News - 27.04.2023

Décarboner le climat passe par un gigantesque travail de déconstruction culturelle, de réajustement de nos subjectivités et nos «habitats narratifs»

Décarboner le climat passe par un gigantesque travail de déconstruction culturelle, de réajustement de nos subjectivités et nos «habitats narratifs»

Pr Samir Allal. Université de Versailles /Paris-Saclay

Nous sommes désormais au seuil d'un bouleversement sans précédent à l'échelle de toute l'histoire de l'Humanité

La transition énergétique et écologique n’est pas qu’une affaire de techniques. Elle est aussi, et surtout, un énorme chantier de déconstruction culturelle et de réajustement de nos subjectivités façonnées par la croissance et le pétrole.

Saisie comme un enjeu de narration et d’imagination, la transition peut ouvrir des perspectives radicales, comme en témoignent les réflexions des chercheurs des humanités énergétiques, champ académique nouveau très dynamique en Amérique du Nord. Leur objectif est « d’intervenir dans les récits sur la société post-pétrole, pour qu’ils ne mettent pas seulement en scène un simple jeu de substitution, d’une énergie par une autre". “Oil Fictions, World Literature and Our Contemporary Petrosphere” (Penn State University Press, 2021).

Dans le débat public, l’attention se focalise le plus souvent sur les aspects techniques de la transition. Elles ne suffisent pas d’atteindre la neutralité carbone. Démanteler le système fossile passera par un gigantesque travail de déconstruction culturelle, de réajustement de nos subjectivités, ou encore, pour reprendre la belle expression de Camille de Toledo, de réinvention de nos «habitats narratifs».

Le pétrole, le gaz et le charbon imbibent tellement nos vies qu’ils n’ont pas seulement façonnés nos paysages et nos modes de vie, la manière dont nous nous déplaçons, mangeons et consommons ; ils se sont aussi emparés de nos imaginaires. L’évidence de notre quotidien «est spéculative..., elle est une spéculation sur l’éternité de l’essence.», écrivait Jean-Christophe Cavallin dans Valet noir (José Corti, 2021).

Malgré le nombre de voyants déjà au rouge, la poursuite insensée de l'exploitation des énergies fossiles accroît encore la vitesse de notre course folle, au point de remettre en cause la survie même de notre espèce, et de beaucoup d'autres avec nous. Les forces titanesques que nous procurent ces énergies délétères nous donnent le potentiel de détruire l'habitabilité de la planète entière, et nous ne levons pas le pied de l'accélérateur.

La trajectoire actuelle d'un réchauffement de plusieurs degrés menace à brève échéance les conditions de vie dite «civilisée» sur Terre, c'est-à-dire les conditions de paix, de démocratie, d'égalité, de progrès des droits humains.

On s'est ému à juste titre de la pandémie de Covid-19, des confinements planétaires, de la guerre en Ukraine, dont on se rend bien compte qu'ils sont des événements historiques. Mais la majorité de la population (et de nos décideurs) ne perçoit toujours pas à sa juste mesure la vague immensément plus grande qui est celle du dérèglement climatique que nous avons enclenché.

Le dérèglement climatique est un phénomène qui devrait tout conditionner, et nous pousser à tout reparamétrer, de manière beaucoup plus spectaculaire encore que ce qui a été fait lors de moments historiques comme la pandémie de Covid-19, le choc pétrolier de 1973 ou la Seconde Guerre mondiale. Et pourtant, c'est loin d'être le cas.

Avoir conscience de l’urgence climatique, c'est regarder la réalité en face, dans toute sa dureté et sa gravité. C'est le sentiment de la tragédie, l'injustice criante quand on voit hommes, femmes et enfants jetés sur les routes, chassés de leurs territoires par les cyclones, la montée des eaux, les sécheresses, les conflits et les guerres exacerbées par les tensions autour de la raréfaction des ressources. Quand on voit nos semblables noyés et échoués sur des plages après avoir tenté des traversées désespérées.

Et c'est la sidération à l'idée que tout cela n'est pourtant qu'un aperçu, une bande-annonce, et que le gros de la catastrophe reste encore à venir. C'est avoir la peur au ventre quand on pense aux années qui se profilent, pour soi-même, pour ses enfants, pour ses proches.

