Opinions - 19.03.2012

Les vieux réflexes ont la peau dure

J’ai jugé utile et nécessaire en cette ère post révolutionnaire de raconter ma toute première expérience électorale pour essayer d’attirer l’attention sur les vices des lois, des règlements et des procédures électorales.

Souvenez-vous combien Ben Ali a pu nous réprimer à travers des lois injustes, des règlements peu précis et des procédures opaques et antidémocratiques rédigées sur mesures en faveur du pouvoir en place.

Une année, jour pour jour après la légalisation du Parti Afek Tounes, nous avons tenu à Kairouan, le samedi 17 Mars, notre premier congrès. Malheureusement ce fut aussi le dernier puisque nous fusionnons dans le grand parti du centre qui est en voie de concrétisation et dont le congrès unificateur se tiendra les 7, 8 et 9 Avril prochain.

Quant à Afek Tounes et malgré une très belle mais aussi très relative performance d’avoir gagné quatre sièges à l’Assemblée Nationale Constituante en un laps de temps record, deux contraintes majeures font que nous sommes dans l’obligation de disparaitre en tant qu’entité politique indépendante.

La première contrainte est d’ordre financier. Quel Tunisien financerait encore après les élections un petit parti d’opposition ? Les éventuels pourvoyeurs de fonds ne raisonnent généralement pas en termes d’idéologie politique mais plutôt en termes de retour sur investissement. Or le retour immédiat sur investissement exige plutôt de financer le parti au pouvoir surtout à un moment où notre pays à grandement besoin de stabilité politique pour pouvoir avancer de nouveau.

La seconde obligation est d’ordre politique. En effet, nous sommes aujourd’hui gouvernés par une troïka dont l’inexpérience en matière de gouvernance excède au plus haut point. Les plus démunis ne voient encore aucune retombée positive de la révolution ni des élections. Les plus nantis restent sceptiques et réticents à l’investissement face à un projet de société obscurantiste qui cherche à s’imposer par l’intimidation. Le risque d’une une nouvelle explosion sociale est réel.

Vu le score très bas de tous les partis d’oppositions réunis, la fusion reste donc leur seule et unique chance de survie dans l’arène politique tant pour servir d’alternative que pour défendre un projet de société démocratique et républicain au-delà de tout clivage gauche-droite.

Après des mois de négociations et de travail en commun, Afek Tounes et d’autres partis fusionnent donc avec le PDP qui par sa dimension s’est imposé comme le parti chef de file de cette union centriste. Les négociations ont abouti à l’octroi d’un quota de sièges pour chaque parti voulant s’inscrire dans cette fusion, plus un nombre de places ouvertes à des personnalités nationales indépendantes.

Dans un premier temps, des élections ont donc eu lieu dans toutes les régions pour élire les membres des bureaux et leurs représentants au comité central du nouveau grand parti en création. Quatre places furent aussi réservées à nos honorables élus et il restait encore 29 places pour boucler le quota attribué à Afek Tounes. Par voie de vote, notre comité central a décidé que ces 29 personnes seraient élues à travers un scrutin de liste à la proportionnelle. Un congrès interne à Afek Tounes a donc été prévu pour organiser cette élection.

Que ne fut ma surprise de découvrir quelques jours avant le congrès qu’une seule et unique liste serait proposée à validation à 250 congressistes qui venaient de toute la République normalement pour choisir leurs candidats et non pour subir et valider le choix de quelques uns.

En tant que membre fondateur d’Afek Tounes et en tant que militante pour la démocratie depuis plus d’une décennie, je ne pouvais décemment accepter que les règles démocratiques soient transgressées par cette proposition d’une liste unique à valider. Comme j’ai été très marquée par l’image de Mme Maya Jribi proposant sa candidature à la présidence de l’Assemblée Nationale Constituante face au candidat « unique » de la troïka, et malgré le peu de temps qui nous séparait du congrès, j’ai quand même décidé - quitte à perdre - de constituer une seconde liste par respect à nos congressistes en leur proposant une alternative et en offrant une occasion supplémentaire à un plus grand nombre de militants de présenter leur candidature.

