Opinions - 02.06.2025

Abdellaziz Ben-Jebria: Comment célébrer les trois-quarts de siècle en souffrant ?

Abdellaziz Ben-Jebria: Comment célébrer les trois-quarts de siècle en souffrant ?

Disons tout de suite, simplement, mais laborieusement, en participant à la course de mon dernier semi-marathon (21,1 Km) ; je dis ʺdernierʺ ? Peut-être bien que oui, peut-être bien que non, pour ne pas faillir encore, comme précédemment, à des promesses non tenues. 

Mais d’abord, pourquoi courir pour souffrir ? Est-ce pour rattraper le temps ? On peut sprinter contre la montre pendant un certain laps de temps, mais impossible de courir contre ce temps qui file rapidement, et surtout hâtivement pour l’humain vieillissant. C’est bien lui qui nous fait vieillir à sa façon et nous affecte à sa guise pour de bon. Cependant, tout le monde est emporté par le temps, en passant : les espèces vivantes aussi bien humaines, animales que végétales, mais aussi les matières inertes, comme les belles bâtisses patrimoniales, si on ne les entretient pas avec le temps qui coulent pour de vrai, et qui ne s’arrêtera peut-être jamais. 

Mais courir longuement est à la portée de presque tout le monde et tous les âges, comme les coureurs d’endurance qui sont peut-être un peu maso sur les bords, puisqu’ils aiment souffrir pour le plaisir de concourir, mais aussi pour entretenir le corps vieillissant, avant de partir languissant. Je suis de ceux-là, qui aime plutôt courir en souffrant, pour aérer l’esprit à force de subir les news selon les dires qui me font rougir, frémir, et bruire les oreillons, quotidiennement.Je m’étais donc inscrit pour courir le Semi-Marathon de la Maisonnette (Maison Alfort, une proche banlieue parisienne), un objectif pour me motiver à m’entrainer un peu plus sérieusement à une plus longue et plus rapide endurance que celles de mon habituel jogging quotidien, que j’alternais hebdomadairement par quelques exercices musculaires dans ma salle de gymnastique. À ce propos, on perd avec l’âge de la performance cardiovasculaire beaucoup plus rapidement que celle de la musculation. D’ailleurs, c’est une bonne nouvelle pour le corps vieillissant, car la performance musculaire ralentit beaucoup plus lentement et plus longuement la perte de la masse musculaire ; ce qui est un bon exercice contre l’hypotrophie du volume tissulaire et un bon camouflage des rides.

Alors, après avoir couru dans le temps (1993-2000) cinq marathons complets, en commençant par celui de Washington D.C. (3h37min), en passant par celui de Chicago, mon meilleur (3h25min), celui de New York City, pas bon (3h46min), et de Paris, mon plus mauvais (3h54min), et en finissant par celui d’Atlantic City, pas mieux (3h52min), en compagnie d’un de mes deux fistons, qui a fini une heure après moi, j’avais arrêté ces pénibles et longues aventures, car notre principal ennemi, en vieillissant, n’est ni le cœur, ni les poumons, moins les muscles, et encore moins l’énergie (le carburant) qu’on arrive à faire avec (we can deal with) ; mais ce sont plutôt les articulations qu’on ne peut malheureusement pas lubrifier ni naturellement ni artificiellement.

Cependant, depuis quelques années, j’avais repris modérément mon addiction à la course d’endurance en expérimentant quelques semi-marathons (21,0975 km) qui m’ont paru moins douloureux et plus ménageables que les marathons complets (42,195 km). Alors, me voilà en face du 5ème, après deux parcours à Huntington-Beach en Californie (2018 et 2020), celui de Bâle en suisse (2022), et le semi-marathon de Paris (2023) qui est le plus grand en participation, mais aussi le plus compétitif en attirance des leaders, où la grande majorité des participants sont des bons coureurs très concurrentiels, comprenant de nombreux professionnels.

Donc, après trois mois d’entrainement, le jour J est arrivé, le dimanche 25 Mai de cette année 2025 ; et me voilà enfin en plein centre de Maisons-Alfort, parmi les quelques 3000 participants, prêts à nous lancer dans l’aventure qui nous mènera vers les petites mais longues ruelles serpentées, en traversant d’abord la grande avenue de la ville, et en longeant par la suite la Marne ; un parcours d’une double boucle, avant la ligne d’arrivée ; bref le plaisir de saluer les nombreux spectateurs dans la souffrance, dans la douleur, mais aussi dans le bruissement d’une ambiance animée par des déguisements multicolores, des brouhahas assourdissants pour l’encouragement, et des musiques cadencées et multi-rythmées pour oublier les plaintes des jambes fatiguées.Pendant que je courais, je me demandais encore, au fond de moi-même, pour oublier la fatigue et le temps, qu’est-ce qui motive ces gens à courir des longues distances en endurant leurs souffrances et en surmontant leurs douleurs ? Je supposais que certains courent, en groupe, pour le plaisir social, avec des amis de même vocation culturelle ; des amateurs réguliers de la course à pied ; d’autres, gratifiés d’une dotation naturelle, expriment leurs talons pour glorifier une performance individuelle et honorer une compétition rémunératrice ; des professionnels acharnés de la course à pied. Et quelques-uns, plus ou moins nombreux, courent, comme moi, pour maintenir raisonnablement leurs conditions physiques au bénéfice de leurs santés, et pour essayer d’assouvir intellectuellement le climat déprimant des politiques du moment ; une cure d’oxygénation de l’esprit préoccupant, un remède détersif efficacement cicatrisant, et un anticorps immunitaire qui s’avère probant.

