Opinions - 19.08.2011

Culture numérique, le parent pauvre en Tunisie

Le 22-08-2010, au nom du site académique tunisien « Ibn khaldoun », j’ai publié un article sur les pages du site « leaders.com » sous le titre « Le septième centenaire de la naissance d’Ibn Khaldoun: Le premier du mois de ramadan 732 de l’hégire »(1), dont l’idée maitresse fut la suivante : le premier ramadan de l’année 2011 correspondra à la date anniversaire du septième centenaire (selon le calendrier hégirien) de la naissance d’Ibn khaldoun à Tunis le 1er ramadan 732 de l’hégire. De par notre argumentaire nous avons essayé de développer l’idée que la Tunisie, et à fortiori, la culture tunisienne, seraient grandement bénéficiaires si on étrenne les premiers ces festivités.  Deux raisons sont à retenir :
 
• Primo, donner l’occasion aux jeunes générations la possibilité d’être fières d’un ancien « compatriote », fils de la Tunisie, génie universellement reconnu. Les solennités bien choisies ne font qu’ancrer les solides balises sociétales participant à l’immunisation de la communauté contre les maux identitaires.

• Secundo, l’organisation de colloques internationaux traitant et de sa vie et de ses œuvres…, bien exploités  fonctionnellement via une relecture du socle historique tunisien ; tout cela ne peut que contribuer  à procurer à la société tunisienne une certaine densité morale, dans le sens de lui inculquer une forte personnalité collective, et de lui montrer, sans narcissisme ou chauvinisme, sa singularité dans son milieu géographique. La relecture en continu de la mémoire collective est à la fois une obligation et une responsabilité.

Croyant à la solidité de notre argumentation, nous avons osé espérer que le pouvoir en place allait réagir à notre requête. Que nenni, ni le ministère de la culture de Ben Ali, ni celui du gouvernement provisoire n’ont donné suite à nos suggestions. Le gouvernement de Ben Ali, ayant une peur bleue de toutes les voix indépendantes, et a fortiori, critiques à son égard, a tout fait  pour nous reléguer aux oubliettes. Notre site, indépendant, n’a jamais flirté avec le pouvoir depuis sa publication en 2006, de surcroit ayant obtenu, sans sa bénédiction le prix WSA pour la région arabe dans la catégorie e-Culture (édition 2009), il le ressentait  presque comme un crime de lèse-majesté, singulièrement que le jury international nous a gratifié de la sentence suivante : « The web site includes a unique collection of six centuries of social and scientific heritage related to Ibn Khaldoun, the illuminator. It was made and maintained by specialists to disseminate universal human values such us democracy and good governance. It is one of the rare web sites delivering high quality cultural and scientific contents in the Arabic language with good usage of ICT».  Tout cela nous rendait suspect aux yeux d’un gouvernement que régissait la maxime tristement célèbre : celui qui n’est pas avec moi est contre moi. Résultat, frappé par le sceau  de l’ostracisme : aucune subvention, bien que nous en ayons fait la demande, pas un mot d’encouragement ; d’ailleurs nous remercions les cieux pour que leur aveuglement nous a épargnés les mise en scènes de leurs réceptions mesquines, et les désagréments des photos-souvenirs étriquées.

Sur ces entrefaites, intervient la révolution du 14 janvier, dont  nous avions tant attendu l’avènement, compte tenu de la sclérose qui a longtemps gangrené le pays . Nous avons adressé au Gouvernement provisoire, issu de la Révolution, via le ministère de la culture, un dossier de subvention, et une demande  de célébration conjointe du septième centenaire de la naissance d’Ibn khaldoun selon le calendrier hégirien (Il  est né à Tunis le premier ramadan de l’an 732). Que nenni ! Nous avons rencontré monsieur le ministre de la culture Ezzeddine Bach Chaouch à l’occasion d’un séminaire qui s’est tenu à Beit el Hikma à Carthage le Vendredi 29 avril 2011 et lui avions décrit notre calvaire avec le ministre précédent tout en lui affirmant notre désir de nouer un partenariat avec le ministère  qui serait bénéfique aux deux parties. Il a été affable, plein de bonnes intentions, attentif à l’idée de la célébration du septième centenaire de la naissance d’Ibn khaldoun. Cependant, essayant de prendre rendez-vous avec lui  au moins au moins à cinq reprises, nous  y avions échoué car c'était toujours, la même ritournelle: ne vous inquiétez pas, on va vous contacter.  Le premier aout 2011 (1°ramadan 1432) coïncidant avec la date exacte du début de septième centenaire est révolu, rien ne s’était fait ; une belle opportunité de plus pour  rehausser le capital symbolique du nom Tunisie s’est évanouie.

Le site Ibn khaldoun, n’ayant aucun revenu, ne peut pas se substituer au rôle de l’Etat dans ce genre de festivités. L’Etat, via le ministère de la culture, qui se prélassant dans une léthargie incompréhensible, a laissé passer une occasion en or pour donner le tempo concernant les orientations culturelles de la Tunisie post révolutionnaire. Faut- il dire que le ministère de la culture a déçu plus d’un. En effet, se contentant de la mission, parfois périlleuse, de la gestion du quotidien, le Ministre n’a fait réellement que s’intéresser aux questions sociales au sein du ministère. Les projets culturels grands ou petits ont été relégués aux calendes grecques ; sans gouvernail, la culture divague en Tunisie. Alors, parler de culture numérique, cela devient du charabia dans les oreilles des responsables de la culture en Tunisie : ministre, cabinet du ministre et directeurs centraux. Pour preuve le site du ministère, normalement vitrine du pays est, sempiternellement,  en construction depuis presque une année.

