News - 03.04.2013

La Tunisie virtuellement en cessation de paiements!

Les propos rassurants du gouvernement provisoire et concomitamment à ceux lénifiants de la BCT ne changent rien à la réalité. Le pays est virtuellement en cessation de paiements. Virtuellement seulement, insistons-nous, car la BCT dispose encore d’un matelas de devises qui couvre encore selon toute vraisemblance 3 mois d’importations et probablement aussi les flux de remboursement de l’encours échu de la dette extérieure, et du rapatriement de capitaux et de dividendes. Pour combien de temps ?

Mais voilà les apparences sont trompeuses! Une étincelle suffirait à provoquer l’incendie.

Le ministre des finances et le gouverneur de la BCT, informés et conscients de la situation ont décidé d’orchestrer depuis quelques temps une vaste opération de communication qui vise essentiellement à éviter un surcroit de défiance qui pourrait bel et bien dégénérer en un mouvement de panique généralisée. Gouverner c’est prévoir!

Mais alors, comment s’assurer que les fragiles équilibres (doux euphémisme pour désigner des déséquilibres grandissants) ne s’étiolent pas un peu plus, pour finir par déboucher sur un krach paroxystique à la grecque ou équivalent. 

Familiers donc des techniques modernes de communication, les deux comparses du moment et quelques hauts fonctionnaires zélés (nos fameux grands commis de l’Etat, honnêtes, neutres et compétents) ont entrepris de se lancer dans une vaste opération, relayée consciensement par les médias, de «storytelling» qui vise à désamorcer, dans un premier temps, tout mouvement de «sauve-qui-peut» (comme une possible ruée sur les banques), puis dans un second temps, à commencer à habituer l’opinion publique à accepter une vaste politique d’austérité et d’assainissement des comptes de l’Etat.

L’idée centrale de ce storytelling, processus narratif sous forme d’un conte (voir wikipédia), est bien évidemment «comment faire avaler la potion amère», autrement dit, comment faire en sorte que les sacrifices à consentir (via des réformes), soient vécus comme inévitables. Une sorte de fatalité due à l’adversité du moment (personne n’est coupable, mais tous responsables), la difficulté essentielle résidant dans le «Qui-va-payer ?». Toutes choses auxquelles nos concitoyens sont encore peu familiers, même s’ils commencent à en avoir un avant-goût avec la réduction des subventions de la CGC.

Le déroulé de ce storytelling est on peut plus clair

Premier acte : les indicateurs «officiels» se dégradent, mais pas autant que ceux qui sont «servis» aux institutions financières internationales dont Mme Lagarde a eu la primeur. Autant dire une « opération camouflage » pour l’opinion publique (évitons toute panique) et une «opération vérité» pour les bailleurs de fonds. On ne badine pas avec ses créanciers ! Ne perdons pas de vue que le FMI et la Banque Mondiale sont dans nos murs et que pas moins de 7 revues de situation ont eu lieu depuis le 14 Janvier 2011, soit environ une tous les deux ou trois mois. On croit rêver!

Le pendant de cette supercherie intellectuelle vis-à-vis de la population et des acteurs économiques et sociaux qui scrutent la situation, étant bien entendu de rasséréner et d’apaiser émois et inquiétudes surgis de la multiplication de rumeurs contradictoires.

Deuxième acte : Solennité et gravité du ton qui sied à la circonstance présente

Les deux comparses et toute une ribambelle d’initiés savent bien évidemment de quoi ils retournent. Ils avancent prudemment: Un audit des 3 grandes banques publiques, réalisé par un grand cabinet, éventuellement comme Ernst & Young (mais cela peut être un autre tout aussi initié), banques pouvant éventuellement être fusionnées, voire, une fois réunies faire l’objet d’une ouverture du capital. La ficelle est grosse ! Mais il faut croire que la naïveté d’une large fraction de l’opinion est requise. Exit les créances douteuses, exit les turpitudes éhontées de ceux qui ont profité du système!

