Opinions - 04.05.2019

Riadh Zghal - L’alliance entre partis : quel mode d’emploi ?

Riadh Zghal - L’alliance entre partis : quel mode d’emploi ?

Parce que la multiplication des partis en rangs dispersés a un coût, beaucoup appellent de leurs vœux l’alliance de ceux qui se déclarent modernistes. Mais en sont-ils capables ?

Pour s’allier, il faut d’abord un motif, puis la capacité de céder une partie de sa liberté, la reconnaissance de quelque chose de commun qui mérite que l’on s’y investisse tout en explicitant et en admettant les différences entre les candidats à l’alliance. Sans cela, toute alliance risque d’être inefficace et éphémère.

L'alliance peut également s’articuler sur une volonté d’éloigner un danger commun, ce qui, non plus, n’assure pas sa durabilité. On a vu comment les révolutions génératrices de solidarité entre tous, sans distinction, sont suivies par des divisions aboutissant souvent à de dramatiques guerres civiles. On a vu également comment le parti Nidaa Tounes, qui s’est présenté comme l’antithèse d’Ennahdha et a gagné les élections de 2014, s’est désagrégé et a éclaté en plusieurs partis concurrents. Et Nidaa Tounes n’est pas le seul dans ce cas, seulement sa chute a été fracassante du fait de sa position majoritaire à l’ARP et que son fondateur a été élu président de la République. La leçon que l’on peut tirer de cette expérience négative à plus d’un titre est la suivante : lorsqu’un parti se constitue en réunissant ceux qui s’accordent sur un ennemi commun, on reste aveugle sur tout ce qui les sépare qui est parfois plus important que ce qui les unit. Le parti se désagrège rapidement sans attendre la fin du mandat pour lequel ses représentants ont été élus. Engager une alliance entre partis se fait avec l’illusion que chacun des partis constitue une entité homogène, ce qui est rarement le cas.

C’est souvent la présence d’un leader fort qui favorise une telle illusion. C’est pourquoi, avant de s’engager dans une alliance, le parti ne doit pas sous-estimer les contradictions et les querelles intestines qui le traversent. De telles contradictions ont donné lieu à ce qu’on a désormais appelé le tourisme politique de nos députés. Dans un livre intitulé  Uneasy Alliances, Paul Frymer  rapporte que le Parti démocrate était divisé durant les années précédant l’élection du président Bill Clinton. Le président du parti de l’époque, Ron Brown, a exhorté les leaders des trois courants idéologiques en présence à s’unir autour de la candidature de Clinton qui semblait le seul à pouvoir menacer la victoire du candidat républicain George Bush. Le comité démocratique national s’est transformé en une organisation effective de campagne électorale groupant des modérés et des conservateurs. Il a fourni le financement et autres moyens de communication dans les médias et de consultations permettant de concourir efficacement contre les adversaires républicains.

De cette expérience, naturellement non reproductible à l’identique, on retient que l’homogénéité et la solidarité au sein d’un parti ne vont pas de soi mais résultent de l’initiative d’un leadership fondée sur une vision claire : repérage d’un candidat crédible et réunion des moyens  renforçant ses chances de succès aux élections. Le passage du pouvoir d’un parti unique à une transition démocratique aiguise les appétits de plusieurs pour se saisir du pouvoir. D’où la ruée vers la création de partis. On en a plus de 200 aujourd’hui en Tunisie — et ce n’est pas terminé ! Lorsque le multipartisme a été instauré dans les années 1990 en République démocratique du Congo, quatre cents partis ont été créés. Combien ont survécu ? Combien survivront ?

