Notes & Docs - 17.05.2011

Réformer ou mourir (V) La réforme de la politique de développement

Réformer ou mourir, tel est le thème d'une vaste étude où l'auteur, Habib Touhami passe en revue les différentes réformes qui devront être engagées par le gouvernement qui sera nommé par la constituante. Leaders a déjà mis en ligne les quatre premières parties de cette étude. Nous vous en présentons la cinquième qui porte sur la réforme de la politique de développement

Pour bien situer les choses, distinguons d’abord entre freinage et blocage du développement. Le freinage signifie en substance  le ralentissement de la croissance, c'est-à-dire la baisse du taux d’accroissement du PIB ou du produit par tête (encore que la hausse du produit par tête peut résulter de la baisse de la natalité). Le blocage se réfère à l’atteinte d’un seuil au-delà duquel aucun développement n’est possible. En dépit de tout ce qui a été écrit sur les « performances » relatives de l’économie tunisienne par rapport à ses concurrents et ses voisins, la situation dans laquelle se trouve la Tunisie s’apparente davantage au blocage qu’au freinage du développement. Nonobstant la problématique de l’extraversion, du niveau du taux d’intégration industrielle ou encore de la stagnation relative de la productivité des facteurs, la Tunisie souffre  du décalage entre les mentalités, les attitudes et les habitudes sociales d’une part, l’évolution de la technique et de l’environnement économique intérieur et extérieur d’autre part. L’ouverture à l’étranger a ancré des aspirations de consommation qui correspondent très peu aux contraintes économiques du pays. Tous les spécialistes du développement s’accordent en effet  à dire que les formes les plus répandues et les plus pernicieuses de blocage sont engendrées par un milieu institutionnel défavorable donnant libre cours à l’économie souterraine au détriment de l’économie institutionnelle: concurrence déloyale, fraude fiscale, marché noir, corruption, vol de biens publics, exportation de capitaux. Il ne fait aucun doute que sous cet angle, le régime Ben Ali a été à l’origine du blocage de notre processus de développement.

Le déblocage ne peut se réaliser au seul moyen de l’assainissement des finances publiques, de la correction active des quasi-mécanismes du marché, etc. Cela veut dire que l’on doit  viser l’élimination de l’économie souterraine et des interférences parasitaires, mais que l’on doit aussi procéder à la rénovation  de ce que les marxistes appellent la superstructure, c'est-à-dire les rapports de production. Il s’agit en l’occurrence, de faire évoluer les mentalités et les canons sociaux afin qu’ils puissent répondre favorablement à l’emballement de l’appareil productif. Après tout, la consommation, l’investissement, l’épargne, le travail et les innovations sont le fait des hommes, et ce sont eux qui décident finalement.

Pour apporter du crédit à ce type d’assertion, plaçons-nous dans un schéma où l’altération du  processus de développement résulte de la combinaison de trois facteurs essentiels: les agents, les buts et les moyens. Dans ce cas, c’est la combinaison de ces paramètres qui déterminera la nature du changement prévisible ou à apporter. Pour ce faire, nous partons de la définition de Rudolf BICANIC selon laquelle le changement est conçu comme le remplacement du modèle de développement existant par un nouveau modèle de développement.

