News - 30.12.2014

Archives ou pas archives ? Pas archives du tout!

Le 10 décembre 2014, la commission nationale de la vérité sur les crimes commis par la dictature militaire brésilienne  (1964-1985) a remis un rapport de 4300 pages à Dilma ROUSSEF nouvellement réélue présidente du pays.

Tout y est : nom des morts et des disparus, critique de la loi d’amnistie adoptée fin 1979 à la fin du régime militaire, élaboration d’une liste de 377 personnes présumées responsables de graves violations aux droits de l’homme  dont  5 généraux qui se sont succédé à la présidence de la République à partir du coup d’Etat de 1964.

Dix jours auparavant, les carabiniers italiens arrêtent Massimo Carminati et 37 autres personnes pour corruption.

Le Monde du 12/12/2014 titrait « Rome mise à sac » et Massimo Carminati répliquait  « personne ne me touche même pas Jésus Christ !!! »

Au Luxembourg et  toujours au cours du mois de novembre 2014,  le scandale «  Luxleaks » ébranle le Grand-Duché et oblige le paradis fiscal à revoir sa page d’évasion fiscale au profit des multinationales pour ne pas apparaitre comme faisant partie d’un réseau mafieux.

Toujours au cours du même mois de novembre 2014, Slim CHIBOUB rentre à Tunis pour se soumettre aux procédures judiciaires dont il est l’objet ; faux calculs, mauvais conseils ou volonté d’en finir une bonne fois pour toutes font que le gendre de l’ex-président se retrouve sous le coup d’un (ou plusieurs) billets d’écrous.
Commentant ce fait,  un militant de Transparency International  dira  « c’est la première fois que je vois quelqu’un aller se jeter en prison en jet privé. »

Comment sera géré le dossier de Slim CHIBOUB ? Qui en prendra réellement la charge ?

A qui revient cette « mission ? Moment clé de la transition.

Pour le moment, aucune déclaration de l’Instance Vérité et Dignité ni de sa présidence.

Quelle démarche adopter et pour quels objectifs. ?

Les faits sont têtus :

S.C. est revenu en Tunisie de son propre gré. Aucune procédure judiciaire nationale ou internationale n’était derrière ce retour.

Et encore moins une démarche diplomatique. Le fait en lui-même révélateur du caractère du personnage pourrait être l’amorce véritable du jugement des fraudes et crimes de l’ancien régime…
En toute transparence et compétence.

Au « courage » de Slim CHIBOUB, il faudra opposer transparence et compétence.

M. Zouhair MAKHLOUF, vice-président de l’Instance Vérité et Dignité donne un petit aperçu sur  la conception de l’Instance au journal  « LA CROIX » du 11/12/2014 (p. 5) « l’instance ne doit pas être une copie de la Commission Vérité et Réconciliation d’Afrique du Sud. Ici en Tunisie, nous voulons aussi bien réhabiliter les victimes, en jugeant les représentants de l’Etat qui ont commis des exactions  que permettre une réconciliation nationale », et d’ajouter plus loin « En Afrique du Sud comme au Maroc, c’est le volet conciliation qui a été mis en avant. Au Rwanda, au contraire, l’accent a été mis sur la punition des coupables. »

Des propos qui dénotent malheureusement une totale méconnaissance du dossier. Opposer à tout-va « jugement des représentants de l’Etat » à « la réconciliation nationale » ou encore « la conciliation » à la « punition » relève de la prose dans tous les sens du terme. Ou alors mettre toutes ces questions dans un même sac pour brouiller les pistes : crimes et tortures des droits de l’homme et victimes de la répression du bassin minier au 14/01/ et même après ; corruption des grands groupes mercantiles et financiers ; accaparation du système bancaire, complicité  des grands commis de l’Etat et de la haute fonction publique avec le régime de ZBA.

Pour tous ces crimes et délits le vice-président de l’Instance Vérité et Dignité propose la dualité : conciliation ou punition ?

En d’autres termes, et face à la fraude, doit-on recourir à la transaction ou à la sanction, abstraction faite de la nature de la fraude. C’est du n’importe quoi !!!