Actuellement, nous sommes passés d’un préjugé très favorable envers  le Ministre de la culture, M. Ezeddine Bachchaouch à  un constat très défavorable. Le Ministère de la culture devrait  faire l’objet d’un audit sur les modes opératoires concernant les modalités de financements et de subventions des actions culturelles, et sur les modes de décisions en son sein. Un ministère sans cabinet maitrisant à fond les dossiers urgents, inapte à hiérarchiser les occurrences, incapable de concevoir des projets d’avenir, à saisir les belles opportunités pour le bien du pays, est une coquille vide.

  Le site Ibn Khaldoun avait comblé un grand vide sur le Net concernant notre Illustre savant qui est l’un des rares personnages arabo-musulmans à jouir d’un consensus international autour de son génie alors, ce  que le ministère de la culture n’a pas réussi faire sous son initiative ou par ses propres moyens. Nous avons pu rassembler sur un même site les matériaux scientifiques dont les chercheurs internationaux auront besoin pour étudier l’œuvre khaldounienne ; dans un laps de temps record, depuis 2007, il est devenu la référence internationale en la matière : son comité éditorial plurinational qui compte en son sein, Yves Lacoste ainsi que le nombre impressionnant de ses visiteurs des quatre coins du monde en sont l'illustration…

Ibn Khaldoun, fils prodige de la Tunisie, dont la statue trônant majestueusement à l’entrée de la l’Avenue Habib Bourguiba  de Tunis est devenue un des labels épithètes de la capitale ; nous, via notre site, lui avons érigé une statue virtuelle sur le Net. Aucune récompense à notre effort. Nous sommes fatigués de quémander des subventions que nous croyons légitimes à notre égard. Nous avons essuyé une perte sèche de près de  20 000 dinars, sans compter les 5000 heures de travail, et  le sentiment  de l’ingratitude dont nous en souffrons.

Le 27 mai 2011 le moteur de recherche Google a agrémenté  sa page de recherche par un dessein représentant Ibn Khaldoun à l’occasion de la date anniversaire de sa naissance selon le calendrier grégorien. Ce jour là, le trafic international vers notre site s’est multiplié par 50 par rapport au trafic habituel, c’était vraiment un fait exceptionnel.  Paradoxalement, cet heureux happening  initié par Google nous attriste : les occidentaux savent rendre hommage à notre célébrissime Ibn Khaldoun alors qu' en Tunisie, nous continuons à l’ignorer ostensiblement, et à mésestimer ceux des  tunisiens, qui veulent lui rendre hommage. 

Du Ministre de la culture actuel, nous n’attendons pas monts et merveilles. Naïvement, nous osons espérer, seulement, qu’il devienne plus réactif, qu’il ait une esquisse de projet culturel se prévalant des idéaux de la Révolution de la Liberté et de la Dignité du 14 janvier, qu’il essaie, seulement de laisser une trace. Dans cette même veine, nous lui proposons de parrainer  notre site ou de le prendre entièrement en charge.

 (1)  http://www.leaders.com.tn/article/le-septieme-centenaire-de-la-naissance-d-ibn-khaldoun-le-premier-du-mois-de-ramadan-732-de-l-hegire?id=2865

Ali Bouaziz
Directeur du site Ibn Khaldoun- site des études khaldouniennes
www.exhauss-ibnkhaldoun.com.tn

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4 Commentaires
Les Commentaires
ecolo - 19-08-2011 17:55

On a célébré en grande pompe d'année Ibn Khaldoun : calendrier grégorien : 500 ans pour sa naissance. Vous dîtes que vous des encouragements du gouvernement BEN ALI ? les artistes et les gens de l'art se débrouillent avec ce qu'ils ont depuis belle lurette et préfèrent le faire plutôt que de côtoyer Ben Ali et son gouvernement. De grâce, cessez de vous plaindre : il y a vraiment pire que vous ! Des gens spoliés et mêmes des tués !

noureddine - 23-08-2011 09:32

Bravo si Ali pour cet article et je suis d'accord avec vous en ce qui concerne la déception de la société du savoir et de la culture par rapport à la gestion du Ministère de la culture

Houria - 23-08-2011 17:42

J’adhère totalement à votre analyse. Le ministère de la culture sans gouvernail divague. En effet, obnubilé par les questions sociales, le ministre n’a presque rien fait pour la culture savante, bien que lui-même savant de son état, bizarre, non ! Un « grenelle » de la culture en Tunisie est une urgence.

Ammou - 23-08-2011 23:37

Il est temps pour que la Tunisie valorise ses enfants de toute époque et c'est de cette façon que l'image de notre pays soit meilleure et offre l'occasion de créer de véritables traditions dans le pays de la Révolution de janvier 2011 !

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