Agents, buts, moyens et nature du changement

     Agents

Buts

Moyens

Nature de changement dans la politique de développement

Sans changement

Sans changement

Sans changement

?›Conservatisme

Sans changement

Sans changement

Changement

?›Libéralisme

Sans changement

Changement

Sans changement

?›Gradualisme

Changement

Sans changement

Sans changement

?›Dictature, régime militaire

Changement

Changement

Sans changement

?›Réformisme

Sans changement

Changement

Changement

?›Révisionnisme

Changement

Changement

Changement

?›Révolution

Ce schéma explique aisément ce qui s’est passé en Tunisie. Le régime de Ben Ali a changé les agents (son clan et ses affidés se sont substitués aux agents légitimes), mais pas les buts et les moyens de la politique du développement. Cela ne pouvait conduire qu’à la dictature.
Qu’en est-il maintenant pour l’avenir ? A l’heure actuelle, trop d’éléments manquent pour le prédire : carte politique de la future constituante, nature du régime adoptée, degré de cohésion et de  détermination des « agents », composition du futur Gouvernement, etc. On peut toutefois considérer que trois perspectives sont envisageables (j’exclus les autres, en particulier la dictature). La première, la plus plausible dans les conditions actuelles, consiste en l’utilisation des mêmes moyens qu’auparavant, mais avec de nouveaux agents pour atteindre de nouveaux buts. On versera alors dans le réformisme. La seconde pourrait voir une utilisation d’autres moyens par les mêmes agents afin d’atteindre de nouveaux buts. Dans ce cas, c’est le révisionnisme qui prévaudra. La troisième consistera évidemment en un changement tout à la fois des agents, des buts et des moyens.  C’est ce qu’on peut appeler une révolution. En dépit de tout ce qui se dit, nous en sommes loin actuellement. Car dans ce cas, c’est une autre  politique de développement qu’il faut adopter, différente en tous points de la précédente, dans ses moyens, ses objectifs, sa philosophie générale, etc.

Outre l’instabilité politique et ses effets paralysants sur l’action publique, le régime des partis qui nous attend par suite de l’adoption d’un mode de scrutin qui lui est favorable ne constitue  évidemment pas la meilleure solution institutionnelle pour réaliser les réformes structurelles urgentes que le pays attend.

Développement, Productivité, Revenus

Le développement en tant qu’action et résultante de la même action requiert invariablement la dynamisation du triptyque  Productivité?›Revenus?›Profil de la demande. Autrement dit, l’amélioration de la productivité, toutes les productivités, constitue une condition nécessaire à la pérennisation de tout processus de développement. Curieusement, cette problématique  n’a jamais été posée comme il convient dans notre pays. L’amélioration de la productivité n’a été évoquée par le Gouvernement ou le Patronat que pour refuser des augmentations de salaires. Chacun sait pourtant que l’amélioration de la productivité dépend, outre le facteur travail, de plusieurs autres facteurs ainsi de leur combinaison : accroissement du capital par travailleur, taux d’encadrement, utilisation rationnelle du stock de capital, formation, organisation du travail,  progrès technique. Autant dire que l’erreur commise, méthodologique, psychologique et politique, a été grandement préjudiciable.

Sur le long terme, l’amélioration du pouvoir d’achat des salaires et des revenus dépend essentiellement de l’évolution de la productivité. C’est ce qui explique que les prix des produits et services du tertiaire varient peu dans le temps alors que ceux du primaire et du secondaire baissent (avec des rythmes différents). Plus simplement encore, l’artisan-tailleur ou le coiffeur ne passent beaucoup moins du temps à coudre un costume ou à couper des cheveux parce qu’entre-temps, les aiguilles et le ciseau sont devenus plus modernes. Rapportés au niveau général des prix par pays, le prix d’une coupe de cheveux est à peu près le même dans tous les pays et par tous les temps. Par contre, le prix (relatif) d’une cuisinière ou d’u  téléviseur est nettement plus élevé il y a quarante ans que maintenant et il l’est davantage encore dans les pays moins développés que dans les pays très développés. Quant au prix d’un kilo de pommes ou de farine, il a lui aussi baissé relativement  dans le temps, mais à un rythme inférieur à celui du téléviseur par exemple. Toutefois, ce prix a plus baissé aux USA qu’en France et davantage encore en France par rapport à la Moldavie ou le Pakistan. La raison est toujours la même : la productivité.

Prix réels de divers biens et services par pays en 1960

 Pays

Salaire horaire du manœuvre en monnaie locale

 

                    Prix réels

 

 

 

 

Quintal de blé

Kg de sucre

KWh d’électricité

Poste  radio

Place cinéma

Coupe cheveux

 USA

2

4

0,15

0,02

7,5

0,6

0,8

Grande-Bretagne

2,5

5

0,27

0,02

37

0,6

0,7

France

2,5

16

0,45

0,13

50

0,8

1,1

Allemagne Fédérale

2,5

17

0,40

0,03

32

0,6

0,8

Hongrie

7,2

31

1,45

0,15

110

0,8

0,7

Côte-d’Ivoire

40

50

1,60

0,90

190

1,2

1,2

Source : J/J Fourastié (Pouvoir d’achat, prix et salaires)         