Ce sont les récits d'effondrements qui rendent les nuits blanches. C'est l'angoisse, l'écoanxiété, le poids écrasant, sur les épaules de notre génération, de la responsabilité de l'action. C'est l'image de la fenêtre qui est en train de se refermer, et le son pressant tic-tac d'un compte à rebours pour réussir l'impossible.

Malgré son extrême gravité, le défi climatique représente aussi une formidable opportunité: la peur est là, mais l'espérance également

Notre mode de vie consumériste est vide de sens. Sa logique insatiable ne fait qu'augmenter toujours plus les frustrations et rend nos sociétés tristes, anxieuses et déprimées. Ce modèle néo-libéral n'est plus synonyme du progrès et de l'épanouissement dont il a prétendu un temps être la voie.

C'est une chance de changer radicalement un système devenu néfaste non seulement au niveau écologique, mais également au niveau politique, social et culturel. Générateur d'injustices sociales, de violence, d'exclusion, de discriminations et de rapports de domination, comme le décrit Jon Palais dans son excellent ouvrage “La bataille du siècle, stratégie d’action pour la génération climat” (les liens qui libèrent, 2023).

La bifurcation est donc impérative, souligne Jon Palis, pour des raisons écologiques, mais elle l'est également afin de proposer à nouveau du sens à nos vies, et une nouvelle manière de penser le monde.

C'est précisément dans cette perspective que le défi climatique nous permet aujourd'hui de nous projeter. Ce changement radical du système pour relever le défi climatique nous offre un moyen de nous projeter dans un futur de nouveau désirable, et redonne un véritable sens à nos actions du présent.

Et c'est d'autant plus urgent dans une époque, où les tensions sont chauffées à blanc par la montée des extrêmes et celle du libéralisme autoritaire, qui chacun à leur façon durcissent les logiques d'individualisme, de repli sur soi, d'égoïsme, d'intolérance, de domination et de violence.

La peur est là, mais l'espérance également. La dynamique citoyenne qui émerge partout dans le monde, fortement structurée par la jeunesse, garde intacte sa capacité d'indignation et de colère.

C'est la force de croire en ce qui paraît impossible, mais qui est indispensable.

C'est la légitimité incontestable d'une génération dont l'avenir est en jeu, pour qui la radicalité est une question de survie. Une radicalité mettant à l'épreuve le vieux monde qui refuse de s'actualiser face aux enjeux de notre siècle.

Agir pour le climat, c'est ressentir la force de l'action collective, c'est avoir le sentiment d'appartenir à un mouvement plus grand que nous, qui prend à contre-pied ce monde atomisé, étriqué et étouffant d'individualisme. C'est la confiance dans notre capacité à inventer un autre type de société.

L'évidence qu'on peut faire tout autrement, qu'il est possible de vivre d'une manière profondément différente, et avec beaucoup plus de sens. Et, la certitude que le système actuel est obsolète et qu'il doit être remplacé, totalement, radicalement, jusque dans ses fondements mêmes.

La prise de conscience prend du temps... malgré les alertes des scientifiques du GIEC. On parle du sort des «générations futures», et de leur droit à habiter une planète vivable. Aujourd'hui, les générations futures sont là, en chair et en os. La génération climat c’est nous. Nous nous retrouvons avec la réalité en plein visage. Au cœur de l'urgence.

Le changement climatique est quelque chose de tellement gigantesque, tellement sidérant que nous avons encore beaucoup de difficultés à l'intégrer mentalement. La nécessité de basculer dans une nouvelle ère énergétique se fait de plus en plus pressante.
Elle nous pousse à sortir de notre myopie culturelle, élargir la focale et voir le pétrole pour ce qu’il est: une machine à fictions, qui nous a donné l’illusion qu’il était possible de nous affranchir des limites terrestres et de vivre hors-sols.

Reconstruire sur les ruines du néo-libéralisme un nouveau consensus démocratique, incompatible, avec le techno-solutionnisme des libéraux, le productivisme et aussi le populisme

Maintenant que nous sommes entrés dans l'ère du dérèglement climatique, deux questions deviennent incontournables: Comment agir face à l’urgence climatique, causé par des décennies d’activités humaines, et à l'inaction de nos dirigeants?  Comment lutter efficacement contre les inégalités et provoquer des changements culturels de grande ampleur?

