Opinions - 18.01.2014

Comment conjuguer au pluriel les voix de l'espace public ?

Avec l’annonce quasi officielle des résultats du Référendum sur la constitution égyptienne, nous ne pouvons que nous interroger sur ce « plébiscite » de 98% annoncé par les « chaines d’informations » égyptiennes et «le Monde Diplomatique» du 16/01/2014 sous la plume d’Alain Gresh. En effet, cette constitution approuvée n’est en rien différente, de l’avis des analystes politiques,  de celle proposée par le précèdent gouvernement Morsi, «renversée» par le Géneral Sissi, et qui, depuis règne en « pharaon » sur l’Egypte. Cet état des lieux nous interpelle et nous pousse à nous poser deux questions : la première, comment expliquer qu’une population, sortie dans les rues pour décrier l’écriture d’une constitution par « les frères » approuve une même constitution proposée dans les mêmes termes, les mêmes droits mais proposée par de nouveaux acteurs politiques, sous un nouvel « apparat » militaire ? A la lumière des évènements en Egypte, comment pouvons-nous analyser notre processus démocratique en Tunisie et les travaux de la constituante censés nous doter d’une constitution dans les plus brefs délais ?

La prise du pouvoir par le Général Sissi en Egypte a mis fin à un processus démocratique « houleux et controversé » des «frères musulmans » aux affaires, stoppant ainsi toute « normalisation de l’action » de ces derniers dans la vie politique égyptienne officielle et « pacifiée ». Cette confiscation du pouvoir saluée par certains et décriée par d’autres, n’est en réalité qu’un « arrêt » du processus démocratique que tout pays en révolution devrait connaître. Ainsi, l’anticipation de «l’échec » des frères au pouvoir, légitimant une intervention « militaire » afin de sauver le processus démocratique a paradoxalement précipité ce dernier dans un échec, cet fois-ci réel et avéré. En effet, le résultat du referendum est un verdict sans appel d’un retour au renforcement des mécanismes de propagande vers un régime de plus en plus autoritaire.

Cette légitimation d’une posture « préventive » à un échec des nations est en réalité une crainte que nous partageons tous en tant que citoyens concernés par des élections qui ont vu plébisciter les partis de droite ou « islamistes » au pouvoir. Cependant, dans une posture intellectuellement et éthiquement responsable, pouvons-nous légitimer des actions militaires ou arbitraires sur des présupposées actions ou expectations des acteurs politiques, fussent-ils des adversaires politiques ou idéologiques.

Dans son ouvrage « Les Etats manqués : Abus de puissance et déficit démocratique»,  Noam Chomsky (2006) développe cette posture de l’hégémonie de l’acteur détenant absolu de la « vertu » et capable au nom de cette dernière de légitimer une « « autodéfense par anticipation » et « aux limites non précisées » (p 9). Cette légitimation que s’est accordée l’administration Bush II dans une guerre du Golfe II, en 2003 du « bien contre le mal » ou encore les opérations et raids israéliens effectués sur Gaza en 2012 appelés «Pilier de défense» au nom de l’autodéfense, de l’anticipation de prétendus actes de l’ennemis, décriés et condamnés par tous au nom du droit international qui ne reconnait que les agressions «effectives» et non «supposées» ne valent elles pas aussi lorsque que traitons du cas de l’Egypte ?

Le développement d’un lexique de terminologies telles que « guerre préventive » ou encore « frappe chirurgicale» justifiant l’anticipation  de possibles actions de l’ennemi politique, ne sont-elles pas digne des présages des cassandres de la Tragédie grecque, qui paradoxalement démontre comment les héros grecs lorsqu’ils s’adonnent aux oracles, se précipitent vers des choix supposés salvateurs, croyant déjouer ainsi le sort de la prophétie, or ils ne font que précipiter les évènements vers ce dessein tant redouté (les héros de la Tragédie de Sophocle ne sont que ces images de héros sacrifiés par une prophétie ou oracles tant redoutés : Oedipe, Antigone, Electre …etc.) !

Ces constatations terminologiques que nous faisons nous permettent de faire une lecture des événements en Egypte, où le consensus n’a pu se faire, justement au nom d’une « intervention préventive », l’armée s’est chargée d’interrompre un processus « démocratique» certes houleux, difficile et même sanglant («interconfessionnellement » parlant)  pour préserver non pas l’adoption d’une constitution « libérale » ou "moderne" mais plutôt les intérêts économiques et financiers d’une minorité qui elle, détient réellement les commandes ou qui est présente « aux affaires » par la propriété des moyens de production.

Alors devant ce dilemme auquel fait face l’Egypte, choisir entre deux réalités : l’une effective, annonciatrice d’un durcissement du régime de Sissi et une réalité fictive « écourtée et inachevée » des « frères musulmans », nous nous retrouvons face à un dilemme dans le processus « de révolte » connu par l’Egypte, qui paradoxalement dans les deux cas peuvent constituer pour notre pays et pour l’intelligentsia tunisienne une prémisse, une assise à la réflexion envers une recherche du consensus, un « bien » nécessaire à l’avancée dans le dialogue national ainsi que des travaux de la constituante.

Dans ce cas de figure, nous serions même tentés de penser que la prévention, lorsqu’elle s’inscrit dans l’action pacifique et civique, est le meilleur remède par la pression effectuée contre toute régression du politique, d’où l’importance du tissu associatif dans la vie démocratique, qui ne vise pas le résultat comme une fin mais qui investit de façon durable dans les moyens pour arriver à la démocratie participative, condition «sine qua non»  dans la constitution de la «cité».

Ainsi, la prise de parole et l’écoute des citoyens s’inscrivent  dans l’action politique comme un mouvement ascendant ou le citoyen manifeste de façon civique et normalisée son opinion créant ainsi un levier nécessaire à l’influence et au lobbying comme nous pouvons le constater de façon positive avec le travail de l’ONG «Bawsala», présente au cœur de la constituante tunisienne. Reste à savoir comment nos politiques, et notamment nos constituants, tenterons de maîtriser cette grammaire élémentaire constitutive des démocraties les plus pérennes à savoir l’écoute d’une agora dont les oracles mènent souvent vers les voies de la raison ?!

Khaoula Ben Mansour
Assistante universitaire ISG GABES
Doctorante en Sciences de Gestion à l'ESCT de Tunis.


 

Tags : Egypte   Tunisie  
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2 Commentaires
Les Commentaires
Dr.Néjib BOURAOUI (Politologue) - 19-01-2014 17:19

Ce référendum est une cuisine interne proprement égyptienne et normalement les Tunisiens ne doivent pas s'en mêler. L'Egypte n'est pas la Tunisie et la Tunisie n'est pas l'Egypte! Les régimes politiques et les réflexes révolutionnaires dans les deux pays sont tout à fait différents! Cependant, le seul dénominateur commun des pays du printemps arabe est le "rêve-mirage" d'une véritable démocratie.

aliocha - 22-01-2014 22:04

la situation égyptienne a contribué à l'épilogue "heureux" de l'impasse tunisienne, toutefois les deux pays diffèrent sur beaucoup de points, l'armée égyptienne est un état dans l'état, les frères musulmans n'ont pas voulu composer avec elle, ils ont tout perdu! on ne va pas pleurer sur leur sort, car il n'y a pas de démocratie sans le respect de la minorité!

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