News - 07.12.2014

Radhi Meddeb: En attendant Godot

L’honorable Isie a compté et recompté bulletins et voix. Son verdict est tombé, somme toute rapidement, mettant fin aux communiqués imprudemment triomphalistes des uns et des autres. 

Les résultats de cette première élection présidentielle libre et transparente de la Tunisie indépendante permettent de tirer certains enseignements pour une lecture des voies possibles pour la suite des événements.

1. D’abord, il faut le rappeler pour s’en féliciter. L’ élection s’est déroulée dans le calme et sans incidents. Cela n’était pas gagné d’avance. Il faut savoir en être gré au gouvernement Jomaa. Bien des fauteurs en eau trouble auraient espéré qu’il n’en fusse pas ainsi.

2. Nous aurons droit à un second tour. Certains ont pu croire au miracle d’un K.O. au premier round et imaginer que l’on se serait suffi du plaisir d’une seule joute. Certes, le pays, déjà exsangue, aurait eu avantage à emprunter, pour une fois, un raccourci, mais la démocratie se mérite. Elle a ses exigences et ses caprices et nous nous y soumettrons. Elle nous rappelle, avec élégance, que l’exercice du pouvoir par la majorité doit être inclusif, dans le respect des droits des minorités et que celles-ci doivent être fortes pour constituer les contre-pouvoirs nécessaires à la construction de l’Etat démocratique.

3. BCE et MMM s’affronteront lors de ce second tour dans une situation inédite, mettant face à face deux projets sociétaux différents, prônant d’un côté l’ouverture et la protection des acquis de la modernité et de l’autre l’identité et la protection de la Révolution.

4. Hamma Hammami réalise un score très honorable, largement au-delà des voix de son parti. Il constitue à la fois un réservoir précieux pour BCE pour le second tour, mais il se pose également en allié incontournable, dont le ralliement n’est pas automatiquement acquis, mais doit se mériter et se négocier, au risque de compliquer encore plus la gestion des affaires publiques sur la période à venir.

5. Dans le camp des militants historiques pour les droits de l’Homme et la démocratie, la déroute est totale. Elle traduit la coupure entre un discours qui ne se renouvelle pas et les préoccupations actuelles des populations. La défaite prend des allures de bérézina, annonçant sa nécessaire reconstruction, l’ardente obligation pour ses dirigeants historiques de faire valoir leurs droits à une retraite amplement méritée et de laisser la place à une génération plus jeune, plus en rapport avec le pays profond, ses mots et ses maux. Le temps des idéologies est révolu. Place doit être faite au pragmatisme et au réalisme au service d’un projet généreux et solidaire qui reste à inventer.

6. Ces élections auront été aussi l’occasion donnée au peuple de dire qu’il n’était pas encore prêt à accepter le retour, sans droit d’inventaire, des anciens du RCD. La compétence, la connaissance des rouages de l’Etat, souvent invoquées comme des atouts majeurs, ne sont pas encore des arguments suffisamment forts pour s’imposer face aux turpitudes du passé. Les blessures sont encore béantes et les comptes pas encore soldés. Ce retour était prématuré. La réconciliation, pourtant si nécessaire, prendra encore du temps. Il lui faudra de la pédagogie et de la méthode.

7. Le premier tour de cette élection présidentielle aura été également l’occasion de nous rappeler que la crise économique et sociale, le désarroi des jeunes sont générateurs de désespoir, de doute identitaire et de dérive poujadiste, populiste et démagogique. Cela n’est pas propre à la Tunisie. L’histoire et la géographie nous en donnent de multiples et récurrentes illustrations. Le phénomène n’en est pas pour autant banal.

8. Ennahdha, officiellement absente de ces joutes par un choix délibéré de ne pas présenter de candidat, a pesé en réalité de tout son poids dans ces élections. Son ombre n’a pas arrêté de planer et de hanter les uns et les autres, d’abord en favorisant la multiplication des candidatures, à la fois pour affaiblir la fonction mais surtout pour disperser les votes, ensuite en laissant croire à plusieurs candidats que chacun d’entre eux pouvait être le fameux candidat consensuel, enfin, en apportant le parrainage de ses députés à de multiples candidats qui, autrement, n’auraient jamais eu le droit d’exister. L’absence de consigne de vote de la direction n’a empêché ni les prises de position claires de certains ténors du mouvement ni un vote massif des militants en faveur du président-candidat.

9. Les candidats exotiques et folkloriques, et ils ont été légion, se sont escrimés à s’entortiller au risque de ridiculiser les institutions et la fonction présidentielle. Il est temps qu’ils passent à la caisse et qu’ils remboursent l’argent public qui leur a été avancé et qui leur a donné, un temps, l’illusion de jouer les vedettes ou les premiers rôles.

Voilà, l’essentiel de ce que m’inspirent ces résultats. Le président qui sera élu dans un mois le sera par le jeu des alliances et des mésalliances qui se mettront en place entre les deux tours. La campagne pour le second tour risque d’être violente, certains cherchant à opposer une moitié de la Tunisie à son autre moitié. Si tel devait être la cas, cela compliquerait grandement la constitution du gouvernement, sa géographie, son programme commun, ses orientations économiques et limiterait sa capacité à réformer, pourtant maître mot de la suite des événements. Le second tour risque d’être celui de tous les dangers. La polémique déjà lancée par l’appel du president-candidat à son adversaire du jour, candidat à sa succession, est au mieux une faute politique, au pire, une déstabilisation délibérée des institutions encore fragiles et en gestation. Dans tous les cas, le pays n’en avait pas besoin.

Un président mal élu serait annonciateur d’une mandature molle, d’une instabilité récurrente. Pendant ce temps-là, de multiples questions me taraudent: quel projet économique et social performant et inclusif? Quelles réformes au service du redressement du pays? Quelles modalités pour panser les plaies du passé? Comment engager les multiples réformes structurelles? Comment faire renaître l’espoir et remettre du ciment social dans une Tunisie au bord de la dislocation entre son nord et son sud, son littoral et ses régions intérieures, sa modernité et son identité, ses riches et ses pauvres, ses connectés et ses exclus, ses entreprises performantes et son économie informelle?

Radhi Meddeb

(*) : Ce titre est une double référence, à la pièce de théâtre de Samuel Beckett. Pièce en deux actes. On attend Godot, qui ne viendra pas! Ce ne sera pas le cas pour nous, puisque le processus électoral débouchera sur l’élection d’un Président. Il fait référence aussi à l’affrontement des deux personnages centraux: rapports de force, absence de communication, échanges de surnoms et de quolibets en tous genres.

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1 Commentaire
Les Commentaires
Denis Lesage - 07-12-2014 21:16

Finesse et pertinence. Cher Radhi, je n'ai rien à ajouter à tes propos.Merci. D.L.

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