Notes & Docs - 19.09.2011

Commentaires sur l'avant-projet de Constitution proposé par le Doyen Sadok Belaïd

Avant de  formuler mes observations sur le système politique  proposé par le doyen Belaïd (II) et de lui soumettre mes remarques à propos de quelques articles dudit avant-projet (III), je voudrais présenter certaines idées qui étaient à la base de ce papier et qui résument ma conception du Droit et de la Constitution (I).

I - Idées générales

A mon avis, deux soucis doivent présider à la rédaction d’une « bonne » Constitution : longévité du texte et efficacité politique.

1 - La longévité de la Constitution, gage de stabilité et de continuité de l’Etat, exige qu’elle ne soit ni de gauche de ni droite, ni même du centre. Elle doit être neutre.
En outre, et si l’on veut prolonger l’espérance de vie d’une Constitution, il faut qu’elle se limite, du moins dans sa partie relative à l’organisation des pouvoirs dans l’Etat, à poser des techniques simples et par conséquent claires. C’est pourquoi, je crois que nous avons besoin d’une Constitution aussi ramassée que possible.   

2 - La Constitution doit favoriser l’efficacité de l’action du gouvernement. Car l’élaboration d’une bonne Constitution n’est pas une finalité en soi. C’est un moyen parmi d’autres pour réaliser l’Intérêt du pays, lequel intérêt suppose un gouvernement fort et stable.

II - Observations sur le système politique proposé
 
Il appert de la lecture de votre avant-projet de constitution que vous proposez un modèle original basé sur une combinaison entre les systèmes présidentiel et parlementaire.

1 - Concernant le pouvoir exécutif :

Le pouvoir exécutif est composé d’un président et vice-président, d’une part, et d’un premier ministre, d’autre part.

Le modèle proposé rappelle, dans son volet présidentiel, celui des Etats-Unis d’Amériques dit le « ticket », composé d’un président et d’un vice-président.

A la lecture des articles relatifs aux pouvoirs du Président et de son « Vice », il y a lieu de remarquer que :

1) Le Président dans le projet proposé est astreint à des fonctions plus honorifiques qu’exécutifs. Cela rappelle donc les régimes parlementaires. Or dans ces régimes, tels ceux de l’Allemagne et l’Italie, le Président est élu non pas au suffrage universel mais par les représentants du peuple. En somme, les candidats à la présidence se présentent et les  citoyens choisiront le meilleur d’entre eux pour exercer un simulacre de pouvoir !

2) Le vice-président fera certainement son apparition au moment des élections et de la prestation de serment. Depuis ce moment, et comme il semble qu’il n’aura même pas le droit d’assister au Conseil des ministres (et d’ailleurs même s’il assiste, il n’aura aucun rôle), il tombera dans les oubliettes. Son bonheur sera fait des éventuels malheurs (politique ou de santé) du Président. Ainsi, le rôle du vice-président se limitera à combler les vacances au sommet de l’Etat, une hypothèse envisageable une fois sur vingt-cinq ans, à croire notre courte histoire républicaine.
Si donc, le but de l’instauration de cette nouvelle fonction est de trouver un remplaçant à un Président impotent, celui-ci peut être remplacé provisoirement par le Président de l’Assemblée nationale, le ministre de la justice ou le Président de la Cour constitutionnelle.
On ne peut même pas dire que cette fonction de vice-président soit une préparation à la magistrature suprême dès lors que les fonctions réduites du Président ne motiveraient probablement pas les candidats.

3) Le nouvel homme fort du système est probablement le premier ministre. Présidant un gouvernement formé principalement sinon exclusivement du mouvement politique vainqueur des élections législatives, le premier ministre est la pièce maîtresse du nouveau système politique fortement inspiré du système parlementaire.

Notre conjoncture politique et économique autorise-t-elle ce choix ? A mon avis, non, pour les raisons suivantes :

- Un pays qui sort de la crise (ou qui vent en sortir) a besoin d’un gouvernement fort et stable. Sous cet angle, le régime parlementaire n’est pas réputé être le meilleur système politique.

- Si une partie de l’opinion publique, largement influencée en cela par certains partis politiques, clame sa préférence pour ce système politique, c’est très probablement parce qu’elle considère à tort que le système Ben Aliste était présidentiel. Il n’en est rien. C’est un système autocratique, donc non démocratique.

