News - 30.03.2019

Mohamed Larbi Bouguerra - 30ème sommet arabe de Tunis : «aujourd’hui, c’est dur, c’est très dur d’être arabe»

Mohamed Larbi Bouguerra: 30ème sommet arabe de Tunis : «aujourd’hui,  c’est dur, c’est très dur d’être arabe»

Emprunté à feu Salah Garmadi, ce titre est celui  d’un article paru dans la revue Alif en 1962. Il était déjà très dur d’être arabe !

Qu’aurait dit notre cher et regretté linguiste face à une  Syrie exsangue et à la destruction de l’incomparable Alep, face aux impitoyables bombardements  infligés aux enfants du Yémen, face à l’inhumanité et à la guerre d’extermination que vit Gaza - où du 30  mars 2018 au 21 mars 2019, 29 000 Palestiniens ont été blessés et 194 tués*- et face aux graves troubles qui émaillent la vie des Libyens, des Cisjordaniens, des Soudanais et des Irakiens ? Qu’aurait-il dit face au déni des droits élémentaires de l’être humain dans tant de pays arabes ? Qu’aurait-il dit face à l’indigence continue de nos institutions scientifiques et de nos laboratoires ?

Dans ce bel article, Garmadi écrit que « Il [l’Arabe] veut les quanta, les isotopes, les transfusions, les vitamines, les turbines, les électrons et les élections. Il veut la gravitation et la transmutation….  Il veut les spoutniks, les luniks et les surveyors. »

Il est clair que les Arabes sont encore loin de maîtriser quanta, isotopes, spoutniks et autres surveyors. Depuis cet écrit de Garmadi, les Arabes ne peuvent compter qu’un seul et unique Prix Nobel de science : le chimiste Ahmed Zuwail qui, bien qu’ayant obtenu sa maîtrise à la Faculté des Sciences d’Alexandrie, a soutenu son doctorat aux Etats Unis où il a conduit toutes les recherches qui lui ont valu le prestigieux prix suédois en 1999.

Aujourd’hui, la Chine qui a rejoint le concert des nations en 1947 - après une bien humiliante colonisation occidentale et nippone - est devenue la deuxième puissance mondiale et s’est lancée à la conquête de la lune en réalisant un exploit scientifique et technique inédit : elle a fait alunir un engin sur la face cachée de notre satellite. 
De son côté, l’Inde a abattu un satellite en orbite basse avec un missile le 27 mars dernier dans le cadre de la « Mission Shakti’ (« force » en hindi). Elle devient ainsi la quatrième nation du monde à réussir cette prouesse technologique après les Etats-Unis, la Chine et la Russie.

Prouesse scientifique et technique voulue par les caciques en place… qui négligent pourtant l’approvisionnement en eau potable d’une grande partie de la population dont le cinquième (400 millions) n’a  pas accès à des latrines correctes ! Pareils en somme à  tous ces Etats arabes qui se dotent d’arsenaux faramineux auprès des Etats Unis, de la France, de l’Allemagne… alors qu’ils dépendent de l’étranger pour nourrir leur population ! Les pays arabes riches - voire moins riches - se limitent en fait à l’acquisition d’équipements, de sous-marins et de bombardiers qu’il est cependant interdit d’utiliser contre Israël !

Comment expliquer le retard arabe ?

L’historien et journaliste libanais Samir Kassir - assassiné à la voiture piégée en 2005 - attribue « à la richesse pétrolière un effet dévastateur sur les équilibres internes du monde arabe ». Il relève que la manne des hydrocarbures se trouve « dans des pays qui ont été en marge de l’histoire arabe depuis des siècles... La manne pétrolière a donné davantage de moyens aux élites gouvernantes de ces pays pour chercher à agir dans le champ des relations interarabes. Si bien qu’avec la richesse pétrolière le monde arabe a été rattrapé par l’arriération des pays de la péninsule Arabique… [L’Arabie Saoudite] a surtout nivelé par le bas le reste du monde arabe. Et le visage invisible des femmes qu’elle a réexporté un peu partout en est la plus triste preuve. » (« Considérations sur le malheur arabe », Actes Sud-Sindbad, Arles, 2004, p. 86-87).

Cette manne pétrolière expliquerait peut-être ce silence des leaders arabes sur la question climatique lors de ce Sommet. La région arabe souffrira pourtant beaucoup du réchauffement avec des températures infernales et une sécheresse exceptionnelle. Tout le monde sait depuis les travaux du GIEC que nous allons vers un monde décarboné. En a t-on parlé à Tunis ?… face aux pays du Golfe et des autres producteurs d’hydrocarbures ?

Salah Garmadi n’a pas vécu la Révolution de son pays. Il n’a pas vu ces magnifiques marches pour la démocratie et le respect des citoyens en Algérie mais un rien prophétique, il concluait ainsi son article: « Et  pourtant le monde arabe renaît, revendique, à travers toutes sortes de contradictions, sa place parmi les nations, fabrique chaque jour davantage les instruments de sa libération et de son progrès. Il émerge lentement à la surface de l’Histoire dans les mille et un vagissements d’un accouchement avec douleur. » Garmadi est ainsi aux antipodes de « l’avènement du temps de malheur et de l’abandon de la modernité » qu’entrevoyait  Samir Kassir.
Alors que le Sommet arabe clôt ses travaux à Tunis, il est clair qu’encore « aujourd’hui, c’est dur, c’est très dur d’être arabe. »

Si les Arabes veulent rejoindre les exploits scientifiques et techniques de la Chine et de l’Inde et cesser de dépendre des autres, il faudrait qu’ils décident d’installer dans notre capitale non le « Conseil des ministres de l’Intérieur arabes » - comme c’est le cas actuellement - mais plutôt  un  « Conseil des Sciences, de la Technologie et de la Climatologie arabes »! Peut-être ainsi feront-ils enfin des efforts communs pour assurer ne fusse que leur sécurité alimentaire commune et leur approvisionnement en eau.

