News - 15.09.2013

Une chaîne TV, un parti et des ambitions…

Que peuvent avoir en commun Larbi Nasra, Slim Riahi et Ayachi Ajroudi? Chacun possède une chaîne télé, se trouve ou compte se trouver à la tête d’un parti politique et ne cache pas ses ambitions à assumer de hautes charges publiques. Conséquence immédiate: cessions et acquisitions dans le capital de nombre de chaînes TV. De quoi d’ailleurs laisser la toute naissante Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA) se poser des questions sur les liaisons dangereuses entre l’argent, les médias et le pouvoir.

D’Hannibal à Carthage?

Larbi Nasra, promoteur d’Hannibal TV, ne s’en cache pas. «Je ne cesse d’être sollicité pour postuler à la présidence de la République. Les sondages me donnent bien placé et les nombreux témoignages audiovisuels que je reçois m’y incitent. Pour le moment, il y cette demande émanant d’élus de l’Assemblée nationale constituante pour constituer ensemble un parti politique et prendre sa présidence. Mais, je n'ai pas encre donné ma réponse. Il s’agit d’un parti centriste pour lequel le nom de Parti de la République a été choisi». Son secrétaire général, Chokri Balti, affirme que Nasra sera sollicité pour être le candidat du parti à la prochaine présidentielle.

Hannibal TV a-t-elle été vendue ? «Pas du tout, affirme à Leaders Larbi Nasra, apportant les précisions nécessaires. Hannibal TV a été pionnière et a contribué à l’ancrage de nouveaux concepts et à l’émergence de nouveaux talents télévisuels. Aujourd’hui, il va falloir faire beaucoup plus, à tous les niveaux notamment, pour ce qui est de l’acquisition de nouveaux équipements et l’aménagement de nouveaux studios, mais aussi renforcer notre système de management. Des investissements sont nécessaires. En y réfléchissant, j’ai estimé qu’il conviendrait, non pas de céder la chaîne, ne serait-ce que partiellement, les différentes évaluations la valorisent à près de 50 MD, mais de faire appel à des investisseurs dans le cadre de notre société de production, AVIP. C’est ainsi que nous sommes en pourparlers avancés avec un fonds d’investissement tunisien à près de 90%, monté par des hommes d’affaires qui s’intéressent pour la première fois au secteur des médias. L’entrée au capital de ce fonds injectera de l’argent frais, mais contribuera aussi à la mise en place d’une bonne gouvernance et de nouveaux outils de gestion».

Clairement, Larbi Nasra, qui connaît désormais bien les impératifs financiers de l’audiovisuel, fera ainsi d’une pierre plusieurs coups : consolider sa filiale chargée de la production, se dégager progressivement de la gestion et préparer une bonne transmission quand il le voudra. 

Slim Riahi: un vrai groupe média?

Slim Riahi ne s’est pas encore bien calé dans l’audiovisuel. Pour le moment, il occupe les mêmes fréquences jadis utilisées par Attounissya. On lui prête beaucoup d’intentions, y compris celles de prendre une participation significative au capital de la société propriétaire du bouquet Nessma TV. Il n’y a d’ailleurs pas que la télé qui l’intéresse, d’autres médias aussi. La rumeur le porte candidat à la reprise de la part de l’Etat au capital de Dar Assabah (les actions majoritaires confisquées à Sakher El Materi) et pourquoi pas dans la foulée dans celui de Shems FM…

Chef du parti de l’Union patriotique libre (UPL), ayant joué à ce titre un rôle actif dans la rencontre à Paris entre Rached Ghannouchi et Béji Caïd Essebsi, président du Club Africain et fondateur d’un groupe économique, Tunisia Holding, en forte expansion, Slim Riahi perpétue cette tradition initiée en Europe dès le début du siècle dernier par des capitaines d’industrie et des finances qui se dotent de grands organes de presse, pour asseoir leur influence. Nous l’avions vu avec Emile Servan-Schreiber, propriétaire  des Echos et  père de Jean-Jacques, Jacques Prouvost, Marcel Dassault, Robert Hersant et autres Murdoch, Berlusconi, etc. Devant lui la voie est actuellement balisée. L’avenir nous en dira plus.

Ayachi Ajroudi: l’homme du Sud

Il vient de débarquer au club. Ayachi Ajroudi, homme d’affaires originaire de Gabès établi depuis longtemps en France et opérant également dans des pays du Golfe, a acquis la chaîne TV Al Janoubya en prenant le contrôle total de sa société propriétaire SM3 Production. Fondée le 20 mars 2012 par Farhat Jouini et ses amis d’enfance, les frères Ali et Rabii Baaboura, tous originaires de Zarzis, cette chaîne qui entendait porter la voix du Sud tunisien et consacrer une attention particulières aux Tunisiens à l’étranger, s’est installée dans un immeuble en exergue  face à l’Institut ophtalmologique de Bab Saâdoun, et a entamé sa vitesse de croisière en décembre 2012. Kamel Ben Younes, rédacteur en chef d’Assabah, et Mohamed Laroussi Ben Salah, ancien rédacteur en chef de l’organe de l’UGTT Ech-Chaab, ont été embarqués pour apporter à la programmation et aux infos la qualité recherchée.

