News - 15.11.2020

Riadh Zghal: Lutter contre la corruption, est-ce possible ?

Riadh Zghal: Lutter contre la corruption, est-ce possible ?

Par Riadh Zghal - Aujourd’hui rares sont les politiques, même les corrompus avérés, qui ne déclarent pas leur volonté et leur engagement ferme dans la lutte contre la corruption. On peut être tenté de les croire car cela correspond à une vraie aspiration citoyenne, du moins pour une partie de la population. Cependant, tout porte à croire que cela n’est pas possible vu le système politique et de gestion administrative des affaires publiques, vu aussi que l’approche annoncée s’appuie sur les symptômes du mal et non sur ses origines.

Les origines sont multiples. Pour les identifier, il faudra d’abord s’interroger pourquoi la corruption a trouvé dans la structure sociale, la structure politique et la gouvernance de notre pays un terrain propice à son expansion ?

Pourquoi la corruption s’est-elle propagée, infestant tous les domaines de l’activité sociale et économique et plusieurs institutions publiques et privées ? La transition politique a-t-elle contribué à cette expansion sachant que le phénomène était déjà là bien avant janvier 2011 ?

Dans un livre publié en 1953, Robert K. Merton avait énoncé ce qu’il avait appelé un «théorème» sociologique :

«Est condamnée à l’échec toute tentative faite pour éliminer une structure sociale existante sans fournir les structures de remplacement adéquates, c’est-à-dire capables de remplir les fonctions précédemment assurées par l’organisation abolie». Et il ajoute : «Lorsqu’une réforme politique se limite à la tâche manifeste de mettre les canailles à la porte, elle n’est guère que de la magie politique… Rechercher un changement social sans reconnaître ouvertement les fonctions manifestes et latentes remplies par l’organisation à transformer, c’est procéder à des rites sociaux plutôt qu’à un social engineering.»

Il semble que ce théorème se vérifie manifestement dans notre pays, au vu de la situation actuelle: un Etat tellement affaibli, une structure politique émiettée et déliquescente, une perte de valeurs, un manque de confiance généralisé. Tout cela constitue un cocktail explosif qui ébranle la cohésion sociale et ouvre des avenues à la corruption. Aujourd’hui et depuis 2011, la société surfe sur un régime de «déception continue» selon les termes du philosophe français Alain Badiou, car des pans entiers du pouvoir ont été accaparés par des aventuriers et des apprentis politiciens dont le principal trait de caractère est l’avidité d’argent et de pouvoir.

Embourbé dans ses problèmes et voyant que sa condition de vie ne cesse de se détériorer, le citoyen en vient à la conclusion que la classe politique ne se soucie guère de l’intérêt général. Alors, ne trouvant pas le moyen de satisfaire ses besoins à travers les voies légales, il va en chercher d’autres disponibles hors de la légalité, sinon en détournant soi-même la loi. Ainsi, s’ajoutent au stock de corrompus à la base, une horde de corrompus et des corruptibles qui les font vivre ; une croissance directement proportionnelle à l’inefficacité de l’Etat.

Le mal qui s’est diffusé dans toutes les structures et tous les secteurs se nourrit d’autres facteurs favorables. Parmi ces facteurs, l’échec de la justice transitoire qui a moins servi à une réconciliation nationale qu’aux rackets et aux règlements de comptes, l’économie de rente qui préserve les intérêts d’une oligarchie intouchable, l’arsenal juridique pléthorique dont certaines prédispositions remontent à la période beylicale, le manque de moyens humains et matériels de contrôle des contrevenants, d’où l’impunité des fauteurs et, cerise sur le gâteau, l’absence de volonté politique au niveau des trois sommets du pouvoir à œuvrer pour une véritable réforme en profondeur qui fera bouger les lignes.

En conséquence, la conclusion qui s’impose à nous est la suivante : le discours sur la lutte contre la corruption est trompeur ; éradiquer la corruption dans l’état actuel des choses est quasi impossible. Tant que l’Etat et les forces vives opérant dans la légalité sont incapables de répondre aux besoins vitaux, éducatifs et de santé des citoyens, ce sont les services offerts dans l’illégalité qui prospèreront. La conséquence la plus grave à craindre dans ce climat social morose et anomique du fait du fonctionnement morbide de la machine politique, en l’absence de valeurs partagées et de confiance dans les institutions, c’est la menace d’une déstructuration de la société dans son ensemble qui prévaut. Cela ne veut pas dire que la société constitue, sans la corruption, un bloc compact de personnes unies et solidaires. Toute société est diverse, traversée par des différences et des conflictualités, mais dispose d’un liant qui réside en un sens partagé de ce qui est commun. Ce liant, c’est une histoire commune, un territoire, une langue, un mode de vie et bien d’autres aspects de la vie commune qui nourrissent le sentiment d’appartenance de chacun à cette société, à ce pays. Par manque d’un «agir communicationnel » qui éveille ce sentiment d’appartenance, le liant social s’effiloche et on oublie le sens du patriotisme alors que comme disait l’Américain Calvin Coolidge : «Le patriotisme ce n’est pas compliqué ... C’est prendre soin de soi-même en prenant soin de son pays».

R.Z.

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