Mohamed Larbi Bouguerra

*Oliver Holmes et Josh Holder, The Guardian (Londres), 29 mars 2019.
Lire aussi “Appel aux citoyens du monde pour la transparence sur les crimes israéliens à Gaza » Libération, 25 mars 2019.

 

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5 Commentaires
Les Commentaires
ridha - 30-03-2019 19:45

Notre handicap est plus profond c’est d’avoir la gueule d’un arabe : sais-tu ce qui a empêché les arabes d’avancer ? « sellekha : débrouillardise » ou arrange-toi pour être médiocre, c’est le contraire de la rigueur, tu préfères bâcler, il faut toujours contrôler le boulon que tu as mal serré, on ne peut le qualifier que de travail arabe, c’est gratifiant quand tu es entouré de paumés, d’amochés et de handicapés. Notre deuxième handicap le résultat de ta perte d’identité, de ton islam et de ta langue maternelle c’est le manque d’ambition : tu es petit, tu voies petit, tu restes petit, tu vieillis avant l’âge et tu crèves petit. Solution commode : pas la peine de faire travailler ton cerveau qui ne fait que rêver d’un amour fou ou gagner beaucoup d’argent avec le risque de se terminer dans le caniveau d’une ruelle des quartiers chauds dans un port d’Italie, ou surpris de fatigue au bas d’un escalier que les gens ne viennent même plus ramasser

Touhami Bennour - 31-03-2019 02:28

Le probème est mal posé, Monsieur Larbi. Les enfants arabes peuvent apprendre les Qantas et les isotopes et même aller sur la lune. Il faut abandonner le dilemme "socialiste capitaliste" et aller directement vers le capitalisme, la Chine et l´Inde l´ont fait. "Deng Tsao Ping a dit : peut importe que le chat soit noir ou blanc pourvu qu´il atrappe la souris." Vous oubliez l´essentiel Monsieur. La Chine est Capitaliste et l´Inde aussi, et c´est notre grand problème. Il fau faire un saut vers le capitalisme. et avec de grande firme privée, comme "ali baba en Cine ou comme une compagnie maritime danoise "Maersk" qui domine 60 % du commerce maritime mondial. Il est plus facile pour un pays arabe d´obtenir un "prix Nobel que de construire une grande firme. Est-ce que ce n´est pas sur l´économie que la pays a buté" ?. Les Tunisiens aiment l´argent et la gauche voudrait l´engager dans une voie sans de l'argent.

BOUGUERRA MOHAMED LARBI - 02-04-2019 14:49

A M. Bennour Problème mal posé? Les Arabes hélas n'ont pas encore appris les quantas, théorie avancée en 1900 par Max Planck! Seul le regretté Abdus Salam - un musulman ahmadi contraint de quitter son pays le Pakistan- a décroché un Nobel de physique en 1979. Rien ne prouve que les Arabes préparent ou sont en mesure d'aller sur la lune! Cessons de rêver et ouvrons les yeux! La question ne relève ni du capitalisme ni du socialisme. Elle relève de l'intérêt accordé par les politiques-décideurs, les faiseurs d'opinion, les intellectuels….à la Science, à ses hommes et femmes et à ses réalisations. Dans notre sphère, on CONSOMME des applications scientifiques et techniques: téléphone portable, satellites de télécom', armes, gaz de combat, technologie d'écoute, de surveillance et d'espionnage. Point barre!

C. Hourcadette - 02-04-2019 21:27

Mohamed Larbi BOUGUERRA fait une analyse lucide des vrais défis que les pays arabes doivent d’urgence relever pour survivre dans une véritable indépendance économique et politique. Scientifique et philosophe, il dénonce les politiques à court terme pour appeler les chefs d’états arabes à leur responsabilités afin qu’ils agissent. Il exprime sa confiance en la capacité des scientifiques et des techniciens arabes à trouver en eux mêmes les solutions pour affronter les menaces du réchauffement climatique. Critique et optimiste. Clarté de la pensée.

kefi - 02-04-2019 21:44

Les Sciences, de la Technologie et de la Climatologie arabes sont loin d’être les priorités des gouvernements/décideurs arabes. Les rares expériences scientifiques que peuvent voir les élèves dans les collèges et lycées sont des efforts personnels de certains professeurs pour les motiver. Est-ce suffisant pour les convertir aux sciences? Comment va-t-on progresser dans les domaines scientifiques avec des budgets de plus en plus restreints: une thèse de 3 ans peut durer en Tunisie 6 ou 7 ans à cause d'un manque en réactifs chimiques et en matériel de laboratoire... "Aujourd'hui c'est très dur d’être arabe", mais c'est encore plus dur d’être un scientifique arabe!

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