News - 07.01.2021

Mohamed Larbi Bouguerra: Vaccins anti-Covid, requins et huile d’olive

Mohamed Larbi Bouguerra: Vaccins anti-Covid, requins et huile d’olive

M. Kais Saïd a demandé, dans une intervention devant le Conseil de Sécurité de l’ONU, le 6 juin 2021, que la solidarité pleine et entière joue entre les nations s’agissant des vaccins contre le virus de la Covid-19.

Les Chinois, les Russes, Pfizer, Moderna, Oxford… ont chacun mis au point un vaccin contre ce virus qui contamine, à l’heure actuelle, presque l’Humanité dans son ensemble et qui ne cesse de muter. Point commun de toutes ces préparations : comment se passer du squalène du requin comme adjuvant ?

Et si la réponse se trouvait chez l’arbre d’Athéna, notre olivier national dont l’huile vient d’être élue «produit de l’année» en France et qui affiche zéro pesticides (La Tribune Afrique, 6 janvier 2021) ?

Place aux adjuvants

Les adjuvants sont des composés chimiques qui stimulent la réponse immunitaire de l’organisme au principe actif d’un vaccin. Le squalène joue un rôle important comme adjuvant.

La source la plus riche en squalène le plus pur est le foie des requins - et tout particulièrement les espèces vivant dans les eaux profondes de l’océan. L’emploi premier du squalène est en cosmétique, sous forme de squalane*.

Les défenseurs de l’environnement, les fournisseurs de squalène ne provenant pas des requins et certains scientifiques affirment que les producteurs d’adjuvants pour les vaccins comme Merck, GlaxoSmithKline, KGaA et Novartis devraient laisser les requins tranquilles et s’adresser plutôt à d’autres sources pour s’approvisionner en squalène. Le directeur exécutif de l’ONG Shark Allies (Les alliés des requins), Stefanie Brendl, affirme : « Si l’océan vous tient à cœur, vous devez ménager les requins. » Certaines espèces de requins sont classées, en effet, comme « espèces en danger ». (Lire Melody M. Bomgardner, Chemical and Engineering News, ACS, 7 décembre 2020)

Se passer des requins?

La firme de biotechnologie californienne Amyris a développé une voie semi-synthétique qui fait appel à la fermentation du sucre par des microorganismes génétiquement modifiés. Son président, John Melo, est d’avis que le squalène n’est plus autant utilisé étant donné ses difficultés d’accès et son coût élevé.

L’olivier entre en jeu

Le squalène peut être extrait et purifié à partir des résidus de l’extraction de l’huile d’olive - notre « fitoura » nationale, par exemple. Ces deux sources durables - sucre et olive - ont fait quelques percées dans l’industrie des cosmétiques mais ne se sont pas hasardées dans la chaîne d’approvisionnement pharmaceutique, très réglementée comme chacun sait.  A l’heure actuelle, le squalène des requins est un adjuvant dans les vaccins contre la grippe contenant des protéines virales, des fragments de virus ou un virus désactivé. Des douzaines de vaccins anti-Covid-19 sont en voie de développement et cinq parmi eux utilisent du squalène. Cependant, d’après l’OMS, les vaccins à ARN messager de Pfizer et de Moderna n’y font pas appel. Un seul fabricant cependant, GSK, s’attend à ce que son vaccin contenant du squalène soit approuvé et distribué. Il se prépare à fournir des adjuvants pour un milliard de doses dans le cadre de ses partenariats avec les producteurs de vaccins tels Sanofi, Medicago, Innovax… Bien qu’intéressé par le squalène d’autres provenances que les requins, GSK ne sera pas prêt à temps, semble-t-il- s’agissant de l’épidémie du Covid-19.

Le squalène de foie de requin est habituellement utilisé avec parcimonie et on le réserve souvent aux doses administrées à des personnes âgées ou à des enfants - donc des patients ayant des réponses immunitaires faibles.

Les investissements dans la bio-production du squalène pourraient signifier que davantage de vaccins bénéficieraient d'adjuvants contenant du squalène.

Si le squalène était abondant, les fabricants de vaccins pourraient utiliser sa qualité de renforcement (booster) du système immunitaire pour diminuer la quantité de l'ingrédient actif du vaccin, appelé antigène, dans chaque dose. L’économie d'antigène faciliterait la production rapide de vaccins et résoudrait les difficultés que rencontrent beaucoup de pays à l’heure actuelle pour s’approvisionner en vaccin sur le marché - surtout dans les pays du Sud.

De plus, les vaccins contenant moins de protéines ou de virus sont moins susceptibles de provoquer des effets secondaires importants (allergies, chocs anaphylactiques…). Enfin, lorsque des adjuvants à base de squalène sont ajoutés, ils contribuent à stabiliser la protéine ou le virus, de sorte que le vaccin peut être stocké et expédié sans congélation. Ce qui est très important sur le plan pratique, évidemment. Et notamment dans les pays du Sud chauds, bien entendu.

