News - 23.02.2021

Semaine agitée autour de l’islam en France

Semaine agitée autour de l’islam en France

Mohamed Larbi Bouguerra - Jeudi 11 février 2021, sur la chaîne France 2 du service public, les habitants de l’Hexagone ont assisté, à leur corps défendant, à une émission hallucinante : un débat entre Marine Le Pen, cheffe de file de l’extrême droite et fille de son père – ex-tortionnaire dans l’armée française lors de la guerre de libération de l’Algérie - et le ministre de l’Intérieur M. Gérald Darmanin. Un débat surréaliste tant les deux orateurs ont échangé amabilités volontaires et sourires de connivence. Ce débat devait traiter « des séparatismes », de la loi du même nom débattu alors au Parlement, de l’immigration et du terrorisme. Or, pendant une heure et demie, on a assisté, médusés, à une surenchère sécuritaire et xénophobe, Marine Le Pen allant jusqu’à dire qu’elle aurait pu signer le livre - paru début février - dû à la plume de M. Gérald Darmanin et dont le titre est « Le séparatisme islamiste ». Renvoyant le compliment, M.Darmanin affirme qu’il trouve Mme Le Pen trop « molle » dans sa hargne contre les musulmans, lui, le ministre en charge des cultes en France !

On n’a guère débattu du projet de loi du gouvernement sur le séparatisme ni de la fameuse loi de 1905 qui a inventé la laïcité à la française, proclamé la liberté de conscience, garanti le libre exercice des cultes et posé le principe de séparation des Églises et de l'État.

Ce faux débat n’a aucunement concerné la laïcité mais bien plutôt l’islam, les musulmans, les immigrés et la politique de l’immigration.

Comme on est loin, dans ce débat caricatural, des propos de Jean Jaurès - un socialiste il est vrai doublé d’un homme de culture - qui reconnaissait la grandeur des civilisations non-européennes et notamment la civilisation arabo-islamique quand il déclarait, à la Chambre des députés,  le 1er février 1902 : « Vous avez là une civilisation admirable et ancienne, une civilisation qui, par ses sources, tient à toutes les variétés du monde antique, une civilisation où s’est fondue la tradition juive, la tradition chrétienne, la tradition syrienne, la force de l’Iran et toute la force du génie sémitique ; et depuis des siècles cette force est en mouvement, religion, philosophie, science, politique, avec des périodes de déclin, mais aussi des périodes de réveil. Comment arriverez- vous à la conciliation, à la coopération de ces forces, de ces races qui ne sont encore, il faut bien le dire, que juxtaposées sur le sol de l’Afrique ? Il y a là deux grandes forces et ce n’est pas en écrasant l’une ou l’autre que vous ferez l’ordre et la paix. Il y des jeunes Tunisiens qui rêvent, pour leur race et pour leur peuple, un développement dans le sens moderne. Je crois que ceux-là le savent bien ; dans leurs traditions et dans le Coran même, il y a, à côté des forces fanatiques et des affirmations de guerre, des grandes paroles magnifiques de continuité humaine et de tolérance. » Il est clair que Jaurès était au courant de la fondation de la Khaldounia en 1896 et des efforts de Béchir Sfar, M’Hamed Lasram, Ali Bach Hamba, Khairallah Ben Mustapha… pour contrer l’influence des « vieux turbans » de la Zitouna et diffuser les idées modernes venant de la Nahda en Egypte et de celles des penseurs occidentaux. (Lire Sophie Bessis, « Histoire de la Tunisie », Tallandier éditeur, Paris, 2019)

Débat surréaliste qu’ont servi Le Pen et Darmanin aux téléspectateurs dans cette France qui ploie sous les coups et les retombées de la pandémie, du chômage, des fermetures de commerce indépendants, des étudiants sans ressources voire affamés, et dont les habitants - c’est palpable- se font un mouron et un sang d’encre quant à leur avenir et celui de leur progéniture pour aujourd’hui et « dans le monde d’après ». S’agissait-il de détourner les Français des questions graves et lancinantes qui les taraudent ? La série d’outrances enregistrées ces derniers temps sur l’islam et les musulmans serviraient-elles ce but ?

