News - 11.09.2023

Pr Abdelaziz Annabi : A la mémoire de Jalila Hafsia

  Pr Abdelaziz Annabi : A la mémoire de Jalila Hafsia

A la perte de La Jalila, permettez-moi d'associer mon émotion et ma tristesse.

Voilà une page mémorable de la femme engagée du féminisme des années de lutte et de l'émancipation de la Tunisie, qui s'en va. A l'instar de leur inspiratrice et de leur inspirateur, ma grand-mère Habiba Menchari et Tahar Haddad, et de leurs disciples et condisciples et pasionarias du combat de la femme à son image, Radhia Haddad, Taouhida Ben Cheikh, Bchira Ben M'rad et bien d'autres icônes du féminisme.

Jalila avait comme Simone de Beauvoir une culture éclectique et un don d'auteure,  d'écoute et d'éloquence du journalisme, de la communication, de la transmission,  du conte et du roman qui nous manquera, à jamais.

Elle m' honorait de sa confiance et de son amitié. Nous sommes restés proches tout au long des belles années de mon parcours à l'ancien Hôpital Aziza Othmana, dont j 'échappais en toute occasion pour la rejoindre dans le mythique Club Tahar Haddad dans les vieilles écuries de Dar Lasram. Jalila a fait de ce lieu un temple de la culture et des rencontres des étudiants et des étudiantes dont elle était l'égérie et la grande aînée, et un temple des rencontres des artistes et des lecteurs et des écrivains qui avaient la chance de la côtoyer, de l'écouter et d'échanger avec elle. J'ai eu moi-même, par un hasard "qui n'arrive qu'aux gens bien préparés" pour reprendre l'adage de Pasteur, qu'elle eût aimé réentendre, la chance de la rencontrer "par hasard" au bas des escaliers  de la Bibliothèque d'Harvard lors du séjour que nous avons effectué à Boston chacun de son côté dans un cadre différent, sans nous concerter à l'avance, au mois de juillet 1983 !

J'ai eu le privilège d'exposer le 24 avril 1985 sous son parrainage à Tahar Haddad et l'influence de ma Tante Leila Menchari, Artiste-Peintre des Beaux-Arts proche des Surréalistes et Scénariste et Décoratrice adulée des Vitrines du 24, Rue du Faubourg Saint-Honoré, féministe et condisciple de La Jalila, née en septembre de l'année 27, la même année de sa naissance et sa cadette de 20 jours, depuis leurs premières années d'études au Lycée de Jeunes Filles Armand Fallières. L’Exposition portait sur les "Photographies prises à Mount Rushmore" aux États Unis d’Amérique; la Presse a relaté l’événement dans sa page culturelle le lendemain. L’Exposition s'est déroulée sous le magistère de La Jalila, au milieu d'un parterre d'Invités, d'amis et de diplomates de la haute représentation américaine à Tunis.

Je partageais avec La Jalila une formidable reconnaissance et affection pour l'immense culture et la personne charismatique de Habib Bourguiba. Le Président m' avait clamé un jour dans "un tête à tête" à haute voix les Vers d'anthologie d'un Poète pamphlétaire de Napoléon 1er . Un morceau qui ferait pâlir d'envie un agrégé de lettres de La Sorbonne. Je cite, le couplet de Vers que j’ai cherché au bout de quarante années, aujourd’hui:

“Que de lauriers tombés dans l’eau !
Et que de fortunes perdues !
Que de gens réduits en tombeau!
Pour porter Bonaparte aux nues;
Ce guerrier vaut son pesant d’or,
En France personne n’en doute;
Mais il vaudrait bien mieux encore,
S’il valait tout ce qu’il nous coûte (bis)!

(Le Chansonnier royaliste ou Ami du roi, à la Librairie du lys d’or, quai des Augustins, n° 11, 1816, p. 80).

Je le lui lirais plus tard au bout du "Temps Qui Reste" dans la béatitude d'un monde meilleur. Là où plus personne ne fait plus "l'Ange et la Bête". Là où les blessures et les trahisons des humains, les manquements et l’hypocrisie des États n’ont plus d’écho, ni de résonnance.

C'est avec beaucoup de chance que j'ai pu revoir "Jalila", comme elle aimait qu'on l'appela simplement, entourée de ses proches et de sa merveilleuse Fille de compagnie et d'adoption, et de Hajer sa Nièce à ses côtés. 