Mais il est légitime de se demander : Comment l'huile de foie de requin s'est-elle retrouvée dans les vaccins ?

Jusque dans les années 1980, les adjuvants de vaccins contenaient de l'huile minérale, facile à obtenir mais non biocompatible.

En fait, les scientifiques ont évalué une longue liste de lipides naturels pour en trouver un qui stimule la réponse du système immunitaire - tout en étant plus facile à tolérer. Et il se trouve que le squalène a fait l'affaire.

Les chercheurs en vaccinologie ont appris que, pour que le squalène puisse faire son travail de renforcement du système immunitaire, il doit être délivré sous la forme de nanogouttes émulsifiées par un phospholipide ou un tensioactif non ionique. Un exemple : l'adjuvant AS03 de GSK, par exemple, contient du squalène, de l’α-tocophérol et du polysorbate.

Pour produire du squalène pour les vaccins, l’entreprise Amyris (Emeryville, Californie) met au point son procédé de mise à l'échelle du squalane, la forme hydrogénée du squalène utilisée dans les cosmétiques. Elle alimente en sucre de maïs ou de canne à sucre brésilienne un microbe modifié pour produire du farnesène, un sesquiterpène. De là, Amyris utilise la synthèse chimique pour produire du squalène ou du squalane. Elle fournit du squalane aux fabricants de cosmétiques et l'utilise dans sa propre ligne de produits de soins dermiques et de bien-être.

C'est également par la voie des cosmétiques que la société française Sophim, établie à Peyruis (Alpes de Haute Provence) spécialisée dans les ingrédients naturels comme le « phytosqualane », s'est lancée dans le commerce du squalène. Son plus gros marché a toujours été les cosmétiques, mais depuis la pandémie de grippe porcine H1N1 de 2009, elle vend du squalène dérivé de requins à l'industrie pharmaceutique.

Au cours des 15 dernières années, l'industrie cosmétique européenne a abandonné les squalanes de requin. Sophim a donc augmenté sa capacité de production du squalane d'origine végétale en extrayant le squalène de sous-produits issus de l’extraction de l’huile d'olive et en l'hydrogénant. Le distillat contient de 3 à 10 % de squalène. On estime à environ 1000 tonnes par an le marché du squalane d'huile d'olive.  Sophim a des usines en France et à Alméria en Andalousie.

Aujourd'hui, Sophim travaille à la purification du squalène de l'huile d'olive pour répondre aux normes pharmaceutiques. Cela nécessite d'éliminer - avec difficultés - de petites quantités d’impuretés (stérols, tocophérols et paraffines).

Selon GSK, la croissance de la demande d'adjuvants à base de squalène ne portera pas atteinte aux requins. L'entreprise affirme que son fournisseur, qu'elle ne veut pas nommer, ne fait pas appel aux requins inscrits sur la liste des espèces menacées de la CITES, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction.

L’ONG « Shark Allies » affirme que le commerce mondial des parties de requins - comme les ailerons dont la cuisine chinoise est friande - n'est pas transparent, et qu'il n'est peut-être pas possible de prouver que le squalène provient d'une population ou d'une espèce de requins en bonne santé. "Chaque produit qui utilise des dérivés provenant de requins contribue à la capture de 70 à 100 millions de requins par an", dit-elle.

L’olivier pourrait donc sauver les requins.

Ressource nationale tunisienne, l’olivier est insuffisamment exploité. L’Université, l’Office de l’huile, les agronomes…devraient s’intéresser un peu plus à cette richesse que nous devons sortir des chemins battus.  Les résidus comme la fitoura devraient être valorisés plutôt qu’abandonnés empestant les routes entre l’Enfida et Sousse ou à Sakiet Ezzit. En Espagne, la vingtaine de province sont dotées chacune d’un centre de recherche dédié à l’arbre d’Athéna. Prenons-en de la graine et encourageons nos jeunes et nos chercheurs à exploiter les bienfaits de cet arbre béni.

Nos ancêtres avaient coutume de dire que cet arbre cité dans le Coran est remède à toute incommodité. L’actuelle pandémie vérifie cette assertion : le squalane est nécessaire à la fabrication du vaccin et l’olivier répond, une fois de plus, présent !

Mohamed Larbi Bouguerra
Professeur honoraire de chimie à la faculté des sciences de Tunis
Ancien attaché assistant à la faculté de Médecine de Paris

* Chimiquement, le squalène est un hydrocarbure insaturé. Il est transformé en hydrocarbure saturé par hydrogénation complète qui donne le squalane.
 

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