Opinions - 05.09.2014

A quand la réconciliation du Tunisien avec son environnement?

Au cours des trois dernières années, nous avons assisté, le plus souvent impuissants, aux dégradations continues de notre environnement aussi bien urbain que naturel. Il est facile de dire que l’environnement est la première victime en situation de crise. Nous le constatons dans les pays en guerre ou ceux dans lesquels des troubles sont relatés de temps à autre. Il est aussi un autre constat, à savoir que les voix se taisent face aux agressions que subit le milieu naturel et l’environnement en général. L’intervention américaine en Iraq en 2001 était baptisée «Renard du désert», comme si ce pays n’était dominé que par des étendues désertiques où la vie n’avait pas droit de cité!

S’il nous est facile de montrer du doigt les défaillances des autres, il nous est cependant pénible de pointer nos propres faiblesses, car cet exercice exige que nous nous débarrassions de notre myopie habituelle. Alors où sont passées les défensurs des causes de l’environnement en Tunisie? Il est vrai qu’il y a trop de vacarme dans ce pays, et qu’il est difficile de cerner des voix qui s’élèvent de temps à autre face à la barbarie et aux comportements inciviques que nous constatons tous les jours.

Le constat

Nous ne prétendons pas dans cet article cerner toutes les formes de dégradation de notre environnement naturel en particulier, car les données nous manquent, mais il est largement temps de dénoncer ce qui sera décrit et d’appeler au renversement de ces situations.

Pour ce qui est de l’environnement urbain, il y a lieu de souligner la très mauvaise gestion des problèmes liés aux déchets solides pour lesquels des solutions durables ne sont pas encore à l’ordre du jour. Il est aussi à signaler le manque, voire l’absence totale d’espaces verts dans nos villes et villages. Il est des quartiers où l’on ne voit pas l’ombre d’un seul arbre. Pourtant, il serait facile d’intensifier la plantation d’arbres le long des rues et de tenter de responsabiliser les citoyens quant à leur entretien et arrosage, notamment en période estivale.
Les agressions contre le milieu naturel se traduisent par une perte progressive de la couverture végétale naturelle, liée essentiellement au défrichement, coupes anarchiques et feux à répétition. La perte des habitats que constitue la végétation naturelle a pour conséquence la raréfaction des espèces animales qui les fréquentent.

Par rapport à ces dernières, force est de constater que le braconnage continue à sévir d’une façon inquiétante au point d'entraîner la disparition de plusieurs espèces. C’est le cas essentiellement de la Perdrix gambra et du lièvre, deux espèces sur lesquelles la pression de chasse ne cesse de croître. Les chiffres sont effarants : certains braconniers tuent une centaine de tourterelles par jour ; cela frôle simplement le massacre ! C’est également le cas des Oiseaux chanteurs pour qui les braconniers réservent un sort bien sombre et du Chardonneret qui a pratiquement disparu de nos contrées, mais la pression s’exerce désormais sur d’autres espèces, particulièrement le Verdier et le Serin.

Les espèces de plus grande taille ne sont pas en reste, puisque l’Outarde houbara, les gazelles dorcas et leptocère, ainsi que le cerf subissent des pressions inégalées. Le cas de l’Outarde est particulièrement inquiétant, puisque sa « chasse » est aussi bien l’œuvre de chasseurs locaux que d’autres venant notamment des pays du Golfe. La complicité dont jouissent ces derniers doit cesser. C’est non seulement une honte pour cette classe politique qui se vante d’être porteuse des valeurs de la «Révolution», mais également pour le pays qui se doit de préserver les espèces qui y vivent, notamment celles qui se raréfient.

Nous soulignons dans ce contexte le cas d’espèces localisées et peu communes en Tunisie, celui de la gazelle de Cuvier pour la conservation de laquelle a été créé le parc de Chambi. Nous savons tous que depuis un moment, ce parc est devenu un repaire de terroristes, et qu’il a été déclaré zone militaire fermée. Nous ne disposons pour le moment d’aucune information relative à la population vivant à Chambi. Nous espérons que les animaux ont eu le temps de quitter ce site pour se disperser ailleurs.

De nombreuses zones humides subissent une pollution sans précédent et une dégradation progressive de la qualité de l’eau de certains sites (notamment le golfe de Gabès, la baie de Monastir, l’eutrophisation de nombreux plans d’eau…). La pollution est aussi bien d’origine urbaine qu’industrielle, et le relâchement des contrôles par les services concernés n’a fait qu’accentuer les phénomènes constatés. Il faut également pointer du doigt le laxisme de la législation en matière d’environnement qui permet aux pollueurs polluer d'agoir en toute impunité. Notons cependant que la résolution de certains des problèmes de pollution, tels que ceux ayant lieu au golfe de Gabès exige beaucoup de concertations et peut-être aussi des solutions innovantes.