Quelles sont les priorités : la récupération des fonds spoliés et transférés à l’Etranger ? La gestion des biens confisqués ? Le dédommagement des victimes de la répression ?
Est-ce que ces dossiers sont  prioritaires ou accessoires par rapport à une prétendue implication de Béji Caid Essebsi dans des événements remontant à plus de la moitié d’un siècle et démentie par des acteurs de l’époque en l’occurrence M. Ali BEN SALEM dont la crédibilité et l’indépendance ne peuvent souffrir aucune mise en cause.
Alors pour la fraude, transaction ou sanction ?
Ce choix n’a jamais été posé en Afrique du Sud, en Argentine, au Chili, au Brésil, en Espagne, au Portugal pour deux raisons :

  • Aucun de ces pays n’a cherché à créer un modèle mais à réussir une transition,
  • Chacun a eu son dû ; la sanction ou la transaction qui vont de pair si la volonté d’en découdre sans revanche est réelle.
  • Toutes les transactions sont bonnes à prendre si l’Instance Vérité et Dignité maitrise ses dossiers sauf que disposer des archives ne signifie aucunement maitrise des dossiers qui nécessite :
  • Une technicité de très haut niveau,
  • Une éthique de marbre qui permettra d’écarter certaines procédures fondamentales sans que l’on soit suspecté de parti-pris ou de protecteurs de certaines rentes de situations.
  • Et ce sont ces deux valeurs qui sont généralement à la base du choix de tout membre d’une Commission Vérité similaire.

La sanction est, quant à elle, indispensable pour les crimes, assassinats, tortures, exils, contrôles administratifs, snipers. Et là, c’est le droit pénal dans son sens criminel qui s’impose.

La sanction politique devra toucher les grands commis de l’Etat, hauts fonctionnaires qui ont permis à la dictature de s’asseoir, de perdurer et lui offrir une apparence de légalité : elle est toute simple, l’interdiction de tout mandat électif dont le nombre variera en fonction de la gravité des faits reprochés à chaque personne.
Enfin, pour la corruption et autre détournement de fonds toutes les solutions sont envisageables mais chaque solution devra permettre de récupérer au profit de l’Etat tunisien au moins 80 % des fonds spoliés.

Beaucoup de personnes pensent qu’il est tout à fait légitime que la Tunisie « offre » au monde un modèle de transition notamment grâce à cet outil qu’est l’Instance Vérité et Dignité.

Or, cette même instance, et depuis sa création, s’est figée dans un mutisme inquiétant. Pour se manifester et de manière musclée quelques heures avant que le nouveau président élu de belle manière ne  prenne possession du Palais de Carthage et de son contenu.

Opération coup de poings : camions, barrages forcés pour transférer le « trésor » de Carthage aux locaux de l’Instance Vérité et Dignité pas du tout outillés à les recevoir, ni légalement, ni matériellement :

Légalement

Les documents papiers, photos, vidéos, support informatique et autres sont essentiellement des documents personnels privés appartenant à l’ancien président et concernent ses collaborateurs et éventuellement les membres de sa famille et amis, hommes d’affaires, banquiers et dirigeants politiques …

Or, les biens de l’ancien Président ont été confisqués et ces documents en font partie, ce ne sont essentiellement que des « effets personnels » à mettre sous la garde de la Commission de Confiscation ; et si certains de ces documents constituent des archives, c’est à la justice de les classer avec la collaboration des responsables des archives nationales.

Matériellement

Seuls les locaux des archives nationales sont outillés pour recevoir ces documents à l’abri du froid, de la chaleur, inondations et autres…

L’Instance Vérité et Dignité n’a aucune qualité pour qualifier ces documents d’archives intermédiaires, courantes ou définitives. Ce sont par contre des documents décisifs pour que la Tunisie réussisse sa transition. Béji Caid Essebsi n’est pas une illusion, c’est un président élu de la manière la plus démocratique qui soit. Il a le soutien d’une majorité d’électeurs qui ont décidé de mettre une partie du destin de la Tunisie entre ses mains. Et cette partie contient les documents logés à Carthage, Sidi Bou Said et Hammamet. Béji Caid Essebsi saura les garder et en faire bon usage ou les remettre à qui de droit mais certainement pas à l’Instance Vérité et Dignité.

Ezzeddine Mhedhbi

Tags : Ali Ben Salem   B  
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1 Commentaire
Les Commentaires
Mansour Lahyani - 31-12-2014 11:55

Voici un article destiné à releverle moral des Tunisiens. Tout ce qu'on y lit est un véritable baume pour le coeur, en contradiction avec tout ce qu'ont pu nous raconter des gns plus ou moins honnêtes, mais généralement peu au fait des nécessaires précautions pour manier ces archives, nationales s'il en est ! Merci, M. Mhedhbi !

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