Dans le même temps, car il faut bien faire les rapprochements qui conviennent, il est question de «nettoyer le code des investissements de ses incohérences» et par exemple, de faire de la fiscalité de l’off-shore le droit commun général. La mystification est grosse ! Mais elle a pourtant, et pour l’instant, toutes les chances de passer; pour la plus grande satisfaction d’intérêts bien connus, mais dont on taira ici les noms.

Ré-agencer tous les dispositifs en place est bien au cœur des préoccupations, pas seulement de ceux qui tentent d’initier cette «histoire» de réformes (entendez, modifier les curseurs de la répartition des revenus primaire comme secondaire), mais aussi, de différentes fratries sociales qui y ont un intérêt direct. Suivez mon regard et le silence assourdissant qu’ils émettent ! En clair, j’entends certaines formations politiques promptes à s’offusquer pour toute atteinte aux libertés, mais bien peu bavardes lorsqu’il s’agit d’équité nouvelle, ou de plus juste répartition des efforts à consentir.

Troisième acte: Raconter que des mesures sont rendues «indispensables», car elles résultent d’un choc extérieur, une variable exogène diront nos économistes bon teint. Le FMI et ses exigences ont bon dos, quand en réalité l’épicentre de nos difficultés gît au cœur même de notre système socio-productif. En langage naturel cela s’écrit: Nous n’y sommes pour rien, c’est la faute à l’étranger», et de rajouter aussitôt que les impératifs de la sortie de crise, puis de la poursuite du développement (sic) passent par l’acceptation de sacrifices. Soyons concret. Dans les cabinets feutrés de différents ministères, voire ailleurs, se concoctent des mesures d’austérité sans précédent dans l’histoire du pays. Elles touchent à peu près à tout. Désindexation des salaires, refonte des organismes sociaux de santé et de retraite, introduction de nouvelles taxations (TVA sociale), que sais-je encore. La liste des options est ouverte, mais toutes sont marquées d’un a priori, d’un biais plus favorable à certaines couches qu’à d’autres. Pourtant une histoire vieille comme le monde. Est-ce faire injure aux initiateurs de ces « réformes-à-venir» que de leur dire que leur source d’inspiration est bien néolibérale ! La grande astuce de cette narration, -car nos comparses et leurs supporters ne manquent pas de cette intelligence des situations-, est bien de camoufler des mesures impopulaires, au beau milieu de quelques mesures consensuelles. Stratagèmes et roublardises qui n’échapperont qu’à ceux qui veulent bien se laisser prendre au piège.
On connaissait le «corporate» storytelling, voilà venu le temps du « government » storytelling. Mais gare aux retours de flamme, nous sommes heureusement quelques uns à raconter une toute autre histoire: Celle d’intérêts qui avancent masqués et qui veulent faire prendre en charge l’essentiel du fardeau de ces sacrifices à d’autres plutôt qu’à eux-mêmes.

Si sacrifices il doit y avoir, ceux-ci doivent être mieux équitablement répartis, car au fin du fin une autre politique est tout à fait possible….Nous y reviendrons.

Hédi Sraieb,
Docteur d’Etat en économie du développement
 

Tags : banque mondiale   fmi   politique  
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13 Commentaires
Les Commentaires
kam - 03-04-2013 16:10

