News - 03.07.2017

Regard sur l’œuvre de Faysal Chérif : Histoire de l’Armée Tunisienne

Regard sur l’œuvre de Faysal Cherif : Histoire de l’Armée Tunisienne

A l’occasion du 61eme anniversaire  de l’armée tunisienne, l’historien  Faysal Chérif a publié son nouveau livre intitulé ‘’ Histoire de l’armée tunisienne de l’indépendance : la genèse 1956-1960’’.  Les amateurs des sciences sociales et particulièrement ceux qui s’intéressent à l’histoire militaire  s’impatientaient de découvrir cette œuvre  annoncée quelques jours seulement avant sa sortie. Le livre contient 302 pages auxquelles il faut ajouter 64 autres en annexes qui illustrent des photos et des références. Le premier et le second  chapitre évoquent dans la clarté  les préliminaires de la constitution de l’armée nationale.  Le chapitre III aborde les fondements juridiques, l’organisation et nous présente la liste des  officiers chargés de l’encadrement du premier noyau de l’armée. Le chapitre IV retrace les difficultés   rencontrées dans sa constitution  dans les domaines des ressources humaines et dans l’équipement. Le chapitre V s’attarde longuement sur la première promotion des officiers avant de finir avec la crise franco-tunisienne dans le domaine de la coopération militaire. Un volume impressionnant d’événements qui, à mon avis, ne sont  utiles que pour meubler la genèse au lieu de la forger.

« Si on envisage l’histoire dans sa forme extérieure, elle sert à retracer les événements qui ontmarqué le cours des siècles et des dynasties…. » Dans ce cas, pour relater la genèse de l’armée tunisienne durant la période 1956-1960, l’historien se limitera à puiser des informations dans différentes références et les présenter au public qui s’enorgueillira  de leur lecture. Les rares informations précieuses  qui retiennent l’attention dans ce livre  n’ont pas reçu un élan suffisant pour les valoriser. On pourrait citer le terme Reconstruction de l’armée qui est plein de sens. Reconstruire ou mieux Ressusciter (Baath en arabe) est le concept désiré par les militaires tunisiens. Le terme Reconstruction incarne au mieux les traditions et la grandeur de cette institution à travers un passé glorieux et relate une valeur morale inestimable qui contribue à cimenter le patriotisme et la loyauté. La subordination du militaire à l’autorité civile est le deuxième concept évoqué au sein de l’œuvre cette armée mais n’a pas été bien développé . L’auteur semble dire que les «qualités intellectuelles modestes»  des premiers officiers (ceux reversés de l’armée française) et leur faible personnalité leur faisaient exécuter n’importe quel ordre des gouverneurs. Pourquoi l’armée n’a pas été ménagée comme la Garde Nationale ? Et pour quelles raisons le Secrétaire général de la Défense M. Chelbi qui a été présenté comme une personnalité maîtresse avant le 25 juillet 1957, n’a pas été reconduit dans ses fonctions ? Et d’autres questions aussi mériteraient plus d’analyse.

« Mais  si on regarde ensuite les caractères intérieurs de la science historique, ce sont l’examen et la vérification des faits, l’investigation attentive des causes qui les ont produits, la connaissance profonde de la matière dont les événements se sont passés et dont ils ont pris naissance…. »

Les réponses aux questions citées plus haut pourraient motiver le lecteur et l’intéresser davantage à la lecture du livre. Mais la connaissance profonde de la matière, du domaine de l’armée, est un préalable pour s’aventurer dans une recherche aussi précise. L’armée n’est pas seulement un inventaire de moyens et de documents juridiques. On pourrait énoncer pas moins d’une douzaine de points qu’il importe d’examiner pour présenter une analyse historique de l’évolution d’une armée.

  • Les Traditions : l’armée nouvelle de l’indépendance est issue d’une tradition qui remonte à une date plus éloignée que 1956 et qui s’inscrit aussi en dehors du territoire national. en effet, les cadres, la législation, les équipements, la formation des hommes et la manière de combattre des unités sont issus de traditions coloniales  françaises. Ce premier élément mérite un important développement dans tout recueil de l’histoire de l’armée. Il ne suffit pas d’exposer les faits mais de les analyser.
  • L’organisation : l’œuvre présente très peu d’informations sur l’organisation de l’armée. le diagramme en page 126 ressemble plus à un labyrinthe et n’apporte aucune indication claire sur l’organisation. Les liaisons de commandement prêtent à une grande confusion.
  • Les hommes : l’auteur a bien analysé les informations relatives aux officiers,  leur niveau intellectuel, leur origine et leur valeur morale (patriotisme). Par contre aucune indication concernant les sous officiers et les hommes de troupe alors que cette catégorie représente la colonne vertébrale de l’institution.  C’est la composante Exécution et son rôle est primordial dans l’action.
  • Les Equipements : l’analyse a porté sur la quantité et n’a pas présenté  la qualité des armes et des moyens logistiques et leurs caractéristiques techniques.
  • Les conditions de vie : ce domaine a été totalement occulté.
  • Les Activités : l’auteur a  évoqué l’intervention de quelques unités au sud du pays contre les bandes rebelles yousséfistes. Ces informations méritaient une analyse plus profonde. D’abord une investigation, même sommaire,  pour nous éclairer sur l’authenticité de ces faits. Dans l’armée on n’a jamais entendu parler de ces missions. Ce qui a cruellement manqué dans ce domaine qui est le propre même de l’action militaire ce sont les opérations de la jeune armée durant cette période. La bataille de Rémada en 1958, les événements et les incidents frontaliers avec les voisins qui ont influencé le déploiement des unités au plus près de la frontière. Le croquis en page 244 illustre d’une manière exhaustive le déploiement des unités et non le stationnement des troupes comme il a été mentionné. Ce croquis qui vaut mille discours aurait dû être largement commenté. S’il est bien analysé, il serait d’un grand apport historique pour l’histoire militaire tunisienne. 
  • L’Insertion des Fellaghas dans l’Armée : quel est le motif de l’opposition de M. Chelbi et de Bourguiba à  leur intégration au sein de l’Armée ? n’est ce pas pour éliminer toute légitimité historique (la participation à la  lutte pour l’indépendance) de la nouvelle institution ?
  • Le Moral de la nouvelle armée : élément essentiel de la valeur de l’armée. A aucun moment  il n’a  été analysé.
  • La Politique de Défense  et la Doctrine militaire ? aucune référence à ce sujet.

L’histoire militaire est pour l’Armée d’une importance primordiale car elle est une  aide au commandement dans le domaine de l’emploi des forces, de son organisation et des rapports entre l’armée et la nation. Ce sont là les éléments de base qui méritent d’être analysés quand on procède à une recherche scientifique sur la constitution d’une armée.

Mohamed Nafti 
 
 

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1 Commentaire
Les Commentaires
Faysal CHERIF - 25-08-2017 21:22

J'aimerai avoir les références scientifiques de l'auteur et non son grade militaire pour savoir dans quelle discipline scientifique il est spécialisé afin de lui expliquer c'est que c'est qu'une démarche historienne, sinon le débat n'aura aucun sens. C'est un travail académique, je répondrai à des académiciens spécialistes dans le domaine, en l'occurrence historien et de surcroît spécialisé en histoire militaire. Car l'écart est énorme entre la production du savoir qui est l'apanage d'une qualification scientifique reconnue, et la consommation des écrits des autres importante pour le papotage de salons. Merci!

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