Abdelaziz Annabi, M. D,
‘’Médecin des Leaders de la Nation‘’

Sa nièce Hajer (Annabi et Fille de Nazly sa regretté Sœur) m’a confié que La Jalila s’est endormie paisiblement dans la nuit, pour ne plus se réveiller !

“Elle est partie sereine et légère dans son sommeil comme Elle l’espérait,  on ne pouvait lui souhaiter un meilleur départ”.  Une telle disparition m’invite à faire une digression anthologique
sur la gémellité des divinités grecques symbolisée par Hypnos et Athos  et les grands poètes de la Renaissance, Pierre de Ronsard, le “Prince des poètes” et le “Poète des princes”, et Michel Eyquem de Montaigne, de près de dix ans son aîné, qui s’attachent à la philosophie et l’appartenance et à la symbolique psychosensorielle  et mystique du sommeil, de la nuit et de la mort.

Voici, le dernier paragraphe au “texte d’hommage” qui peut ainsi s’accorder pour lui donner une conclusion qui va bien au-delà de la personne existentielle de Jalila et qui  ne manquera pas de la part de la grande disparue de lancer  un dernier clin d'œil aux Lettres classiques et à la poésie du cœur de la littérature
française de la Renaissance qu'elle aimait tant !

Mots clés

“ Hypnos et Thanatos: une association traditionnelle renouvelée à la Renaissance”…

“Le repos est à la fois l’image la plus ancienne, la plus populaire et la plus constante de l’au-delà” …”Dans la mythologie antique, Hypnos et Thanatos sont frères jumeaux.”...

“Le rapprochement du sommeil et de la mort n’est pas le seul fait des Grecs”...

“Des sociologues et des historiens se sont penchés sur cette gémellité et en ont trouvé des traces de cette gémellité chez les Romains, dans les textes médiévaux,  mais aussi, loin de l’occident, chez de nombreux peuples dits primitifs”...

“A la Renaissance, certains penseurs-théologiens, médecins, poètes et écrivains -reprennent cette association traditionnelle du sommeil et de la mort, et lui donnent souvent une portée qu’elle était loin d’avoir dans les textes antiques”...

“La mort est un sommeil”... “Cette association a comme but principal d’euphémiser  la mort, de supprimer ce qui fait d’elle l’altérité absolue, de la rapprocher d’un état connu, rassurant, que traverse l’homme chaque jour: le sommeil”... “Le discours de Socrate à la veille de sa mort est, à cet égard, révélateur: la mort n’est peut-être qu’une nuit sans rêves”... Montaigne à la Renaissance reprend le raisonnement socratique au livre III  des Essais. “Si c’est un anéantissement de notre être, c’est encore entrer en une longue et paisible nuit. Nous ne sentons rien de plus doux en la vie, qu’un repos et sommeil tranquille et profond sans songes”. Si la mort est un sommeil, l’agonie n’est qu’une autre forme de l’endormissement. Point de douleur là où la conscience  glisse progressivement ailleurs, dans la douceur. “...Il me semblait que ma vie ne me tenait plus qu’au bout des lèvres: je fermais les yeux pour aider (ce qui me semblait) à la pousser hors, et prenais plaisir à m’alanguir et à me laisser aller. C’était une imagination qui ne faisait que nager superficiellement en mon âme, aussi tendre et aussi faible que tout le reste: mais à la vérité non seulement exempte de déplaisir, ainsi mêlée à cette douceur,  que sentent ceux qui  se laissent glisser au sommeil. Je crois que c’est ce même état, où se trouvent ceux qu’on voit défaillants de faiblesse, en l’agonie de la mort: et tiens que nous les plaignons sans cause, estimant qu’ils soient agités de graves douleurs, ou avoir l’âme pressée de cogitations pénibles “.

Lire aussi

Jalila Hafsia, la journaliste, la romancière et la féministe qui nous quitte
 

Vous aimez cet article ? partagez-le avec vos amis ! Abonnez-vous
commenter cet article
0 Commentaires
X

Fly-out sidebar

This is an optional, fully widgetized sidebar. Show your latest posts, comments, etc. As is the rest of the menu, the sidebar too is fully color customizable.