News - 26.07.2016

Mohamed Louadi: Quelle est la part des TIC dans le PIB en Tunisie? Bien malin qui le dira

Quelle est la part des TIC dans le PIB?

Dans leurs discours, les ministres ne manquent pas de remarquer que le secteur des TIC contribue actuellement à hauteur de 7% du PIB tunisien. Or un coup d’œil sur le site du ministère des Technologies de la Communication et de l’Economie numérique, nous révèle que la dernière information à ce propos date de 2011, et que cette contribution s’élevait déjà à 13,5% (voir la figure 1). En fait selon ce graphique, cette part avait déjà dépassé le cap des 7% en 2006.

Figure 1. La part des TIC dans le PIB selon le ministère des Technologies de la Communication et de l’Economie numérique(1).

C’est qu’un des critères les plus importants et les plus utilisés pour soit fixer des objectifs, comme cela est le cas dans le 13ème Plan quinquennal de Développement économique et social (2016-2020), soit, évaluer lepassé, est d’utiliser le PIB comme référence.
En fait, et en rétrospective, nous nous rendons compte que la part des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans le PIB a beaucoup fluctué par le passé.
 
Une recherche de la contribution réelle des TIC au PIB s’est soldée par une variation énorme des valeurs entre les différentes sources, annoncées par différentes instances, rapportées par différents organes de presse, ou publiées dans différents rapports (voir la figure 2):

  1. Selon un document promotionnel, intitulé Invest in Tunisia et produit par la FIPA (Agence de Promotion de l’Investissement Extérieur), le secteur des TIC contribue 10 % du PIB en 2008 contre seulement 2,5 % en 2002. Si la première valeur n’est pas en contradiction avec celles du site du ministère, on commence à se demander comment la part d’un secteur aussi prometteur peut être de 2,5% en 2002 et de 3,9% en 2011.
  2. Dans la livraison du 19 octobre 2009 du site en ligne, WebmanagerCenter(2) , on lit que « [l]e secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) a […] permis de maintenir un rythme de croissance élevé et soutenue à un taux de 17,8%, et d’accroître la contribution du secteur au PIB à hauteur de 10% en 2008, contre 9% en 2007 ».
  3. Dans le 11ème Plan quinquennal de Développement économique et social (2007-2011), qui est à notre connaissance le seul ayant consacré une section entière (la sixième) aux TIC, on apprend, à la page 106, que la participation des TIC au PIB était de 8% à la fin du 10ème Plan (2002-2006), comparée à 3 ,9% à la fin du 9ème Plan (1997-2001) et que l’objectif était de l’élever à 13,5% (page 116). De là, on comprend que, peut-être, ce qui est publié dans le site du ministère (Figure 1) ne constitue en fait que des objectifs, du moins pour 2011, et non pas les parts effectives des TIC dans le PIB.
  4. Si on se réfère à la présentation faite au Caire en 2013(3) par le conseiller senior auprès de l’Union Internationale des Télécommunications (UIT)  , l’importance des TIC s’était élevée à 4,13%, 5,27% et 6,43% du PIB respectivement pour les années 2005, 2006 et 2007.
  5. Selon les propos du ministre des TIC de l’époque, tenus le mardi 2 juillet 2013, dans le cadre de la rencontre périodique de la cellule de communication de la Présidence du gouvernement(4)  la part du secteur avait atteint 6,7% en 2012, soit près de la moitié de la valeur affichée sur le site du ministère pour 2011.
  6. Le même journal en ligne ayant rapporté ces faits(5) , rapporte, presque deux ans plus tard, qu’à partir de 2014, et pour la première fois depuis l’indépendance, la contribution du secteur des TIC au PIB a dépassé celle du tourisme. On y ajoute que cette part était de 9%, dépassant en effet celle située à 6-7%, du tourisme. Ayant été divisé par deux en 2013, le taux remonte la pente : de 6,7% en 2013 à 9% en 2015.
  7. Citant des « sources nationales »(p. 23), l’Institut de Perspective Economique du Monde  Méditerranéen, octobre 2014, nous apprend que les taux étaient de 7,1% et 7,6% entre 2011 et 2012(6) .Ces taux n’ont clairement rien à voir avec ceux affichés sur le site du ministère et sont difficiles à interpréter à la lumière de la déclaration faite en 2013 par le ministre à l’effet que ce pourcentage  aurait été de 6,7% en 2012.
  8. Dans une étude de la Banque Mondiale consacrée à la Tunisie datant de mai 2008,on lit que « La croissance des services a fortement bénéficié de l’expansion du secteur des communications(télécoms, centres d’appel, services informatiques, etc.) dont la part dans le PIB atriplé durant cette période, passant de 1.3 à 4.3 pourcent du PIB (figure 1.17) ». La période en question s’étale entre 1995 et 2006. Or en 2006, le site affiche une valeur égale à 8%, près du double du 4,3% évoqué. En plus, la figure 1.17 (notre figure 3) dont il est fait référence montre une valeur à peine supérieure à 2,5%.
  9. Un document intitulé Stratégie industrielle nationale à horizon 2016 - Synthèse de l’Agence de Promotion de l’Industrie et de l’Innovation (APII), nous apprend que « La stratégie nationale prévoit de porter la contribution de ce secteur au PIB de 8% en 2007 à 20 % en 2016 » (p. 31).