La liste des congressistes n’ayant été divulguée que quatre jours avant le congrès, tel fut donc le court délai qui m’a été accordé pour trouver les 29 candidats et pour valider leurs candidatures dans le cadre d’un règlement électoral qui n’a prévu aucune alternative à une éventualité de défaillance ou de litige puisque personne n’avait sérieusement imaginé la possibilité d’une seconde liste et que le dernier délai de validation fut la veille du congrès à minuit.

Minuit moins dix minutes : trois candidats se désistent de la seconde liste qui se trouve ainsi invalidée.
Au-delà de la déception des candidats restants de cette liste, un très grand nombre de congressistes est sidéré de découvrir qu’un nouveau parti comme Afek Tounes ne leur propose qu’une seule et unique liste à valider. Toute la matinée est donc consacrée à un débat sur la question qui semble faire pencher la salle vers la validation de la seconde liste d’autant que plusieurs présents ont proposé leur candidature pour compléter le nombre manquant afin que les congressistes aient une vraie élection.

Les arguments pour, tout comme les arguments contre, étaient de haut niveau et le débat étaient très intéressant. On pourrait le résumer ainsi : fallait-t-il coûte que coûte respecter un règlement électoral qui avait valeur de loi et rester discipliné ou bien est-il préférable de donner la souveraineté au congrès qui déciderait de la validité de la seconde liste par voie de vote en faisant abstraction d’un règlement très médiocre et incomplet.

C’est à ce moment qu’un intervenant haut placé a fait une déclaration très marquante mais surtout très partiale en accusant les défenseurs de la seconde liste de personnes souhaitant détruire l’aura du congrès « ichalkou fil mootamar ». On ne peut dire qu’il soit innocent d’employer de tels termes qui ont un impact et une portée profonde sur les esprits. Je le tiens comme tout à fait responsable dans son intention de manipuler ses pairs afin d’empêcher qu’une procédure démocratique puisse avoir lieu.

La décision est toutefois prise de passer au vote. Il en résulte 81 voix pour que la seconde liste soit validée et qu’un procédé démocratique puisse avoir lieu, contre 5 abstentions et 125 voix pour que la liste soit invalidée selon le règlement aussi défaillant soit-il, mais surtout … surtout pour éviter «tachlik al mootamar ». Il semblerait donc que post 14 janvier, la tentative de pluralisme soit synonyme de « tachlik » pour ne pas dire de trahison des décisions déjà prises.

Mon intention et mon but n’ayant jamais été de diviser au sein du congrès mais plutôt d’exercer démocratiquement un droit et une liberté, je complimente et je remercie mon parti en acceptant de me plier gracieusement au résultat du vote.

Je profite donc de cet article pour lancer un vibrant hommage à tous ceux qui ont soutenu notre liste et surtout aux 26 candidats qui ont eu le courage de se présenter et de se maintenir sur la liste malgré toutes les pressions.
Les vieux réflexes ayant la peau dure, l’instauration de la démocratie étant à ses tous premiers pas, j’appelle à la vigilance lors du prochain congrès d’autant qu’aujourd’hui je suis une indépendante.

Exigeons des règles très claires, très précises, transparentes et démocratiques pour qu’aucun  résultat de vote ne puisse être contesté et que la confiance puisse être retrouvée. Soyons aussi plus responsables et cultivons l'esprit citoyen, car la dictature c’est aussi la résultante de citoyens passifs habitués à la facilité du suivisme et paralysés par la peur d'être ridicules en étant différent.

Je souhaite tout de même une très bonne route à tous ceux dont les choix ont été validés. Après tout ce sont bien des citoyens tunisiens qui l'ont bien voulu.