Augmenter incessamment la croissance et les flux d’énergie et de matière qui en découlent, détruisent l’habitabilité de la planète.
Le dérèglement climatique est un problème urgent, hautement politique, qui remet en cause tant nos manières de penser que l’organisation de nos sociétés. Il ne se résoudra pas par quelques mesures techniques consensuelles, mais par des transformations profondes.

Aujourd’hui, les espèces disparaissent à un rythme effréné, les sols perdent leur fertilité et leur capacité à retenir l’eau, les plastiques saturent les océans et pénètrent nos cellules, sécheresse, pluie diluvienne, les fleuves qui s’assèchent, le glacier qui s’effondre.… Et ce sont les plus fortunés qui détruisent le plus la planète: les 10 % les plus riches émettent de 34 % à 45 % des gaz à effet de serre mondiaux, quand les 50 % les plus pauvres n’en émettent que 13 % à 15 %.

La plupart des pays du Sud, ont toujours eu, et ont encore, beaucoup de problèmes en commun: la pauvreté, l’inflation, la sécurité alimentaire, la santé, l’éducation, le chômage, l’énergie, la dette.  Ils craignent que ces sujets soient écartés des débats des grandes réunions internationales à venir, (en particulier du prochain G7 en mai au Japon et du prochain G20 en septembre en Inde), qui pourraient ne se concentrer que sur les enjeux qui préoccupent les pays du Nord, (comme la guerre en Ukraine); et que le Nord veuille faire payer au Sud les conséquences de ses propres turpitudes, en lui interdisant l’accès aux énergies fossiles dont le Nord a fait sa fortune, tout en détruisant l’avenir commun.

Alors que, aller vers un monde plus juste, une société plus sobre et plus équitable nécessite, de trouver un nouveau consensus démocratique où il ne s’agit plus de produire toujours plus, mais de trouver l’optimum compatible avec les limites planétaires – tout en resserrant significativement les écarts entre riches et pauvres, de sorte qu’il n’y ait plus d’individus qui détruisent, à leur échelle, l’équivalent de plusieurs planètes.

Il s’agit par ailleurs, de ne plus nous (les humains) se comporter comme «maîtres et possesseur de la nature», selon la formule de Descartes, mais « vivants parmi les vivants », selon celle du philosophe Baptiste Morizot.

Or, ce nouveau consensus démocratique et en harmonie avec la nature n’est, en l’état, compatible, ni avec le techno-solutionnisme des libéraux, ni avec le productivisme, ni avec le populisme. Dominique Bourg et Cyril Dion (Le Monde 04/2023). Pourquoi? Parce que du côté des libéraux et des productivistes, la recherche de la croissance reste encore l’Alpha et l’Omega.

Le respect des droits humains, de la démocratie, de la diversité, sont aussi, au cœur d’une vision écologique progressiste du monde. Tous ceux qui cherchent à nier cette diversité, à l’écraser, ne peuvent prétendre l’épouser. Aucun des problèmes du monde, pas même ceux du climat, ne sera réglé par des dictatures, comme le souligne sur son blog Jacques Attali.

Autrement dit, atteindre l’habitabilité de la planète, demandent de réinventer notre économie pour drastiquement diminuer notre consommation d’énergie et de matière, tout en vivant mieux et solidaire.

Pour éviter l’effondrement, il est urgent de combattre la vision dominante (celle de la compétition et de l'individualisme), qui gouverne le monde, reflétée par un système économique et politique néolibéral, et la remplacer par un nouveau récit (la transition juste) qui invite les gens à s'inscrire dans une action politique et dessine un chemin vers une société meilleure. Il s’agit désormais de faire primer l’intérêt de tous les vivants sur celui de quelques-uns.

À l’exception des esprits déboussolés, et des cyniques (bien décidés à profiter de la manne pétrolière jusqu’au bout), l’humanité du XXIe siècle sait qu’elle se trouve face à un chantier colossal et intimidant: construire un nouveau système énergétique où les énergies carbonées, qui composent encore plus de 80 % du mix énergétique mondial, seront réduites à leur portion congrue.
Il est temps de nous souvenir comme nous y invite Bruno Latour, que «nous n’avons pas d’autre demeure qu’ici-bas, dans l’étroite planète», que nous sommes les résidents d’une bande atmosphérique de quelques kilomètres de haut, un espace minuscule entre terre et ciel aux instables équilibres chimiques, où la vie terrestre, sous sa forme actuelle du moins, joue son destin.