Je trouve assez bizarre qu’à peine deux ans après le tournant du 14 Jan 2011, que la Tunisie passe d’une situation économique et financière qui était bien notée avec une dette extérieure au dessous de 50% du PIB, à une situation où visiblement elle siège à la table des négociations avec le FMI au même titre que la Grèce, le Portugal etc. dans l’attente de la mise en place d’une série de mesures d’austérité qui vont supposément rendre plus difficile les souffrances des classes défavorisée et même moyenne, et mettre en cause (d’après les commentaires de certains ) les salaires et les retraites et tout cela dit on à cause de l’évasion fiscale, le déficit des caisses de sécurité sociale, l’augmentation des charges de la caisse des compensations et les récentes augmentations de salaires etc.. Nous avons toujours vécu avec la dite évasion fiscale, le déficit des caisses sociales et une caisse de compensation qui a même subi les contrecoups d’un marché où le prix du baril a frôlé les 150$ sans bouleversements majeurs, la Tunisie en était toujours sortie indemne et le citoyen sans dommages particuliers à son pouvoir d’achat. Il est vrai que les grèves, sit in et le manque de sécurité à travers tout le pays ont eu des répercussions très négatives sur le tourisme, le phosphate et le secteur de la sous traitance, mais cela relève de l’incapacité des deux gouvernements précédents à gérer ces mouvements de colère tout en préservant les acquis de l’économie nationale. Et si ce qui est repris dans cet article est vrai, donc les deux gouvernements précédents ont tout simplement emprunté pour faire tourner l'économie et les salaires et combler les déficits de production et des recettes, voir même céder aux demandes d'augmentation des salaires et de régularisation des situations, par ailleurs légitimes, à charge pour le 1er gouvernement élu après transition de gérer tout cela ! Je pense malgré tout que ni le FMI ni les autres instances financières intle n'ont intérêt à ce que cette 1re expérience démocratique échoue, toutes les parties en sont conscientes et nos dirigeants s'attacheront à faire étaler dans le temps dans la mesure du possible les restructurations nécessaires en combinant avec une certaine croissance afin de résorber le chômage, d'où le rôle important du secteur privé dès que les choses deviennent plus claires et que la sécurité est complètement rétablie.

mourad - 03-04-2013 21:47

heureusement qu'on a des personnes aussi intelligente que notre docteur pour décortiquer la supercherie des deux comparses

Candide - 03-04-2013 22:07

Monsieur Gannouchi, Ne croyez vous pas que le temps est venu de montrer à tous les tunisiens votre attachement sincère et exemplaire pour le pays et que votre principal soucis depuis la victoire d'Ennahdha a été de sauvegarder les acquits économiques et sociaux du pays. Malheureusement, il est difficile de dire que votre équipe pluridisciplinaire a été à la hauteur de l'immense tache qui les attendaient lorsqu'ils se sont précipités sur les bancs de l'assemblée. Montrez à tous votre bonne foi, étonnez nous, vous et votre assemblée que vous pilotez en coulisse. pour cela, il n'y a pas 36 choses à faire, seulement mettre dans la corbeille de mariage avec la Tunisie, les dons du Qatar pour le bien être du pauvre peuple tunisien, mais aussi votre fortune personnelle amassée à l'étranger pendant ces longues années d'exil. Quant à l'équipe dirigeante on lui demande seulement de partager la misère du peuple en renonçant à tous leurs avantages induement perçus en raison du piètre résultat de l'application de leur programme de gouvernement. La situation des finances en est une preuve flagrante. Il serait également de bon ton de le reconnaître.

Adrien - 03-04-2013 23:24

Bonjour, L'auteur semble dire qu'il y a d'autre moyen que de faire appel au FMI et a la banque mondiale pour éviter un defaut sur la monnaie tunisienne. Peut-il préciser quels sont-il ? Merci

Sami Boussoffara - 04-04-2013 00:50

M. Sraieb, vous évoquez une "supercherie intellectuelle". Sauf votre respect, c'est exactement la description qui convient à votre article. Il n'y a aucun chiffre aucun fait, rien ! Un agrégat d'affirmations gratuites. Dommage !