Neila Charchour Hachicha

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7 Commentaires
Les Commentaires
Kamel METAHNI - 20-03-2012 07:34

C'est avec grand interêt que j'ai lu votre article sur votre première expérience électorale . En tant que citoyen, j'ai suivi Afek depuis le début, car j'y ai trouvé de l'originalité, de l'engagement et surtout à priori l'absence de démagogie bien au contraire. Mais ce qui m'a empêché d'y adhérer, ce sont les limites évidentes de l'organisation interne du parti,et les limites des textes le régissant, qui allaient trés vite créer des problèmes et des dissentions en son sein . Et c'est ce qui est arrivé. Et je me rappelle qu'il y a quelques mois, j'en discutait avec vous, vous qui vouliez savoir pourquoi un citoyen intéressé par Afek , n'y adhérait pas . Je vous ai alors fait partde certaines réserves et quelques critiques . Vous m'aviez répondu :" Je n'ai pas de temps à perdre avec quelqu'un qui n'est pas convaincu ". En matière de militantisme, votre attitude cassante et rigide m'avait surprit. Je constate, qu'au jour d'aujourd'hui , vous venez de subir les conséquences des insuffisances dont je vous avais fais part il y a quelques mois concernant les structures et les textes régissant Afek, ce qui permet à ses dirigeants des options et des tactiques que vous avez vous même jugées anti démocratiques . Vous en faisiez partie vous aussi , des dirigeants non démocrates . Maintenant vous vous en plaigniez parceque vous en avez subi les conséquences . Votre attitude , au cours du congrés du 17/03 est certes courageuse , mais elle contrvenait aux textes que vous avez vous même participé à adopter . Mais il n'est jamais trop tard pour bien faire . Permettez moi de vous exprimer mon admiration pour votre courage au cours de ce congrés, et je suis sûr qu'à l'avenir vous saurez tirer bénéfice de cette expérience enrichissante , et je serais heureux de débattre avec vous un de ces jours du coté de sousse à l'occasion d'une de nos manifestations à l'association "Hiwar wa Horria ". Cordialement. Kamel METAHNI .

alia chamari - 20-03-2012 09:57

Tous mes respects à Neila Charchour pour tout ce qu'elle a pu faire de positif durant l' anté et bien sûr le post/révolutionnaire, afin de concrétiser sur le terrain , au moins un soupçon du rêve de tout tunisien imprégné par les valeurs nobles de liberté et de démocratie.....Néanmoins , en toute franchise ,vu la déception vécue par la majorité des démocrates tunisiens ,l'échec dans les élections ,le volte face des pseudo/démocrates CPR /takattol ,les nombreuses procédures et les manipulations successives qui se déroulent régulièrement dans la constituante ...Tout cela fait que ce qui s'est passé dans "Afek" ne sort pas du lot ...Rien que la démission de l'un des membres fondateurs valeureux "E.Mnif" en est une preuve flagrante des différentes démarches abusives que prônent certains dirigeants et membres de ce parti ...En fait ,Il faudrait le dire et à haute voix que ce n'est pas un esprit exclusif de ce parti ,la Tunisie est encore imprégnée par la mentalité autocrate et médiocre de ses anciens maîtres ,on n'est pas encore sorti de l'auberge ...les forces obscurantistes nous tirent encore vers le bas ..Il faudrait encore attendre longtemps pour nous aligner sur les démocraties....Il reste que les efforts de Neila Charchour même si elle n'est pas parvenue aujourd'hui à un résultat probant et que sa déception est grande ,il n'en est pas moins et c'est un atout majeur....elle a eu la chance de proposer une seconde liste d'imposer bon gré, malgré le jeu démocratique ...Ainsi elle a pu vivre des moments privilégiés , libre dans sa pensée autant que dans ses actes .....

