News - 12.06.2016

Les Tunisiens et leur démocratie

 Les Tunisiens et leur démocratie
Il y a comme une incompatibilité d’humeur qui va crescendo entre les Tunisiens dans leur majorité et le régime politique sous lequel ils vivent. Cette incompatibilité tient pour une part à la carence du pouvoir et à l’apparition de graves dissensions entre exécutif et législatif, d’une part, entre les deux pendants de l’exécutif, d’autre part. Mais elle tient davantage encore au fait que bien que nous soyons dans une démocratie représentative et indirecte, nous persistons à réagir comme si nous étions dans une démocratie directe ou, mieux, dans une démocratie délibérative.
Le régime politique que la nouvelle Constitution tunisienne a mis en place est une démocratie indirecte et représentative, c’est-à-dire un régime politique dans lequel les citoyens expriment leur volonté par l’intermédiaire de députés mandatés pour voter les lois et pour contrôler le gouvernement. Le président de la République, élu au suffrage universel direct, peut se prévaloir d’une part de légitimité face à un gouvernement qui ne dispose que d’une légitimité «déléguée», mais cette construction constitutionnelle ajoute plus de confusion qu’elle n’établit de règle claire. En cause, un régime politique qui s’avère être, à l’usage, ni un régime parlementaire, ni un régime présidentiel aménagé, ni même un régime d’assemblée, mais bien un régime des partis.
 
Par la grâce du mode de scrutin, les électeurs ont pris conscience qu’ils n’ont aucune prise réelle sur des députés qui doivent tout aux états-majors des partis politiques puisque le rang que ces partis attribuent sur les listes compte pour les candidats à la députation plus que tout autre élément. Par la grâce du même mode, les électeurs ont pris conscience que le gouvernement est plus soumis au diktat des états-majors des partis politiques coalisés qu’au contrôle de l’ARP. C’est si vrai que lors de son intronisation, le chef du gouvernement s’est retrouvé sans un programme qui lui est propre, un comble et un cas unique dans les annales des démocraties similaires. Que cela constitue de sa part une manœuvre de survivance ou un aveu d’inconsistance, peu importe. Ces dépendances continuent néanmoins à  échapper à la sagacité des Tunisiens qui se convainquent volontiers de la nécessité d’aménager la Constitution alors qu’il faut aménager en priorité le mode de scrutin aux législatives.
 
La démocratie tunisienne n’a en tout cas rien à voir avec une démocratie directe dans laquelle le peuple exerce directement le pouvoir politique. Elle n’a rien à voir non plus avec une démocratie délibérative dans laquelle les décisions politiques ne sont légitimes que lorsqu’elles procèdent de la délibération publique de citoyens égaux. Pour ce faire, il fallait remplir deux conditions: que la Constitution laisse une place plus grande au référendum populaire, que de solides structures sociétales émergent pour être capables, le moment venu, d’organiser des débats constructifs sur certaines questions essentielles, sans empiéter sur les prérogatives de la représentation nationale et sans entraver sournoisement la marche de l’exécutif. 
 
La politique est devenue après le 14 janvier 2011 la préoccupation principale des Tunisiens au point que tout un chacun délaisse son activité professionnelle et ses devoirs de citoyen pour se croire en droit ou obligé d’avoir une opinion sur tout et pour penser qu’il peut peser à lui seul sur le destin du pays. Cela va de la stratégie à suivre pour cerner les terroristes au djebel Châambi à la manière d’utiliser les drones et les hélicoptères de combat dans les confins du Sud ou bien encore à la politique de développement à suivre pour éradiquer la pauvreté et le chômage, etc. C’est dans ce contexte que la phrase prononcée par Hichem Djaït prend tout son sens : «Le grand drame, aujourd’hui, c’est que n’importe qui fait de la politique. Il n’y a pas des intelligences supérieures qui prennent du recul et réfléchissent. Englués dans le quotidien, les intellectuels ont besoin de recul et je dirais même d’être un peu persécutés». Bien que sa critique vise d’abord les intellectuels tunisiens (et arabes), on peut penser qu’elle peut s’adresser tout aussi bien au plus grand nombre.
Habib Touhami
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