News - 08.10.2012

Abou El Kacem eChebbi: Le prophète ignoré

C’était il y a exactement 78 ans. Il s’était éteint à l’âge ou l’on débute sa vie. Mais pour Abou El Kacem eChebbi c’était suffisant pour marquer l’éternité. Ne dit-on pas que s’il avait vécu plus longtemps, le monde aurait débordé de poésie ?

Belgacem est un enfant du Djérid, une terre de bonneté où les joutes sont verbales et les fous du village métromanes. Sans doute le meilleur berceau pour donner un poète. Son père, honorable juge, le pousse à fréquenter les meilleurs établissements du pays. Et à onze ans, il usait précocement les nattes de la prestigieuse université de la grande mosquée ez-Zaytûna.

Tout est allé vite ensuite. Nourri aux seins des muses et vite grandi par la misère de sa nation, il composait à quatorze ans ses premiers vers comme s'il savait que sa vie sera courte.

Doté d’une sensibilité extraordinaire, il était telle une éponge s’imprégnant de toute l’affliction qui l’entourait. Il portait le fardeau de son peuple. Un peuple qui, lui, n’était pas conscient de sa situation et semblait aux yeux de notre poète se laisser faire nonchalamment. Cela le révoltait. Il pestait contre ces masses qu’il affectionnait mais qui l’affligeaient. Tantôt il les poussait à se relever, tantôt il se sentait impuissant et voulait se retirer. Mais si son corps était frêle, son esprit était suffisamment fort pour s’attaquer aux montages d’injustice… plutôt que de vivre terré. Et contrairement à ce que l’on pouvait s’attendre, il ne mit pas en cause l’opprimant mais l’immobilisme de l’opprimé. Nul n’est tenu d’accepter aussi longtemps la méprise, et il n’appartient qu’à chacun de changer sa réalité.

Son peuple en avait-il assez de s’entendre bousculé par ce jeune homme? Etait-il loin de la maturité que lui désirait le poète ? Toujours est-il qu’on l’accusa d’apostat car il eût voulu que la volonté du peuple prime sur la providence, prit pour un fou quand il lorgna la forêt pour s’isoler des mesquineries, taxa de simplet car il eût voulu devenir bûcheron tranchant de sa hache les racines du mal.

Nul n’est prophète dans son pays dit-on, eChebbi l’était. Mais un prophète ignoré. Et si aujourd’hui il est largement reconnu, il n’en demeure pas moins méconnu. On reconnaît ses poèmes sans les connaître et on connaît le personnage sans reconnaître le prophète. Son message est plus que jamais d’actualité et universel. Lui qui n’a jamais quitté la terre natale, s’adressait déjà aux tyrans du monde. Avertisseur, portant la prophétie d’une revanche proche.

Et s’il donnait souvent libre court à son âme révoltée, il appela à l’amour, à la vie, aux vertus de l’ambition saine et à l’élévation de soi et des siens. Il sut chanter l’enfance, le coeur maternel, la liberté et la mélancolie. Son apparence de chagriné voilait à peine son estime de l’existence. Mourrant il chantait la vie et la volonté de la vivre. Il adorait la Nature, l’invoquer comme allier et l’appeler à son aide. Il chérissait l’univers et évoquait sa flamme qui l’habite. Cependant les bassesses des hommes le peinaient et donnaient peut être à son âme une raison de quitter ce bas monde pour se reposer au milieu des anges et retrouver le paradis promis par les dieux. Des dieux qu’il sollicita souvent, dans sa prière dans le temple de l’amour ou dans son poème adressé à Dieu. Fils d’Apollon il se voulut Prométhée, vivant digne, mort en léguant son inestimable feu à sa nation.

Ce 9 octobre, beaucoup rendront sûrement un vibrant hommage au poète et à son œuvre. Mais la meilleure manière de l’honorer ne serait pas de les comprendre ? Rien ne sert d’évoquer cet héritage précieux si on ne l’utilise pas pour notre future. "Nous aspirons à une vie meilleure, forte, pleine de vigueur et de jouvence. Celui qui ambitionne la vie doit honorer son lendemain et être au cœur de l’existence. Mais celui qui vénère son passé et oublie l’avenir est un homme sans vie, un squelette qui hante les tombeaux".*

Mourad Daoud

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Je suis une flûte dont les sons jamais ne cesseront.
A ma mort, elle se taira.
Je suis l’océan immense : les tempêtes
Fougueuses ne lui donne que plus de vie.
Mais lorsque je mourrai,
Que mon existence se terminera,
Que la mort aura fait taire ma flûte,
Que la flamme de l’univers se retirera de mon cœur,
Ce cœur qui avait vécu pareil à un flambeau étincelant,
Je serai heureux de quitter cet univers du péché et
de la haine,
Pour me fondre dans l’aurore de l’éternelle beauté,
Pour me désaltérer à la source de la lumière.
Je dirai à la foule qui a osé me détruire,
Qui a souhaité ma chute,
Qui, ayant aperçu sur les ronces, mon ombre immobile
S’est imaginé que j’étais mort :
Les pioches n’abattront pas mes épaules !
Le feu ne détruira pas mes membres !*  

*Extrait du livre « Abou el Kacem Chebbi»  d’Abderrazak Cherait

 

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