mois de 2013 et la durée de l’union nationale pourra se prolonger durant les années 2014 et 2015 et peut-être, si nécessaire, en 2016.

Il y a lieu d’espérer qu’à la fin de ce processus, nous serons bien partis pour un régime politique structuré susceptible de nous permettre le «luxe» d’un pays démocratique avec une majorité aussi modeste qu’efficace et une opposition aussi effective que raisonnable.

 

M. M.

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1 Commentaire
Les Commentaires
ressaissi.taoufik - 12-01-2013 08:35

l'article provient d'un homme Sâge Qui projette et voit loin.Il faut faire une revision génerale et non pas reparer partielement l'existant. Puis redémarrer le pays sur des bases solide avec des responsables formés pour diriger un pays comme des bons péres de famille.Les pays developpés sont simple dans leur esprit et comprotement ,clair dans la tête pour prendre une décision,et calculent bien le pour et le contre à cout,moyen et long termes ;avant tout agissement.Notre peuple est instruit mais lui manque encore une culture .Globalement, la vrai civilisation n'est pas encore maîtrisée par certain. C.A.D.L'acquisition d'une certaine mentalité.

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