Quelques commentaires s’imposent. Les pays à haut niveau de productivité (USA) se distinguent par des prix des « primaires et secondaires » bas par rapport à des pays  moins développés qu’eux (France par exemple) et nettement plus bas encore par rapport aux pays en voie de développement. Par contre, le prix salarial des produits et services à faible effet de progrès technique est pratiquement constant. A l’inverse, le prix des produits à fort effet continu de progrès technique baisse dans le temps. Globalement donc, c’est la productivité qui détermine l’évolution du pouvoir d’achat sur le long terme. Cependant, la plupart des biens et services ne sont exclusivement ni d’originaire primaire, ni secondaire ou tertiaire. En fait, l’on se trouve assez souvent devant des situations intermédiaires où le produit ou le service contient des doses variables allant du primaire vers le secondaire, tels certains produits des IAA (concentré de tomates par exemple). Cela est évidemment du au progrès technique. Il ne faut pas non plus mésestimer les effets de l’action publique et de l’inflation. Dans les pays où les prix sont plus au moins fixés ou encadrés par l’Etat, la relation prix-productivité peut être grandement altérée. Mais sur le long terme et nonobstant  l’impact des effets exogènes ou extérieurs, la productivité constitue le facteur prépondérant de l’évolution des prix des produits et services, de la baisse des prix réels (ou salariaux, c'est-à-dire le rapport du monétaire d’un produit ou d’un service à la valeur monétaire du salaire) et de la hausse du pouvoir d’achat (c’est à dire le rapport de la valeur monétaire du salaire au prix monétaire d’un produit ou service). 

Quoi qu’il en soit et aux termes des seules rares études connues, il s’avère que les productivités partielles des facteurs aient connu au cours de la période 1983-1993 une évolution en dents de scie. Selon les constats de l’IEQ, il y a eu un avant et un après PAS. En effet, l’évolution de la PGF (Médiane de la productivité globale des facteurs) montre que celle-ci a connu une période décroissante entre 1983 et 1987 et une période globalement croissante entre 1988 et 1993. Au total, la PFG s’est accrue de 2,24% en moyenne annuelle lors de la période. La raison est que la valeur ajoutée n’est devenue régulièrement croissante qu’à partir de 1988 alors que le stock de capital a évolué irrégulièrement et que l’emploi a globalement fléchi, d’où une évolution de la productivité du travail et du capital presque identique.

Croissance du produit, des facteurs de production et de la productivité (1983-1993)*

Secteurs

Produit Y

Capital K

Travail L

Productivité du capital Y/K

Productivité du travail Y/L

K/L

PGF**

 

IAA

-4,90%

-0,31%

+0,05%

-2,25%

-2,09%

0,55%

-2,33%

IMCCV

4,44%

2,17%

0,15%

5,05%

5,24%

1,97%

5,25%

IME

4,63%

0,63%

0,43%

3,64%

3,54%

0,95%

3,60%

Chimie

13,76%

1,78%

4,45%

13,65%

13,81%

0,65%

13,78%

THC

3,33%

0,98%

6,06%

3,28%

-0,69%

-3,58%

-0,17%

IMD

5,22%

-1,50%

-0,73%

5,15%

5,76%

0,15%

5,39%

Industries manufacturières

4,27%

0,28%

2,12%

3,29%

2,50%

0,13%

2,59%

BTP

-0,98%

-7,73%

-1,70%

4,00%

0,07%

-2,76%

1,13%

Transport-Communication

0,49%

-5,45%

-1,46%

5,95%

0,26%

-3,31%

0,77%

Tourisme

3,02%

-4,23%

-1,96%

7,34%

3,95%

-3,57%

4,16%

Ensemble de l’économie

1,91%

-0,87%

0,66%

3,08%

1,91%

-0,30%

0,77%

Source : IEQ

*Croissance moyenne calculée par régression sur la période 1983-93, ** PGF=Médiane de la productivité globale des facteurs.


On remarquera que les secteurs ou branches qui se caractérisent par une plus forte progression de l’intensité capitalistique sont ceux qui ont connu la plus forte progression du produit et de la productivité des facteurs et qu’en l’absence de cette interrelation, l’amélioration de la productivité du travail se fait au détriment des revenus salariaux. Il y a lieu de constater aussi que sur ce plan, ce qui se passe dans les industries manufacturières ne s’éloigne pas beaucoup de l’évolution de ces mêmes grandeurs dans l’ensemble des activités économiques.