En ce dimanche du 25 Mai 2025, malgré un temps brumeux et un passage intermittent de quelques gouttes de pluie, chemin courant dans cette ambiance bon enfant de la Maisonnaise (Maisons-Alfort) qui est grandement appréciée par son organisation, on observe plusieurs scènes de théâtres variants : y en a ceux qui s’entre-courage en haletant ; ceux qui s’enlacent en arrivant ; ceux qui se précipitent en dépassant des pauvres pantelants ; ceux qui pleurent en abandonnant, le cœur palpitant ; ceux qui encouragent en hurlant ; ceux qui attendent les arrivées de leurs proches, en délectant un petit déjeuner tranquillement, comme mon fiston ; et y en a aussi ceux qui, comme moi, se régalent péniblement, en admirant, malgré la souffrance, les belles jambes féminines variées et ethniquement colorées. Mais, à chaque dépassement, j’avais envie de dire "Ta des belles jambes, tu sais !", elles sont tellement rapides qu’elles ne m’écoutent nullement, sans me laisser les contempler un petit moment, avant de me dépasser en filant lointainement, avec précipitation pour atteindre leurs objectifs bien déterminants.Et bien évidemment, il y a les leaders du spectacle, les élites de la course qui n’ont pas le temps de s’attarder sur les détails, mais qui foncent, dès le signal du départ, à parcourir les 21,097 km en moins de 68 min (1h07min55sec), avec une allure impressionnante qui dépasse l’imaginaire (presque 19 Km/h). Alors que moi, je me contente humblement, pour clôturer mes ¾ de siècle (75 ans), de mes 2h25min pour atteindre péniblement cette maudite arrivée. Mais, c’est étonnement un temps très proche de mes deux antécédents semi-marathons (2h21min), celui de Paris, en 2023, et de Bâle, en 2022 !

Enfin, quoi de mieux que de conclure cette narration haletante et fatigante par un extrait d’un sketch d’humour de l’irremplaçable, l’inoubliable, et le plus inventif Raymond Devos :  

"Excusez-moi, je suis un peu essoufflé ! Je viens de traverser une ville où tout le monde courait...
Je ne peux pas vous dire laquelle... Je l'ai traversée en courant.
Lorsque j'y suis entré, je marchais normalement.  Mais quand j'ai vu que tout le monde courait...
je me suis mis à courir comme tout le monde, sans raison !
Je lui dis: -Dites-moi... pourquoi tous ces gens-là courent-ils tous comme des fous ?
Il me dit: -Parce qu'ils le sont ! -Vous êtes dans une ville de fous ici...vous n'êtes pas au courant ?
Je lui dis: -Si, des bruits ont couru !
Je lui dis: -Qu'est-ce qui fait courir tous ces fous?
Il me dit: -Il y en a qui courent au plus pressé. Celui-ci court pour la gloire. Celui-là court à sa perte !
Je lui dis: -Mais pourquoi courent-ils si vite ?
Il me dit: -Pour gagner du temps ! Comme le temps, c'est de l'argent…plus ils courent vite, plus ils en gagnent !
Je lui dis: -Mais où courent-ils?
Il me dit: -À la banque. Le temps de déposer l'argent qu'ils ont gagné sur un compte courant...
Et ils repartent toujours en courant, en gagner d'autre !
Je lui dis: -Et le reste du temps?
Il me dit: -Ils courent faire leurs courses...
Je lui dis: -Pourquoi font-ils leurs courses en courant ?
Il me dit: -Je vous l'ai dit... parce qu'ils sont fous !
Je lui dis: -Ils pourraient aussi bien faire leur marché en marchant...tout en restant fous !
Il me dit: -On voit bien que vous ne les connaissez pas ! D'abord, le fou n'aime pas la marche...
Je lui dis: -Pourquoi?

Il me dit:

-Parce qu'il la rate !
Je lui dis: -Pourtant, j'en vois un qui marche !?
Il me dit: -Oui, c'est un contestataire ! Il en avait assez de toujours courir comme un fou.
Alors, il a organisé une marche de protestation!
Je lui dis: -Et vous, peut-on savoir ce que vous faites dans cette ville ?
Il me dit: -Oui! Moi, j'expédie les affaires courantes.  Parce que même ici, les affaires ne marchent pas !
Je lui dis: -Et où courez-vous là ?
Il me dit: -Je cours à la banque !
Je lui dis: -Ah !... Pour y déposer votre argent ?
Il me dit: -Non ! Pour le retirer ! Moi, je ne suis pas fou !
Je lui dis: - Si vous n'êtes pas fous, pourquoi restez-vous dans une ville où tout le monde l'est ?
Il me dit: -Parce que j'y gagne un argent fou!
C'est moi le banquier!



 

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