Le littoral et l’environnement marin sont également menacés puisque les pressions continues sur le foncier au niveau du littoral et sur les ressources halieutiques ne datent pas d’aujourd’hui. Les techniques de pêche destructrices du milieu sont à pointer, mais le massacre de certaines espèces pour lesquelles la communauté internationale a fourni des efforts notables pour les sauver (tortue marine, ou caouanne) n’est point excusable.

La qualité des terres agricoles ne cesse de se dégrader. Elle est surtout accentuée par les changements climatiques en cours, mais aussi par l’intensification des techniques culturales, associée à une perte des semences et variétés locales, progressivement remplacées par des semences et plants introduits ou importés. Ceci est d’autant préjudiciable au pays qu’il compromet sérieusement sa sécurité alimentaire à terme. La propagation sans précédent de nombreuses formes de cancers est imputable, au moins en partie, à l’utilisation de pesticides pour lesquels ni les paysans ni les ouvriers agricoles n’ont pas suivi de formations appropriées quant aux précautions liées à leur manipulation ou à leur utilisation.

Globalement, nous notons une dégradation progressive du cadre de vie aussi bien en milieu rural qu’en milieu urbain pour lesquelles aucune solution n’est envisagée à terme.

Pistes de solutions

Il va de soi qu’aucune solution durable des problèmes d’environnement ne pourrait voir le jour sans une prise de conscience par les autorités de leur gravité, ainsi que de la nécessité de mettre en place de politiques qui mettraient un terme au moins aux faits les plus graves. Idéalement, la mise en place d’une politique de développement intégrant les questions d’environnement réduirait la pression sur ce dernier.

Dores et déjà, des actions urgentes sont à envisager :

  • le renforcement des programmes d’éducation à l’environnement destinés aux écoliers et aux élèves du secondaire pour induire en eux des changements d’attitude vis-à-vis de leur environnement;
  • la révision des textes législatifs relatifs aussi bien aux mesures coercitives liées aux dégradations de l’environnement, mais aussi aux modes de gestion de l’environnement naturel en particulier, car ces textes se sont révélés inefficaces dans sa préservation en situation de crise;
  • le renforcement des équipes chargées du contrôle de la qualité de l’environnement dans les différents départements (Environnement, Santé, Agriculture…);
  • l’adoption d’une politique délibérée de reboisement notamment des sites incendiés ou dégradés;
  • la mise en place de modèles de développement urbains intégrant la création d’espaces verts et l’incitation des municipalités d’en créer;
  • la mise à contribution de la société civile et des citoyens en général dans la recherche de solutions appropriées aux problèmes d’environnement qu’on voudrait solutionner (déchets ménagers, pollution de certains sites…);
  • les sanctions relatives à la dégradation de l’environnement devraient être exemplaires, pour que leurs auteurs ne jouissent pas de l’impunité dont ils se vantent actuellement ;
  • la mise en place d’indicateurs de suivi de l’état de l’environnement aux échelons local, régional et national;
  • la restriction de l’utilisation des produits polluants de toute nature, dans les différents secteurs d’activités (industrie, agriculture, usage domestique…) et veiller à former les utilisateurs sur les précautions à prendre quand à leur manipulation ou utilisation;
  •  la révision des modes de gestion des espaces naturels protégés (réserves naturelles et parcs nationaux);
  • l’application de la loi relative aux ressources halieutiques et les renforcer si le besoin s’en pressent;
  • réduire l’importation des plantes et des semences et renforcer l’utilisation des variétés locales, à condition qu’elles soient compétitives et veiller pour qu’elles le deviennent…

Ces mesures visent l’amélioration du cadre de vie des générations actuelles. Nous avons une dette envers les générations futures que nous nous devons d’honorer. Faute de quoi, nous risquons de perdre de larges pans de notre identité dont l’environnement fait partie intégrante.

Mohsen Kalboussi
* Universitaire

Tags : Tunisie  
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2 Commentaires
Les Commentaires
emna jebri - 06-09-2014 09:28

c'est d'autant plus horrible qu'il s'agit d'une espèce protégée, en voie de disparition

noureddine zarrouk - 06-09-2014 14:39

Merci Si Mohsen pour votre article, sur un sujet qui reste malheureusement d' actualité Au sujet de l' outarde( Habara) , combien de Tunisiennes ont porté ce prénom , pour la beauté de ses yeux Nos '' faux frères de Séoudie et du Qatar essentiellement viennent '' faire leurs besoins '' chez nous et aucun de nos gouvernements n' a eu à en redire. Ils détruisent notre flore ,massacrent notre faune, et voudraient prendre aussi notre âme tellement ils restent présents dans le financement du terrorisme, un jour tout le monde comprendra . Puisse Dieu , le tout puissant, les châtier pour tous les malheurs qui nous font, nous autres tunisiens . signé N- Zarrouk

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