Venons-en maintenant à la seconde partie du triptyque. L’augmentation des revenus réels conduit, par palier, au transfert des dépenses de consommation de la satisfaction des besoins primaires (alimentation) à la satisfaction des besoins secondaires (logement, habillement...), de la satisfaction de ceux-ci  à la satisfaction des besoins en loisirs, culture, etc. Cette « translation » se traduit par une certaine évolution des coefficients budgétaires (ou le rapport de dépense consacrée à un bien ou service particulier, comme l’alimentation, par exemple, à la dépense totale).

Manifestement, l’évolution des coefficients budgétaires en Tunisie a été incohérente, et même régressive. En effet, la part des dépenses consacrées à l’alimentation dans le total des dépenses de consommation reste élevée (35% en 2005) en dépit de l’intervention de la Caisse Générale de Compensation. Ce coefficient budgétaire a d’ailleurs connu un retournement de la tendance très significatif entre 1985 et 1990 suite à la baisse progressive des revenus salariaux en termes réels et aux effets spécifiques du PAS. On peut remarquer aussi qu’à la différence de ce qui s’est passé ailleurs, les coefficients budgétaires affectés au logement ou à l’habillement par exemple n’ont pas du tout évolué dans le sens d’une modification remarquable du profil de consommation des ménages. Quant au coefficient budgétaire affecté à la culture, les loisirs et l’enseignement, on ne peut pas dire qu’il ait évolué dans le sens de la dynamisation du processus de développement.

Evolution des coefficients budgétaires 1975-2005

 

1975

1980

1985

1990

1995

2000

2005

Alimentation

41.7

41.7

39.0

40.0

37.7

38.0

34.8

Habitation

27.9

29.0

27.7

22.0

22.2

21.5

22.8

Habillement

8.8

8.5

6.0

10.2

11.8

11.1

8.8

Hygiène et soins

5.4

5.7

7.0

8.7

9.6

10.0

10.3

Transport

4.7

4.9

9.0

7.7

7.8

8.6

10.7

télécommunication

-

-

-

0.5

0.9

1.1

3.7

Enseignement

8

7.7

8.9

2.3

2.7

2.9

2.8

culture et loisir

-

-

-

6.2

6.2

5.8

5.6

Autres dépenses

3.5

2.5

2.4

2.4

1.1

1.0

0.5

Total

100

100.0

100.0

100.0

100.0

100.0

100.0

L’évolution sur vingt ans (1985-2005) des coefficients budgétaires par tranche de dépenses de consommation rend le tableau plus inquiétant. On constate en effet que même pour la tranche supérieure des dépenses, l’alimentation continue à accaparer près du quart des dépenses en 2005 et que 52,2%des dépenses de la tranche inférieure concerne encore l’alimentation en 2005 contre 60,6% en 1985. On ne peut dire alors que les parts réservées à l’alimentation et à l’habillement même pour les tranches supérieures se sont réduites, au profit  du logement, des transports, de la santé, des dépenses de communication et de loisirs comme on aurait pu l’attendre. Plus que la productivité ou d’autres référentiels, cette évolution des coefficients budgétaires, globalement régressive, traduit le blocage de notre processus de développement.

Evolution des coefficients budgétaires par tranche de dépense (1985-2005)

Année

1985

2005

1985

2005

1985

2005

1985

2005

1985

2005

1985

2005

1985

2005

Tranche de dépenses en dinars

-100

-400

100-150

400-485

150-250

585-955

250-350

955-1510

350-500

1510-2250

500-800

2250-4000

800 et +

4000 et +

Alimentation

60,6%

52,2%

57,3%

50,4%

53,9%

47,1%

49,7%

42,9%

46,5%

38,0%

41,0%

32,5%

26,3%

24,1%

Habitation

15,4%

23,1%

16,3%

20,3%

17,4%

19,8%

20,2%

19,8%

21,8%

20,7%

25,8%

22,1%

37,2%

27,9%

Habillement

4,9%

4,7%

5,5%

5,8%

6,1%

6,7%

6,4%

7,7%

6,5%

9,1%

6,9%

10,1%

5,2%

9,1%

Hygiène et soins

5,8%

6,5%

6,5%

7,6%

7,0%

9,2%

7,7%

10,0%

8,0%

11,1%

7,7%

11,1%

6,0%

9,9%

Transport / Télécommunications.