Un fait étonnant a retenu l’attention : le ministre de l’Intérieur voit déjà Marine Le Pen au deuxième tour de l’élection présidentielle d’avril 2022 dans un duel avec Emmanuel Macron. Manœuvre cousue de fil blanc pour sortir de l’épure toute alternative de gauche et toute idée de transformation démocratique, sociale et écologique ? Exit les Mélenchon, Hamon et autre Anne Hidalgo… Vous avez dit pluralisme politique ? Du reste, le comportement de Marine Le Pen lors de cet échange prouvait au-delà de tout doute qu’elle voulait effacer l’effet calamiteux voire désastreux de son duel face à M. Macron lors de la dernière élection présidentielle en 2017. Elle visait à donner à sa prochaine candidature en 2022 une certaine respectabilité loin de l’amateurisme et le laisser-aller de sa prestation de 2017 face à l’actuel chef de l’Etat. Nul n’a oublié cet épisode qu’elle traîne comme le forçat son boulet, épisode qui s’est soldé- entre autres - par le fracassant départ de Marion Maréchal Le Pen et Florian Philippot.

De charybde…. A trappes dans les Yvelines !

Comme si le débat sur le séparatisme ne suffisait pas à diviser, voilà qu’un professeur de philosophie du secondaire, M. Didier Lemaire - qui écrit dans des revues d’extrême droite - introduit une polémique à propos de la ville de Trappes dans les Yvelines… « où nous ne sommes plus en France » déplore ce pédagogue. Il prétend, à tort, qu’il n’y a plus à Trappes de salons de coiffure mixte ni de juifs - la synagogue aurait été incendiée - ni de chorales car le chant serait interdit dans cette cité.  Pure affabulation car tout est faux mais… on sait qui est visé ! M. Lemaire n’hésite pas à affirmer : « Les islamistes ont remporté une bataille à Trappes » (Valeurs actuelles, 20 février 2021).
La polémique à propos de Trappes a pourtant débarqué dans les médias sans qu’aucun évènement particulier ne l’ait provoquée.

Mais depuis, cet enseignant du lycée La Plaine à Neauphle est accueilli à bras ouverts sur les plateaux de télévision où il se dit l’objet de menaces de mort. Une télévision hollandaise a pourtant affirmé que cela n’est pas vrai, d’après BFM TV. Il est interviewé par le Figaro (19 février 2021) où on lit : « Une partie de nos compatriotes font sécession car ils sont conduits par des idéologues. Il va falloir prendre des mesures qui soient à la fois militaires, policières et juridiques. »  Il est sous protection de la police.

Les propos outranciers de cet enseignant sont contestés même par le préfet des Yvelines qui salue le travail du maire,  M. Ali Rabeh, dans la lutte contre l’islam radical.

Trappes est en réalité une ville refuge des ouvriers maghrébins arrivés à la fin des années soixante pour servir l’industrie automobile à la demande des autorités françaises.  Cette ville a même vu la police de Sa Majesté alaouite surveiller l’exploitation des travailleurs marocains pour le compte des constructeurs français.  Ces Maghrébins ont fondé des familles et la ville a vu sa population multipliée par six et comptait en 2018 plus de 32 000 Trappistes.

M. Ali Rabeh, le maire de Trappes, proche de M. Benoît Hamon, élu sur une liste EELV (Ecologie) et PCF, s’oppose catégoriquement aux propos stigmatisant tenus sur sa ville par M. Lemaire. Le voilà qui reçoit à présent des menaces de mort. Dans cette ville longtemps oubliée par le pouvoir central, la perte de repères dans la société a conduit 67 de ses enfants à partir servir le djihad en Syrie. Patrick Le Hyaric écrit dans l’Humanité (19 février 2021) : « Ceci ne doit pas être confondu avec la religion musulmane. Un travailleur de confession musulmane subit la même exploitation que ses collègues. Ils et elles sont relégués ensemble dans des quartiers où les politiques d’austérité les privent de services publics et des moyens pour la culture, le sport ou les loisirs. De ce point de vue, la loi séparatisme n’est que le miroir inversé de l’islamisme qui portera préjudice à tous les musulmans. Le refus de cette loi n’est donc absolument pas incompatible avec la lutte contre l’islamisme politique, bien au contraire ! Du reste, rappelons que les premières victimes du djihadisme et de l’islamisme politique sont les musulmans partout dans le monde. »