- Ce dont nous avons souffert un demi-siècle durant, ce n’est pas la dictature du Président mais la dictature d’un homme (et accessoirement d’une femme). Peu importe dès lors la fonction de cet homme : Président ou Premier ministre.
Il faudrait donc prévoir des garde-fous pour le détenteur du pouvoir exécutif. Déplacer ce pouvoir ne résout rien.      

4) Le mandat du Président étant de cinq ans, alors que celui des élus de l’Assemblée nationale est de quatre ans, cela présente trop d’inconvénients dont notamment :

- La multiplication des échéances électorales, incitant plus à l’abstention qu’à la mobilisation des électeurs encore peu habitués aux rendez-vous électoraux.

- Une éventuelle cohabitation entre des courants politiques incompatibles, susceptible d’handicaper l’action du gouvernement. L’expérience française d’avant la dernière réforme constitutionnelle l’a démontré.

 - Si le Président se présente aux élections  avec un programme, c’est pour que ce dernier soit mis en œuvre par un gouvernement favorable et une majorité qui vote les réformes qu’il a proposées au peuple. Si donc les élections législatives ne lui donnent pas la majorité dont il a besoin, on aura, outre le risque de tensions sinon de confrontation entre les deux piliers de l’Exécutif, le sentiment de frustration puis de désaffection de la part du peuple à l’égard  des élections présidentielles.      

2 - Concernant le pouvoir législatif :

L’idée du Conseil national du développement et des régions, tel que proposé, n’est pas bonne pour les raisons suivantes :

1) Un pays comme le notre d’une superficie  de 164.000 km² et d’une population de 11 millions peut-il se permettre le « luxe » d’adopter le système de deux chambres législatives ? Dans les grandes démocraties, et comme vous le savez parfaitement, le bicaméralisme n’a été institué dans la majorité des cas que dans les états fédéraux (USA, Allemagne, le Brésil) ou pour des raisons historiques qui leur sont propres (France, Grande-Bretagne). Nous ne nous trouvons fort heureusement dans aucune de ces deux hypothèses.

2) L’ancien régime a introduit le bicaméralisme pour des raisons que l’on connait. Rien à voir avec l’intérêt du pays. C’est donc une parenthèse qu’il faut fermer.

3) Si on adoptait le bicaméralisme, notre pauvre peuple qui n’a jamais voté tout au long de son histoire, serait appelé à voter aux élections suivantes : présidentielles, législatives (des 2 chambres), régionales, gouvernorales et locales, auxquelles il faut ajouter les référendums pour révision constitutionnelle ou autres. Ouf ! C’est trop, convenez-en. N’est-ce pas ?

4) Dans le modèle que vous proposez, il ne s’agit même pas de bicaméralisme parfait, si bien que les délibérations de l’Assemblée nationale l’emporteront sur les recommandations du Conseil national du développement et des régions. Finalement, tout ça pour ça !

5) La création d’un Conseil national du développement et des régions comme second organe législatif s’accompagnera du choix de la décentralisation qui semble faire l’unanimité chez les partis politiques. Dans le contexte actuel de régionalisme ambiant, cela fera trop d’instances régionales, pouvant freiner à court terme l’action gouvernementale et menaçant à long terme l’unité nationale, un risque qu’il ne faut jamais sous-estimer.  

C’est pour ces raisons que je propose de créer un organe consultatif composé de représentants de toutes les organisations professionnelles (UTICA, UGTT et autres syndicats des travailleurs et les ordres professionnels), élus périodiquement pour donner un avis préalable sur tous les projets et propositions de lois.             

En conclusion, il me semble que la future Assemblée constituante doit trancher clairement entre le système présidentiel (qui a ma faveur) et le système parlementaire pour éviter à notre démocratie naissante des crises dont on veut bien se passer.

III - Remarques sur certains articles

Article 16-2 :

Les perquisitions ne peuvent être ordonnées que par un juge.

Article 24 :

Le procès peut ne pas être public dans certains cas, à condition que le juge motive sa décision.

Article 38 :

La politique de plein-emploi est quelque peu surréaliste. Cela ne peut être l’objet de disposition juridique. Laissons aux partis le soin de le proposer dans leurs programmes, le jour où ils en auront.

Article 40 :

Sur la forme, il me semble que cette question ne mérite pas une consécration constitutionnelle. Le droit du travail est le lieu indiqué pour la régler.

Article  43-2 :

Il faut ajouter les droits moraux

Article 51 :

Le mandat des députés devrait être de cinq ans. Une législature de quatre ans est trop courte pour permettre à la majorité issue des élections de mettre en place le programme plébiscité par les électeurs.