 

Figure 2. Les différentes valeurs données à la part des TIC au PIB au fil des années. Les déclarations de M. El Haj Gley, alors ministre des Technologies de la Communicationsont telles que faites en 2012(7).

Quelle pourrait être l’explication?

Pour qu’une part chute de 13,5% à 7%, il fait que le PIB ait considérablement baissé (et que la part absolue des TIC y est restée inchangée), ou que le PIB soit resté inchangé(et que la part des TIC ait effectivement considérablement diminué).

Une autre possibilité serait que l’on comptabilise différentes choses dans ce qu'on appelle communément TIC, ou NTIC, et qui est tantôt « technologies d’information et de communication », tantôt « technologies de l’information et de la communication ».A l’instar de la dénomination du ministère qui est passée de « ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique et des Technologies de l’Information et de la Communication » à « ministère des Technologies de la Communication et de l’Economique numérique ».
C'est le cas lorsqu’en parcourant un rapport du ministère du Développement de l'Investissement et de la Coopération Internationale en date de septembre 2010. On y lit lit, concernant les « Technologies de communication », que leur participation au PIB avait évolué de 15,1% en 2007-2009 à 13,0% en 2010-2014. Encore une fois, ce n’est pas en nous référant aux valeurs du site, que nous pourrons déduire de quoi ce rapport parle.

Qu’entend-on par « Technologies de communication » ? Comment ne pas confondre avec ce dont l’Instance Nationale pour la Réforme de l'Information et de la Communication (NRIC), par exemple, est en charge ? Comment ne pas confondre avec l’Institut de Presse et des Sciences de l'Information dont une des Licences qu’il délivre s’appelle Licence fondamentale en Sciences de l’information et de la communication ?

En 2008, dans un rapport de la Banque Mondiale concernant la Tunisie en date de mai 2008(8) , à la page 41, la figure 1.17 déjà mentionnée (notre figure 3 ci-dessous) nous indique que la valeur ajoutée de « Communication », qu’on comprend, inclut « télécoms, centres d’appel, services informatiques, etc. » (page 39), augmente remarquablement comparée à celles par rapportdu commerce, du transport, des hôtels, cafés et restaurants, des services financiers et diverses autres activités, et que sa part dans le PIB a triplé.

Figure 3. La figure 1.17 du rapport de la Banque Mondiale (2008). Intégration mondiale de la Tunisie - Une nouvelle génération de réformes pour booster la croissance et l’emploi.   

Figure 4. La figure 2 du rapport de la BAD (2011). Tunisie - Document de Stratégie Pays Intérimaire 20012-2013.

Trois ans plus tard, un document de stratégie de la Banque Africaine de Développement consacré à la Tunisie et datant de 2011, la figure 2 de la page 13 (notre figure 4), compare une croissance spectaculaire des « Communications » (ici bel et bien identifiées comme un secteur de l’économie), à celle des industries mécaniques et électriques, le transport, les hôtels, cafés et restaurants, ainsi que les industries du textile, de l’habillement et du cuir (figure 4). La période s’étale de 2000 à 2009 et il est difficile de lire ce qui est affiché en guise d’axe des ordonnées à moins de se pencher vers la figure 14 d’un autre document (voir notre figure 5). Pourtant, ailleurs dans le rapport (figure 13, page 24), on parle bien de TIC et pas de « Communications ».

Figure 5. La figure [14] du rapport de Whiteshield Partnerscommandité par la BERD (2014).

Enfin, dans le rapport de Whiteshield Partners, commandité par la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement (BERD), publié en 2014(9) , on comprend, par similitude des graphiques (figure [14], page 44), que « Communications » correspond bien à ce qu’on appelleraitTIC ailleurs! (notre figure 5).

Dans la version anglaise du même rapport(10) , la même figure (page 41), non reproduite ici, indique bien que la courbe en question concerne les ICT (Information and Communication Technologies).

Tout cela montre à quel point, ce secteur souffre d’un véritable problème définitionnel.

Pour revenir à la question des parts des TIC dans le PIB, note-t-on les mêmes fluctuations dans d’autres secteurs?

Incidemment, et peut-être ironiquement, dans un document de la GTZ intitulé Indicateurs du tourisme durable en Tunisie, on lit, en guise d’explication éventuelle de la chute de la part du tourisme au PIB depuis 1999 : « [l]a forte croissance enregistrée dans les autres secteurs de l’économie tunisienne tels que les industries manufacturières et les technologies de l’information » (p. 7) !

Existe-t-il une source, une base de données, qui fournit systématiquement la part d’un secteur d’activité donné dans le PIB ? Nous ne parlons pas ici de secteur au niveau de l’agrégat (services, manufactures, agriculture), mais bien de secteurs stratégiques tels que le tourisme, la chimie ou les TIC. Quitte à les appeler sous-secteurs.