La démocratie et l'économie peuvent être radicalement réorganisées pour nous permettre de reprendre le contrôle de nos vies et renverser les forces qui ont contrecarré l'ambition que nous avions de construire une société plus juste. Pour cela, il faut être capable de raconter une histoire différente, sous-tendue par l'empathie et l'enthousiasme, à laquelle nous (tous) pourrons nous identifier et contribuer.

C’est donc ce projet politique entièrement nouveau, reposant sur un autre consensus démocratique qu’il faut trouver. Et comme tout consensus nouveau qui demande de repenser notre relation aux autres et au monde, il ne se construira pas sans conflictualité. Si nous pouvons nous entendre sur le constat, les réponses à apporter divergent fortement.

Des conservatismes puissants sont à l’œuvre, cherchent à tout prix à protéger leurs intérêts

Nous pourrons devenir les héros de ce nouveau récit par la valorisation du vivre-ensemble et du sentiment d'appartenance.  L’heure est au détricotage des anciens récits, ceux qui projetaient loin, dans l’espace, dans un univers détaché du substrat matériel de nos existences.

Des récits précisément entretenus par le pétrole, ce concentré d’énergies résultant d’un lent travail de digestion souterrain d’un plancton vieux de millions d’années. La question du récit, et de l’imaginaire, est centrale: «le mythe fossile a pour effet général de dépolitiser l’intensification énergétique qui s’est déroulée tout au long de l’histoire humaine.»

Les conditions dans lesquelles s’exercent la démocratie sont largement tributaires des énergies carbonées, et de la manière dont on les exploite et distribue. En témoigne l’irruption de Donald Trump, qui a conquis son électorat en faisant revivre une Amérique fantasmée où règne une existence basée sur l’abondance de combustibles bon marché.

Timothy Mitchell appelle à écrire une contre-histoire des mutations énergétiques, à rebours du mythe qui voudrait que les transitions soient le fruit d’une «évolution naturelle» guidée par le progrès technologique. Au contraire, elles sont le résultat d’«innovations politiques qui permettent à une poignée d’acteurs d’organiser et d’extraire le travail des autres humains.»
Et «si les populations tiennent si fermement aux combustibles fossiles, au point de s’engager dans l’autoritarisme, c’est que ces énergies confrontent aussi des significations culturelles et des subjectivités politiques.» Ces subjectivités sont «liées à l’ordre des dominats», qui entretient avec l’énergie fossile « une relation à la fois technique et affective, idéologique et matérielle».  Cara Daggett (les ressorts du fascisme climatique).

Au-delà de la fable qui voudrait qu’il n’y ait que deux alternatives – continuer à croître ou retourner à l’âge de pierre –, Cara Daggett  (collectif pour la transition) appelle, à ne pas se faire confisquer le scénario de la transition énergétique, pour que «la décarbonation de nos approvisionnements énergétiques puissent fournir des opportunités de développer des modes de vie socialement plus justes, qui placeraient les intérêts des personnes les plus exploitées […] au cœur des politiques de transition énergétique».

Elle dessine les contours politiques, économiques, socioécologiques et technologiques, de cette transition juste: des systèmes où existeraient de multiples façons de concevoir l’énergie et de vivre ; des systèmes pluralistes, démocratiques, décentralisés, relationnels et pas forcément anti-technologiques, débarrassés du mirage de la croissance continue, et de l’idée qu’elle serait source de bien-être.

Il s’agit aussi, de rompre avec toutes les règles inhérentes au "libre-échange", résume Naomi Klein en une phrase. "Plus les gens se sentiront en sécurité (sur l’emploi, la santé, l’éducation, le logement…), moins ils seront vulnérables aux forces de la démagogie raciste qui se nourrit des peurs inhérentes à toute période de changement".

La transition juste, l’égalité des droits et notre aptitude profonde seront les seuls remparts de l’humanité face à la barbarie et pour un monde vivable.