ERRBAI - 04-04-2013 07:55

La situation est certes catastrophique ... En 2 années nos gouvernants n'ont pas pas su et n'ont pas pu gérer l’économie du pays avec la volonté de remettre en route la machine mais rien n'est le fait du hasard ! Mais vous connaissez le dicton ...on vous affame pour mieux vous manger! Est ce que le Quatar laisserait tomber sa filiale impossible d'y croire mais cela lui coûtera moins cher ainsi ...

mhamed Hassine Fantar - 04-04-2013 08:45

J'ai lu l'exposé de Dr. Hédi Sraieb. Avant d'en finir la lecture, j'ai eu froid au dos. Où allons-nous? Quelle serait le destin de ceux qui ont encore un salaire, fût-il réduit au minimum? Quel serait le sort de ceux qui n'ont pour vivre que leur modeste pension? Je ne prétends pas avoir tout compris. le texte me paraît parfois abscons et sibyll il est donc certain qu'il y a tout lieu d'avoir peur. Où est la société civile?! où sont les organisations nationales?! La Tunisie a le droit de savoir et le devoir de travailler et de veiller à la bonne gestion de ses ressources.

Kamel - 04-04-2013 11:20

Critiquer et se moquer des responsables de l'etat et de leur "storytelling" et semer la PANIQUE du haut de la colline, ne necessite pas un niveauest academique. Ce qui nous manque aujourd'hui, ce sont les propositions utiles et efficaces pour aider le pays a decoller.

bouzaiane Mohamed - 04-04-2013 12:26

Un article technique sans chiffres comparatifs. Une bonne frange de notre population a longtemps vécu par et avec les circuits de l’économie parallèle. Or, ces gens ne payent que très peu de taxe ont généré une bonne masse de corrompus et de corrupteurs. En effet, des personnes chargés de la collecte de tout ce qui doit rentrer à la caisse de l'état étaient généreux et gardaient une part pour eux. De plus, une bonne partie du peu collecté était versé dans les poches des personnes bin connues du régime zaba. De ce fait, je partage la dernière note d'optimisme de M. Zaiem concernant le sacrifice collectifs pour sortir de la crise(constatée chez le s spécialistes) à condition de travailler avec plus de transparence et d'égalité pour tout le monde. Or, pour y arriver, il faut un bon nettoyage des mentalités en comptant sur des dirigeants qui travaillent pour le drapeau et non pour les chaises éjectables (malgré tout). Je reste optimiste et amoureux de mon pays aux dernières secondes de ma vie.

BEN M'RAD - 04-04-2013 12:31

Bonjour j'ai lu l'article avec interet.Cela merite un grand debat avec toutes les parties concernées. Ce la etant,on ne peut que souhaiter un redressement de notre economie sur des bases saines et durables ,fut il laborieux et à moyen terme. nb: le nom du DG du FMI est Mme Christine LAGARDE

jadmour Mohamed Lamine - 04-04-2013 14:23

Un jeune enfant questionne son père : - Papa .. C'est quoi la différence entre potentiellement et réellement ? - Attends .. Je vais te montrer mon fils ! Il se tourne vers sa femme et l'interroge : - Chérie .. Est-ce que tu coucherais avec Robert Redford pour 1 million de dollars ? ... - Oui bien sûr .. Je ne laisserais jamais passer une telle occasion .. Puis il demande à sa fille si elle coucher...ais avec Brad Pitt pour 1 million de dollars .. - Wow ! Oui .. Bien évidemment ! C'est mon plus grand fantasme en plus ! Il se tourne alors vers son fils de 20 ans et lui demande : - Coucherais-tu avec Tom Cruise pour 1 million de dollars ? - Ouais .. Pourquoi pas .. Imagine ce que tu peux faire avec 1 million de dollars .. Je n'hésiterais pas ! Le père se tourne vers son jeune fils et lui dit : - Tu vois .. Potentiellement on est assis sur 3 millions de dollars mais Réellement on vit avec 2 salopes et 1 PD !

Caraway - 04-04-2013 15:01

Lagarde et non Lagardère

Med Aziz BM - 05-04-2013 09:51

http://nawaat.org/portail/2013/04/04/fmi-quand-nos-responsables-senlisent/#comment-118111 Une analyse des réformes et une réponse à la conférence de presse de C. Ayari

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