Article 59-1 :

Au lieu de la majorité, le tiers des membres, et ce pour  donner plus de pouvoirs aux partis minoritaires, d’une part, et multiplier les occasions de débat, d’autre part.

Article 60 :

Je suggère que le Président de l’Assemblée nationale soit élu parmi l’opposition.
Cette idée peut paraître curieuse. Pourtant le système classique aboutit toujours à la concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul parti politique : le Président et le Premier ministre suite aux élections présidentielle et législatives et le Président de l’Assemblée nationale élu parmi les membres du parti majoritaire.
Première conséquence, les trois personnages forts du système politique appartiennent au même camp. Ce qui exclut l’idée de contre-pouvoir.
Seconde conséquence, et dans la perspective de répartir le pouvoir de nomination des hauts commis de l’Etat entre ces rois personnes, l’effet escompté ne sera réalisable que lorsqu’au moins l’un de ces trois personnages appartient à un camp différent de celui des deux autres. Le risque de clientélisme exclusif à un parti, tel que nous l’avons connu, peut être atténué.
 
Article 67 :

Je suggère de prévoir la règle de non-cumul de mandat de membre de l’Assemblée nationale avec d’autres mandats électifs nationaux, régionaux ou locaux, d’une part, et des responsabilités gouvernementales, d’autre part.

Article 73-2 :

La majorité des trois cinquièmes présente plutôt un sérieux risque de blocage qu’une incitation au consensus. D’autant plus qu’il s’agit en particulier du vote d’une loi aussi importante que la loi de finances. Je crois que ces lois peuvent être votées par la majorité absolue des membres de l’Assemblée nationale.
Cette option est préférable à celle prévue par l’article 74 en cas du non vote de la loi de finances au 31 décembre. En effet, il vaut mieux faire adopter cette loi par le vote d’une majorité absolue des membres d’une assemblée élus que par  sa mise en application, qui plus est par tranches trimestrielles, par un  décret.

Article 76 :

Le partage proposé entre le domaine d’intervention de la loi et les matières dont les principes fondamentaux sont déterminés par la loi n’est pas suffisamment clair. A titre d’exemple, les obligations sont prévues dans les deux domaines à la fois. Autre exemple, le droit du travail, impliquant  des obligations à la charge et de l’employeur et de l’employé, fait l’objet d’une mention spéciale alors qu’il devait être rangé parmi les obligations.

Ainsi et dans un souci de cohérence et de meilleure lisibilité du texte, je propose d’intégrer dans la liste du premier domaine :
- Les droits réels (inutile de prévoir le droit de propriété car il est un) et les obligations civiles et commerciales
- Le droit syndical, le droit du travail et la sécurité sociale
- Le droit de l’environnement et le droit économique.   

Article 89-2 :

L’interdiction imposée au Président et à son « vice » d’être affiliés à un parti politique est ambigüe. Elle peut être inefficace.

Je crois qu’il faudrait prévoir que la validation de l’élection du Président et du vice- Président met ipso facto fin à leurs qualités et responsabilités dans leurs partis respectifs.

Article 83 :

1 - Il faudrait supprimer la phrase « de religion musulmane » car la condition est déjà prévue dans l’article 82 : « Leur religion est l’Islam ».

2 - L’âge maximum ne devrait  pas dépasser les soixante cinq ans. Pour rajeunir notre personnel politique.

Article 107-2 :

Le programme politique du Gouvernement peut être approuvé par une majorité absolue pour ne pas entrer dans un cycle de blocages infinis ou d’alliances contre nature, trahissant la volonté du peuple issue des urnes.

Article 115-2 :

Le Gouvernement dispose de la force armée alors que c’est le président qui en est le chef suprême. Alors qui commande nos forces armées ? Si on reste dans la configuration proposée, l’on peut dire que le Président dispose de l’armée en cas de guerre avec un pays ou une partie étrangère alors que le Premier ministre en dispose dans les autres cas (maintien de paix, catastrophes naturelles, travaux exceptionnels,  etc). 

Article 118 :

On constate que la majorité exigée pour outrepasser un véto présidentiel contre une loi ordinaire (soit la majorité des 3/4) est supérieure à celle exigée en cas du véto contre une loi organique ! Le contraire serait plus plausible.
De même l’exigence d’une majorité des ¾ des membres est excessive. Une majorité des 2/3 serait suffisante.
 
