Opinions - 26.10.2012

Faire de la Tunisie une référence dans la prise en charge

Pourquoi n’évoquer la question de la toxicomanie qu’aujourd’hui ? Parce que la question est toujours restée taboue à la fois dans le grand public mais aussi chez les professionnels de la santé. Nous, médecins tunisiens connaissons ce phénomène depuis de très nombreuses années, mais n’avions ni moyens ni structures pour les prises en charge. Il s’agissait à l’époque le plus souvent d’addiction aux psychotropes  et au cannabis, puis sont arrivés d’autres produits toxiques, comme la colle, les solvants et certains mélanges neurotoxiques. Et maintenant, les consommateurs tunisiens s’alignent sur le reste du monde.

Les produits concernés, outre ceux cités précédemment, sont les opiacés sous différentes formes, l’ecstasy,  la cocaïne, etc.

Si j’en crois les déclarations officielles et si j’entends les préoccupations de mes confrères, aujourd’hui, les addictions relèvent désormais, hélas, d’une priorité de santé publique en Tunisie.

D’autres parleront mieux que moi des causes. Pour ma part, je souhaite évoquer les solutions, car elles existent.

Rappelons-nous l’historique de cette question en Europe et plus particulièrement en France. Il y a maintenant plus de trente ans, comme en Tunisie aujourd’hui, différents acteurs se sont livrés à une remise en question autour de cette pathologie lourde de conséquences économiques mais surtout humaines. On ne savait que faire des « tox». Les médecins évitaient de les prendre en charge : pathologie pas assez gratifiante en termes d’amélioration, patients dépendants ( par définition !), réputés dangereux, etc.  Mais petit à petit et grâce à l’audace de certains spécialistes, d’associations, de parents, et de responsables politiques, la question s’est imposée d’elle-même dans le débat public. La France dispose désormais de plus de structures de soins, d’un organisme interministériel (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les toxicomanies), d’associations et  de spécialistes en addictologie. Il n’en demeure pas moins que ce problème n’est pas encore suffisamment pris au sérieux, sa prévention laisse à désirer et les addictions restent encore reléguées au registre de la morale En témoignent d’ailleurs les sarcasmes avec lesquels a été traitée la fin tragique de l’animateur français Jean-Luc Delarue, connu pour sa maladie addictive.

Quelles méthodes ? Commencer par parler des toxicomanies comme d’une maladie. Cela soulage les patients et rend plus légitime le discours qui en découlera. Cette pédagogie doit s’adresser tant au grand public qu’aux professionnels de la santé qui connaissent encore peu le sujet.  De parole de patient : savoir que l’on souffre d’une maladie et non d’un vice diminue considérablement la culpabilité et le pousse vers une demande de soins. N’est-ce pas là notre objectif : soigner ? Même si nous ne connaissons pas précisément la cause de cette maladie qui, avec la dépression,  est une des principales maladies psychiques du 21e siècle, l’explication la mieux comprise par les malades est qu’elle résulte de  la rencontre d’un individu, d’un produit et d’un environnement particuliers. Et il y a maladie lorsque la consommation impacte leur vie psychique, physique et sociale.
Il s’agit donc là d’un trouble multifactoriel qui mérite l’attention de nombreuses disciplines pour mieux l’étudier et la prévenir : c’est ce qui fait l’intérêt de sa prise en charge.

Quelles solutions pour la Tunisie ? Elles sont rapidement accessibles puisque les fondamentaux existent : des médecins parmi les plus reconnus dans la région,  intéressés par les addictions et qui doivent avoir accès à une formation spécifique, des structures hospitalières adaptables, une volonté des responsables de prendre le problème à bras-le-corps, et une présence associative émergente extrêmement impliquées auprès des demandeurs, sans oublier les associations internationales comme les Alcooliques Anonymes (AA) ou Narcotiques Anonymes (NA) disposées à nous venir en aide. Je cite ici volontairement le sujet de la maladie alcoolique, pourtant pandémique, et trop négligé dans notre pays pour signifier qu’elle fait également partie des maladies addictives auxquelles il va falloir s’intéresser très rapidement.

Quelles conditions pour réussir? Pour ne pas perdre de temps comme l’Europe, où l’on a tergiversé des années durant, laissant trop de patients en souffrance, je suggère qu’il n’y ait aucun tabou sur les moyens thérapeutiques à mettre en œuvre.  Je veux parler ici  en particulier des traitements de substitution comme la méthadone, qui, je le rappelle, est déjà prescrite au Maroc selon un cadre bien précis et qui est appliqué dans le reste du monde.  Je pense que compte tenu de la vitesse à laquelle les choses évoluent dans notre pays, nous ne pouvons faire l’économie d’une accélération en cette matière. Il faut donner espoir à ces malades qui ont besoin de nous pour reconstruire une nouvelle vie, et travailler à ce que d’autres ne soient jamais victimes de toxicomanies. Pour cela, inspirons-nous d’expériences réussies, utilisons les compétences et la motivation disponibles en Tunisie, et ne  doutons pas de l’intelligence des différents intervenants.

F.D.B.M.
(*)Psychiatre, addictologue,
Hôpital Sainte-Anne, Paris

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2 Commentaires
Les Commentaires
F.olivet - 09-11-2012 17:11

chère Madame, la prise de conscience de l'importance d'une changement de cap en France concernant la prise en charge des toxicomanes n'est venue ni "des spécialistes" qui étaient contre la méthadone, ni des "parents" qui étaient globalement-comme aujourd'hui"- majoritairement pour un accroissement de la répression, un peu des pouvoir publics et très trés tardivement, mais surtout de l'épidémie de sida, qui a traumatisé la société française dans les année 90. Les acteurs de la mise en place des politiques de réduction des risques furent avant tout des association comme Aides ou Médecins du Monde, mais surtout les usagers eux-mêmes organisés ou pas en groupes d'autosupport qui ont massivement plébiscité cette politique, non comme "malades" , mais comme citoyens. "alcooliques anonymes" et "narcotiques anonymes" étaient alors plutôt du côté des champion de 'labstinence qui se sont opposés très longtemps à toute évolution réglementaire en matière de politiques ds drogues bien cordialement Fabrice Olivet

Oun - 30-11-2017 15:38

Bjr.jspr que la Tunisie prend la gravité de ce problème et réagissent de résoudre ce problème de méthadone le plus vite possible car y'a bcp des toxicomanes en Europe il veulent pas aller voir leur famille a cause de ce problème. Svp faite quelque chose car c très important. Cordialement

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