L’aventure fut passionnante, mais coûteuse. Installés à Genève (où ils s’occupent des biens du Cheikh Khalifa Ibn Zaied Al Nahyan, le chef de l’Etat des Emirats arabes unis), les frères Baaboura, qui voulaient témoigner de leur solidarité avec leur ami Farhat, y ont englouti beaucoup d’argent. Certains avancent le chiffre de 1 MD pour les locaux et les équipements et de 3.5 MD pour le fonctionnement, ce qui peut paraître dans les normes. Mais la publicité n’est pas arrivée et le déficit n’a cessé au point que la cession de la société était devenue inéluctable.

La reprise par Ayachi Ajroudi, homme du Sud, sensible à la cause de l’émigration, mais aussi nourri d’ambition de servir le pays dans cette phase délicate de la transition, s’est offerte en opportunité à saisir. La transaction est conclue mais chacun refuse d’en révéler le montant.

Comme Larbi Nasra et Slim Riahi, Ayachi Ajroudi se trouve lui aussi à la tête d’un parti politique : Le Mouvement du Tunisien pour la liberté et la dignité, qui se veut «centriste, modéré et moderniste». Il a déjà pour coéquipiers des élus de l’Assemblée nationale constituante, dont Mohamed Taher Illahi, Mohamed Salah Chairat et Abderrazak Khallouli. Mais cela ne fait que commencer.

Et les autres

D’autres chaînes TV appartiennent à des dirigeants politiques de l’opposition ou du pouvoir et connaissent des sorts différents. Zitouna TV a été fondée en mai dernier par Oussama Ben Salem (fils du Dr Moncef Ben Salem, ministre de l’Enseignement supérieur) et membre du Majliss Echoura d’Ennahdha. «Nos moyens sont rudimentaires, explique-t-il à Leaders, et nous n’avons pas pu faire face aux lourdes charges, notamment celles des frais de diffusion. Il faut compter au bas mot 16 000 D par mois, rien que pour la diffusion. D’ailleurs, faute d’avoir réglé nos arriérés, nous avons été privés de diffusion ces derniers jours et venons juste de reprendre en négociant un rééchelonnement des impayés ». Oussama s’est également lancé dans la presse écrite en publiant un hebdomadaire du même titre et qui connaît lui aussi des difficultés financières rendant sa parution irrégulière. «Nous avons essayé d’optimiser les coûts en faisant recours à la même équipe rédactionnelle, utilisant les mêmes locaux et moyens informatiques, mais là aussi les charges s’avèrent pénalisantes. Sans désespérer, nous tentons de trouver les bonnes solutions».

Taher Ben Hassine, fondateur de la chaîne Al-Hiwar, et membre de Nida Tounès, est certes dans l’engagement militant, mais s’interdit toute ambition. «Je serai toujours dans l’opposition, confie-t-il à Leaders. Je l’ai dit à mes amis de Nida Tounès : le jour où vous accéderez au pouvoir, je quitterai le parti !». Cela ne l’empêche pas aujourd’hui de voler au secours de toute chaîne privée d’antenne.

Inventant une sorte de droit d’asile médiatique, il a offert à Attounissya, après le rachat de ses fréquences de diffusion par Slim Riahi, de s’installer sur sa propre chaîne, ce qui a été accepté. La même offre, il vient de la présenter à Oussama Ben Salem, lorsque Zitouna TV a été bloquée par son diffuseur. Un coup à droite, un coup à gauche, Il est tout entier dans cette démarche. Il n’a pas oublié qu’en lançant sa chaîne durant les années de braise, il avait été logé par des chaînes françaises et italiennes amies.

Au-delà de toutes ces considérations, la HAICA entend ouvrir tout le dossier des chaînes TV émettant actuellement sans autorisation et y mettre de l’ordre. Un appel à la régularisation a  été lancé, fixant au 10 septembre 2013 le délai de dépôt des demandes. Parviendra-t-elle à imposer son autorité et gérer ce dossier bien épineux suffisamment à temps avant les élections ? En a-t-elle en fait les moyens?  Le défi est de taille.

T.H.

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1 Commentaire
Les Commentaires
mhamed Hassine Fantar - 15-09-2013 21:18

Ceux des finances comprennent qu'il est désormis temps de mettre le secteur de l'information et de la communication au service d'ambitions politiques strctement personnels afin de servir le capital. Or ceux qui detiennent la bourse cherchent tout naturellement à avoir leurs propres informateurs et leurs propres communicateurs à leur service. La HAIKA aura du pain sur la planche;Ceux qui dominent par leurs capitaux les organes de l'information et de la communication chercheront de plus en plus à soumettre leurs agents à leurs propres intêrtes, sinon dégage c'est ce qui est arrivé à des journalistes et à des communicateurs jugés trop libres Alors le choix aux travailleurs de l'information et de la communication est désormais simple: se soumettrs ou partir. Alors il faut bien réfléchir à la liberté d'expression avec l'information et la communication au privé. La HAICA aura du travail.

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