Article 128 :

  Le moment est-il venu d’aborder la question d’abolition de la peine de mort et dans un texte constitutionnel ? En France, par exemple, cette peine a été abolie par une loi et non par une disposition constitutionnelle.
Cette disposition, que je n’approuve pas sur le fond, il est vrai, risque de nous faire perdre des mois de polémiques inutiles. Je crois qu’il faut la supprimer purement et simplement.

Article 131 :

La composition de la Cour Constitutionnelle ne devrait pas, à mon avis, comprendre les juges siégeant dans d’autres juridictions (Les présidents de la Cour de cassation, de la Cour de justice administrative, de la Cour des comptes et de la cour de discipline budgétaire)  et ce pour deux raisons. D’une part, pour garantir une indépendance totale de cette nouvelle Cour et, d’autre part, pour assurer à ces membres et aux membres des autres tribunaux une totale disponibilité pour leurs charges respectives. 

Je propose dès lors que la composition de la cour soit comme suit :
- 3 membres nommés par Président de la République ;
- 3 membres nommés par le premier ministre ;
- 3 membres nommés par le président de l’assemblée nationale ;
- 3 membres élus parmi les magistrats de troisième degré par ces derniers, dont 2 appartiennent à l’ordre judiciaire et un à l’ordre administratif. Les magistrats se consacreront exclusivement à leur nouveau mandat.
Bien entendu, les neufs membres à désigner par le Président, le Premier ministre et le Président de l’Assemblée nationale doivent être choisis parmi des universitaires.   

Article 139 :

- pour pouvoir saisir la Cour constitutionnelle, Pourquoi devraiy-on attendre le stade du contentieux en appel ? Cette saisine peut être ouverte dès que la question est soulevée en première instance.
- Cette saisine ne devrait être ouverte que pour les textes légaux n’ayant pas subi l’examen préalable de constitutionnalité tel que prévu par l’article 138.

Article 149 :

La composition proposée du Conseil Supérieur de la Magistrature poserait à mon avis trois problèmes:

- Le président de la Cour constitutionnelle ne doit pas y siéger pour les raisons évoquées ci-haut (indépendance et disponibilité) ;
- L’intégration du bâtonnier  et des professeurs de droit risquent de faire des remous parmi les magistrats ;
- Le grand absent c’est évidement des magistrats élus parmi leurs pairs.

Article 155 :

Dans la mesure où la Haute Cour de la République jugera les membres de l’exécutif (le Président de la République et les membres du Gouvernement), elle devrait être composée de personnes totalement indépendantes, y compris de par leur nomination.

Je propose que cette Cour soit composée de magistrats élus parmi les magistrats de la Cour de cassation, de la Cour des comptes et de la Cour de justice administrative et des membres élus parmi les membres de l’Assemblée nationale.

Article 176-2 :

Cette disposition est anti-démocratique. La souveraineté appartenant in fine au peuple, aucune génération ne peut lier une autre par une disposition que cette dernière considérerait incompatible avec ses opinions politiques et choix socio-économiques.   
C’est pourquoi, je crois qu’une Constitution démocratique ne peut prévoir une telle disposition.

Tout en me permettant de contribuer à l’enrichissement du débat public sur une question aussi cruciale, je ne peux manquer l’occasion pour exprimer toute mon estime au professeur Belaïd pour son travail de sensibilisation (entre autres par ses chroniques dominicales dont je suis un fidèle lecteur) et de réflexion (son avant-projet de Constitution en témoigne).

Mohamed Lassâad Haj-Taieb
* Assistant en droit privé    
 

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3 Commentaires
Les Commentaires
Sfaxi Ridha - 21-09-2011 22:20

bon courage à l'équipe, et RABBY MAAKOUM.......

Mohamed Al Mazri CHOUK - 21-09-2011 23:39

La démocratie nouvelle qu'ils nous préparent, c'est toujours une démocratie SANS UN CITOYEN RESPONSABLE, NI UN PEUPLE QUI A SON MOT A DIRE, mais juste bon pour les élire...

abou zied - 15-10-2011 16:02

la constitution de 59 st tout à fait acceptable et adapté aux réalités nationales, bien sûr sans les triturations de l'ancien régime.les malheurs du pays ne viennent pas du texte mais de l'application.aussi et quelque soit le régime politique adopté, l'important serait de mettre des gardes-fous lors de l'application telle que l'unanimité lors des décisions à propos du régime de l'état et des systèmes de gouvernements.on se rappelle de tous les référendums qui ont dénaturés la constitution.rien n'empêche même avec une bonne constitution, de retomber dans les affres de la dictature.

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