Car c’est d’un tableau de bord qu’il s’agit réellement. Si nous ne savons pas où nous nous situons, comment savoir où nous allons ? En l’absence de telles informations significatives, il parait difficile de définir des objectifs, des stratégies et des politiques clairs, avec des critères de suivi et d’évaluation, et surtout qui facilitent les comparaisons.

A ce titre une anecdote malheureuse fait que la Tunisie ne s’est pas vue attribuer par le World Economic Forum une valeur pour le NRI (Network Readiness Index) longtemps utilisé dans le marketing de la Tunisie  parce qu’il reflète en quelque sorte le degré de développement TIC d’un pays relativement aux autres pays.Ce qui inquiète ici c’est la raison donnée officiellement à l’effet qu’il n’existe aucune valeur de l’indice NRI pour la Tunisie pour « cause de fortes disparités avec les années précédentes faisant toute comparaison avec les années précédentes impossible »(italiques nôtres).
Avoir des informations précises sur ce qu’est la part des TIC au PIB et surtout comment calculer cette part est nécessaire. De quoi est-ce que le secteur TIC est-il composé exactement ? Quelles sont les parts individuelles de ses composantes (matériel informatique, logiciels, télécommunications, services, ITO, etc.). La vente d’une carte mère est-elle valorisée au même titre que celle d’une imprimante ? Le service du roaming en fait-il partie, ou fait-il encore partie des statistiques de l’exportation des services ?

La question est aussi d’importance parce, parlant de TIC, la détermination et l’obtention de l’information sont au cœur même de la culture numérique y afférente.
Entretemps, à l’issue du deuxième trimestre 2016, sur le site du ministère, et sous le volet Publications, le bilan des réalisations dans le secteur TIC date d’avril 2013. Sous le volet TIC en chiffres, les informations sur l’évolution des principaux indicateurs statistiques pour le secteur des TIC ne dépassent pas le mois de mars 2015 et le bilan des réalisations du secteur des TIC est un rapport sur 2013 avec des perspectives pour 2014.

Mohamed Louadi, PhD
Professeur de l’Enseignement Supérieur
Institut Supérieur de Gestion de Tunis

(1) Mincom (2014). Portail des Technologies de la Communication, Ministère des Technologies de la Communication et de l'Economie Numérique, http://www.mincom.tn/index.php?id=1570, consulté le 4 juillet 2016.

(2) WMC (19 octobre 2009). TIC, Webmanager Center, http://www.webmanagercenter.com/actualite/technologie/2009/10/19/81776/tunisie-indicateurs-tic, consulté le 45 juillet 2016.

(3) Maaref, S. (2013). Positionnement des TICs dans les modèles économiques des pays en développement, Senior Advisor, ITU Regional Office for the Arab States, Séminaire sur les Coûts et Tarifs pour le Groupe Régional Afrique de la Commission d’Etude 3 (SG3RG-AFR) Le Caire, Egypte, 4-5 février 2013, https://www.itu.int/ITU-D/finance/work-cost-tariffs/events/tariff-seminars/Egypt-13/documents/Session10_Maaref.pdf, consulté le 4 juillet 2016.

(4) WMC (3 juillet 2013). Tunisie - TIC: 14% de croissance et un apport de 6,7% au PIB en 2012, Webmanager Center, http://www.webmanagercenter.com/actualite/economie/2013/07/03/137133/tunisie-tic-14-de-croissance-et-un-apport-de-6-7-au-pib-en-2012, consulté le 45 juillet 2016.

(5) WMC (24 mars 2015). Tunisie Digitale 2018: Les TIC pèsent 9% dans le PIB tunisien, Webmanager Center, http://www.webmanagercenter.com/actualite/technologie/2015/03/24/161818/tunisie-digitale-2018-les-tic-pesent-9-dans-le-pib-tunisien, consulté le 45 juillet 2016.

(6) Jankari, R. (Octobre 2014). Les technologies de l’information au Maroc, en Algérie et en Tunisie Vers une filière euromaghrébine des TIC ? Institut de Perspective Economique du Monde Méditerranéen, IPEMED.

(7) Les propos de M. El Hadj Gley, alors ministre des Technologies de la Communication, lors de la tenue du Forum de la pensée politique tenu à Béja tels que rapportés par Turess (30 décembre 2012) Tunisie - PIB 2009: +11% pour les TIC, http://www.turess.com/fr/investir/3574, consulté le 4 juillet 2016.

(8) Banque Mondiale (mai 2008). Intégration mondiale de la Tunisie - Une nouvelle génération de réformes pour booster la croissance et l’emploi, Banque internationale pour la reconstruction et le développement/Banque mondiale, Washington, D.C.

(9) BERD (2014). Économie du savoir - Evaluation de la Tunisie: Identification et comblement des écarts en matière de capacités et d’innovation de la région située au Sud et à l’Est du bassin méditerranéen (région SEMED), Whiteshield Partners, Banque européenne pour la reconstruction et le développement.

(10) EBRD (2014). Knowledge Economy Assessment of Tunisia Identifying and addressing capability and innovation gaps in the Southern and Eastern Mediterranean region (SEMED), Whiteshield Partners, European Bank for Reconstruction and Development.




 

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