Neila Charchour Hachicha - 21-03-2012 13:04

@ Mr Metahni : A partir du moment où j'étais membre co-fondatrice d'Afek et que j'étais en totale confiance quant à leur bonne intention de vouloir bien faire les choses, il était normal que je les défende d’autant que nous avons crée ensemble un parti dans un contexte révolutionnaire et dans l’urgence de participer aux élections. Le parti étant tout nouveau, l’intérêt de la nation qui nous unissait était placé nettement au dessus des problèmes de règlement interne et de formalités. Ce qui fut une erreur je vous l’accorde aujourd’hui. Toutefois, c’est vrai que je refusais à l’époque de perdre du temps avec des gens qui ne voyaient pas l’intérêt d’adhérer à un jeune parti, non seulement pour le renforcer, mais aussi pour le façonner puisque tout y était à faire, il suffisait de s’y mettre. Vous auriez pu vous occuper de ce volet qui s’est avéré fondamental. Aujourd’hui, un an plus tard tout est différent. Le camp démocrate a perdu les élections. La déception fut grande, et petit à petit, toutes les attitudes ont changé jusqu’à en arriver à concevoir un règlement électoral sur mesure pour s’assurer une continuité, elle aussi sur mesure, dans le nouveau grand parti avec une rage de vaincre à tout prix. A ce moment là je ne pouvais décemment cautionner une procédure aussi antidémocratique malgré le risque que je prenais de perdre, tout en donnant de la crédibilité et de la légitimité à leur démarche. Le vote en a voulu autrement puisque je n’ai même eu l’occasion de perdre par l’urne, c’est la liste qui a carrément été invalidée par ceux qui ont eu peur d’affronter une vraie élection. Je ne peux non plus taire un tel comportement de suivisme si inscrit dans les mentalités qu’il en devient un reflexe primitif difficile à déloger. Comme le décrit si bien Mme Chamari, nous constatons ce reflexe un peu partout et il est urgent de le combattre et de le dénoncer. Toutes nos structures doivent passer à la transparence et aux procédés démocratiques clairs et précis. Car toute autre stratégie construite autour de la peur ou du consensus, ne peut mener qu’à la pensée unique et un retour aux anciennes méthodes. Soyons tous très vigilants !!

Afif Hachicha - 21-03-2012 18:07

La Forte Personnalité de Neila Charchour Hachicha n'aurait pas été suffisante, à elle seule, de lui permettre de bénéficier de tout ce respect et de cet intérêt que lui attache une masse assez respectable de Citoyens. Effectivement, son Militantisme, son acharnement à sa Cause, son Courage, sa Clairvoyance et son Intégrité y sont pour quelque chose et ce sont ces mêmes qualités, qui régissent ses actes et décisions. La Tunisie a de quoi être fière!

Monia - 25-03-2012 18:15

Mme J'ai lu avec grd intérêt votre article vous avez raison mais nous devons nous unir même dans la différence et même si les actes ne sont pas trop démocrates. On vient de commencer ds la démocratie il ne faut pas êtres trop exigent. Maintenant vu ce qui ce passe en Tunisie, les mouvements qui tirent vers le wahabismes on n'a plus de temps pour discuter , nous devons nous unir, nous unir , nous unir dans un grand parti appelé comme vous voulez pourvu que nous aurons le maximum de sièges afin d'éviter les sièges perdus. Si on va rester pour discuter encore mesdames et messieurs nous avons face à nous des gents qui sont très bien organisés qui sont près à tous pour garder et améliorer leur score. Je dis bien nous devons nous unir, nous unir, nous unir et rien d'autres, sinon nous allons tous perdre et à jamais projection dans le passé dans les années 1500. Donc SVP, SVP, Je vous prie, Tous ensemble faisant un grand parti pour sauver notre Tunisie.

ABH - 28-03-2012 11:26

???????? ??????? ????? ????????? que ???????????? ???????? ????????????? ?????? le grand Duché de luxembourg est un petit Etat, et le Grang parti du centre est un miniscule parti

Abdelhamid JAZIRI - 01-04-2012 08:00

C'est un comportement de vrai militant démocrate. La majorité de nos partis politiques ne se réfèrent guère à leur base sauf pendant les élections! Ils prennent des décisions importantes et adhèrent à des fronts sans consulter leurs militants régionaux. Ils refusent de discuter leurs programmes comme s'il s'agit de textes sacrés! Ne lachez pas, nous sommes en train de construire notre démocratie, la vraie et non celle des démagogues!

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