Provoquer des changements culturels de grande ampleur, l'espoir est immense en même temps que le défi est terrifiant : «la pratique crée la conscience»

Si nos sociétés n'ont pas su bifurquer à temps pour éviter de déclencher le dérèglement climatique, rendant déjà une partie de ses conséquences irréversibles, la bataille pour éviter le pire n'est encore ni perdue ni gagnée. Nous assistons à un double mouvement.
En même temps que le système néolibéral accélère sa fuite en avant et aggrave le dérèglement climatique, la prise de conscience de l'enjeu climatique grandit dans le monde et un mouvement citoyen émerge et se structure pour faire face à ce défi.

Ces dernières années, de COP en COP, le mouvement climat a gagné en puissance de manière spectaculaire. Une génération climat refuse d’être sacrifiée. La principale victoire de ce mouvement, qui se construit depuis le sommet pour le climat de Copenhague en 2009, est culturelle.

Cependant, nous sommes rattrapés encore plus rapidement par le dérèglement climatique qui se réalise sous nos yeux, et qui frappe de plus en plus durement et de plus en plus régulièrement. Alors que le temps se fait pressant, nous devons accélérer, gagner en efficacité, obtenir au plus vite des changements structurels majeurs pour réussir la bifurcation nécessaire de notre système économique et de notre modèle de société.

Dans un monde qui a commencé à prendre feu, il est urgent d'agir, d'agir efficacement, en visant juste, en déployant les bonnes stratégies : «la pratique crée la conscience».

Peut-on encore espérer infléchir la trajectoire du réchauffement climatique, et doit-on alors poursuivre la lutte pour l'atténuation, ou bien faut-il considérer que la bataille est déjà perdue, et doit-on se concentrer uniquement sur l'adaptation?

Faut-il continuer à mener la bataille culturelle pour faire encore augmenter le niveau de conscience des enjeux dans la majorité de la population ? Ou faut-il se concentrer davantage, voire exclusivement, sur des luttes contre les grands projets d'infrastructures au niveau local, qui semblent plus tangibles et sur lesquelles on a davantage le sentiment d'avoir prise?

Faut-il essayer de convaincre une majorité, ou bien se replier dans des zones de résistance ou des oasis où il est plus facile de développer une manière de vivre alternative en marge de la société?

Comment concilier radicalité et pragmatisme ? Comment élargir le mouvement, le cheviller aux luttes sociales, aux secteurs de la population et aux territoires qui sont les plus précarisés, défavorisés, discriminés? Comment articuler l'enjeu global du changement climatique avec les problèmes et les besoins matériels immédiats des gens, et réaliser concrètement le slogan «fin du monde, fin du mois, même combat»?

Ces questions traversent la société dans toute sa diversité et différentes orientations stratégiques peuvent se dessiner au fur et à mesure. Celle qui apparaît la plus convaincante est la stratégie d'un changement radical du système par l'émergence d'un mouvement populaire de masse. C'est un objectif qui n'est pas forcément consensuel et loin d'être neutre.

Selon qu'on vise ou non un mouvement de masse, on n'articule pas de la même manière la radicalité écologique avec les questions de démocratie et de justice sociale. On ne donne pas au citoyen le même rôle dans le changement du système.

L'optique d'un mouvement de masse qui soit à la fois radical et populaire implique une logique d'alliances qui dépasse les cercles de l’expertise, pousse à trouver une synthèse réussie entre radicalité et pragmatisme. C'est une approche qui incite à partir de là où sont les gens, et à chercher les moyens de parler à des publics larges.

Une voie qui oblige à mettre en place des méthodes de travail spécifiques, à la fois inclusives et disciplinées, permettant d'être nombreux, mais aussi coordonnés.

Enfin, il en résulte un rapport particulier aux temporalités, car la construction d'un mouvement de masse prend du temps, alors que le temps nous manque cruellement, ce qui nous pousse à résoudre la contradiction de l'urgence et du temps long.

Il est temps de passer à la vitesse supérieure. Nous avons plus que jamais besoin de lignes directrices fortes, d'une orientation stratégique claire, d'un horizon partagé. C'est ce qui peut nous donner la possibilité de garder le cap, et de canaliser notre peur, notre espoir et notre colère en stratégies d'action lucides et efficaces.

Pr Samir Allal
Université de Versailles /Paris-Saclay

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