De son côté, M. Azouz Begag, ex-ministre délégué à la Promotion de l’égalité des chances, a estimé que “les propos généralisateurs” de l’enseignant à Trappes ne faisaient “qu’exacerber les tensions”.  « Aujourd'hui, fondamentalement, rien n'a changé. La question de l'islam cette fois “radical”, censé faire une “OPA sur la République”, est un nouvel épouvantail… La peur des musulmans est ancienne en France. » (Le Point, 20 février 2021)

Mais la jeunesse de Trappes est confrontée au contrôle au faciès, aux discriminations à l’embauche, au chômage de masse et remporte quand même quelques succès. Le grand acteur Omar Sy n’est-il pas un natif de la ville ?

D’ailleurs, la polémique suscitée à propos de Trappes, une des communes les plus pauvres du département, ne serait-elle pas liée au désir de Mme Valérie Pécresse - présidente de droite (UMP) du Conseil régional d’Ile-de-France - de reprendre la ville à la prochaine élection municipale partielle ?

Sus A L’islamo-Gauchisme!

Comme si cela ne suffisait pas, voici que la ministre de l’Enseignement Supérieur Mme Frédérique Vidal ajoute un énorme grain de sel en empruntant un vocable au répertoire de l’extrême droite et demande au CNRS une enquête sur l’islamo-gauchisme à l’Université. Par ce mot, l’extrême droite attaque et stigmatise toute marque de solidarité à l’égard des populations musulmanes en France ; elle qui part à la recherche des immigrés clandestins dans les neiges des Alpes en treillis militaires.

Tollé général dans le petit monde feutré de la recherche d’où une pétition signée par 800 universitaires dans le Monde du 21-22 février 2021 (p.24): « Nous, universitaires et chercheurs demandons avec force la démission de Frédérique Vidal ».

Le communiqué de presse de la conférence des présidents d’universités appelle Mme Vidal à « stopper la confusion et les polémiques stériles. » Quant au CNRS, il condamne « les tentatives de délégitimation de différents champs de la recherche » par l’utilisation « d’un terme sans réalité scientifique » et « aux contours mal définis ». Le débat de spécialistes sur l’islamo-gauchisme diffusé lundi matin 22 février 21 sur France Inter a montré que ce terme n’a pas de définition possible. Il fustige « la police de la pensée » et insiste sur le fait que, à l’heure où le rapport Stora sur la colonisation et la guerre d’Algérie est remis à M. Emmanuel Macron, les enfants d’émigrés veulent des actes sociaux donc une insertion sociale. Ils veulent être acteurs et non objets pour la pensée néocoloniale. (Lire « Décolonisations » de Pierre Singaravélou, Karim Miské et Marc Bail, Seuil, Paris, 2020).

Débat Le Pen-Darmanin, affaire de Trappes, sortie de Frédérique Vidal en une semaine ! On a vécu en France une semaine agitée autour de l’Islam sans qu’aucun évènement n’ait justifié cette agitation.
L’approche des élections présidentielles de 2022 explique-t-elle tout ce remue-ménage de mauvais aloi ?

Mohamed Larbi Bouguerra


 

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2 Commentaires
Les Commentaires
momo - 23-02-2021 18:30

C'est un article à charge, malheureusement, le danger de l'islam politique en France ou ailleurs d'ailleurs est une réalité dont les conséquences sont déjà catastrophiques pour la cohésion d'un peuple. Pour régler ce problème sous la pression de la population ,l'état intervient là ou les musulmans de France était incapable de s'organiser et d'essayer d'éradiquer cette maladie de l'islam qui est l'islamisme avec son lot d'attentat et des massacres des innocents. Quand à l'islamo-gauchistes c'est une réalité et les 800 protestataires font partie de l'extrême gauche qui ont perdus les ouvriers et se rabattent sur les musulmans.

Habib Kraiem - 23-02-2021 22:44

Article admirable, époustouflant.

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