La question des alliances se pose avec insistance en cette année électorale. Souvent les intentions déclarées ou implicites sont l’obtention du maximum de suffrages. Mais on a vu avec l’expérience de Nidaa Tounes que l’association de «tout venant» non seulement n’est pas durable mais elle est néfaste pour la gouvernance et la stabilité du pays. Elle a généré des guerres de position et un effritement en l’absence d’engagement de tous envers un projet de société consensuel qui aurait constitué un liant unificateur solide. Beaucoup de partis se déclarent aujourd’hui modérés, modernistes, bourguibistes, centristes… sans pouvoir s’unir autour d’une vision commune ni d’un projet commun. L’initiative de l’ancien ministre Mabrouk Kourchid et son équipe qui, au lieu de s’inscrire dans une logique partisane propose d’adhérer à une charte de cinq points, constitue une tentative de rassemblement autour de l’intérêt général défini par cette charte. Mais une charte, cela reste des principes beaucoup trop généraux pour attirer des foules et encore moins des partis prétendant disposer chacun de sa propre vision et surtout de son propre leader!

Principes généraux, idéologies, tout cela ne peut rassembler, surtout si cela vient d’un groupe ou d’un parti qui, nécessairement, ne dispose pas de l’autorité morale pouvant amener les uns et les autres à se départir soit de leur ego, soit de leur radicalisation idéologique. Tant que l’on ne s’est pas entendu sur ce qui représente l’intérêt commun, ni sur les politiques nécessaires pour le servir, tant qu’on n’a pas admis que cela ne peut se transformer en légitimité morale que par la participation d’acteurs politiques et sociaux crédibles, tant qu’il n’y a pas une organisation et une force sociale qui soutiennent les choix stratégiques et assurent l’efficacité de l’action que recherche le peuple, il n’y aura pas d’alliance qui tienne.  Atteindre un tel degré de consensus sur les stratégies et les moyens d’action sur le court et moyen terme (un mandat de 5 ans) n’est à la portée ni d’un groupe de personnes si bien intentionné soit-il, ni à celle de partis qui tentent de se rapprocher au sommet. C’est une opération complexe qui nécessite un soutien technique indépendant, extérieur aux partis. Les solutions aux problèmes complexes sont également complexes car elles nécessitent, en plus du bon sens et de la sagesse, la mobilisation d’un savoir spécialisé. Le métier de coach est par exemple né d’un tel besoin de gestion du collectif.

Le pays a besoin d’une nouvelle solidarité politique, la démocratie a besoin de partis, elle a aussi besoin d’un leadership crédible pour affronter trois grands risques : l’affairisme religieux qui se répand comme un cancer et est en train d’atteindre les nouvelles générations, le retour à l’autoritarisme et enfin l’anarchie génératrice de décomposition des institutions et de la société. L’inflation de partis ne peut protéger la nation de ces terribles menaces (ce que le pays a expérimenté successivement avant 2011 et après). Il y a nécessité de recentrer des valeurs démocratiques et de couper avec ce que le philosophe Marcel Gauchet appelle «l’anomie démocratique». Pour cela, l’alliance entre des acteurs sociaux et des partis réellement engagés dans la recherche de l’intérêt du plus grand nombre de nos concitoyens s’impose. Il y a urgence car si rien ne se fait dans ce sens, il y a à craindre fort pour notre peuple présentement et dans le futur.

Riadh Zghal

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1 Commentaire
Les Commentaires
Youssef Kraiem - 05-05-2019 08:12

Objectivement,le parti politique se forme autour d'une idéologie qui génère un programme lequel ne peut servir que les intérêts de ses concepteurs,pas forcément l'intérêt général. Même l'Alliance entre partis ne peut aspirer à l'intérêt général et engendre le risque d'instabilité aux niveaux des partis et du pays.La conception de Bourguiba mérite à ce titre d'être évoquée, l'intérêt général est à rechercher au niveau des organisations nationales,patronat,travailleurs et non travailleurs,agriculteurs,femmes...qui se réunissent au sein d'un seul parti politique pour servir le pays sous une direction collégiale investie démocratiquement par le peuple.C'est à ce prix que l'on mettrait un terme au gâchis que nous vivons actuellement.

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