3,5%

4,7%

4,4%

6,4%

5,4%

8,4%

5,8%

10,3%

6,7%

12,2%

7,5%

15,3%

13,0%

20,5%

Enseignement, Culture :Loisirs

9,8%

8,4%

9,9%

9,2%

10,0%

8,6%

9,6%

9,0%

9,5%

8,5%

9,3%

8,2%

7,8%

7,9%

Autres dépenses

-

0,3%

0,1%

0,3

0,2%

0,2%

0,6%

0,3%

1,0%

0,5%

1,8%

0,6%

4,5%

0,6%

Total

100,0%

100,0%

100,0%

100,0ù

100,0%

100,0%

100,0%

100,0%

100,0%

100,0%

100,0%

100,0%

100,0%

100,0%

Le développement, rappelons-le, est « la combinaison des changements mentaux et sociaux d'une population qui la rend apte à faire croître, cumulativement et durablement son produit réel global ». Il s’agit donc de phénomènes qualitatifs, sociaux et culturels soumis à ce qu’on peut appeler une « destruction créatrice » , alors que la croissance n’est que d'ordre quantitatif et que des « poches » de croissance peuvent exister par simple inertie de tendance ou sous l'effet de dopants artificiels (exportations).

En somme, le problème de l’amélioration de la productivité doit être posé, de la façon la plus sérieuse et la plus urgente qui soit. Aucun processus de développement ne peut survivre à la stagnation ou à la régression de la productivité. Partant de là, deux axes sont à explorer concomitamment. Il s’agit d’abord d’agir sur la répartition sectorielle de l’investissement. Des contraintes relatives au chômage peuvent  nous dissuader de privilégier l’accroissement des investissements dits capitalistiques. Des contraintes budgétaires ou financières ou internationales peuvent nous dissuader de privilégier l’amélioration de notre taux d’intégration industrielle. Mais l’on sait tous que l’amélioration de la productivité, des revenus et de l’emploi lui-même à moyen terme sont à ce prix. Même quand il s’agit d’activités plus riches en emploi qu’en capital, la confection par exemple, l’amélioration de la productivité est possible parce que nécessaire.  Des contrats peuvent être établis par l’Etat et les partenaires sociaux pour surveiller, année par année, l’évolution de la productivité des entreprises, moyennant des encouragements spécifiques et la garantie que les gains seront équitablement partagés.   

VA et intégration industrielle

Dès  l’abandon de la politique « socialiste » fin 1969, « l’obligation ardente » de l’intégration industrielle a été mise en retrait. Il faut dire que la politique « libérale » (sur le plan économique s’entend) a été fondée sur l’encouragement de l’exportation. Pour sa part, le tout à l’exportation  a généré la transformation structurelle de l’économie nationale, faisant de l’industrie manufacturière tournée vers l’exportation « le moteur » de l’économie des biens, au détriment des services et de l’agriculture. Au sein même de l’agriculture, l’encouragement des activités exportatrices s’est effectué au détriment des cultures vivrières et de la production destinée au marché local. Autant dire que la politique libérale, jamais remise en cause depuis, a éludé plusieurs problématiques : le développement inégal sectoriel, le développement inégal régional,  l’extraversion des pôles de développement, etc.

Nonobstant ces questions de fond, le développement des industries de transformation et de montage, des industries à faible productivité et de moindre valeur ajoutée, a fini par avoir des incidences négatives sur la balance en devises notamment, et ce en raison de l’élasticité des importations par rapport aux exportations. Entre 1975 et 1985 par exemple, l’accroissement de 1% des exportations a accru les importations de 1,5% en moyenne. Lors de la même période, le solde courant de la balance des paiements a été multiplié par 6,6 ; la part des importations dans le PIB est passée de 35,8% en 1975 à 42,3%. Entre 1972 et 1981, l’accroissement en volume des importations en matières premières  et en demi-produits a été 11,2% en moyenne (12,2% pour les importations en biens d’équipement) contre moins 7% pour les exportations. Ces faits  étaient annonciateurs de toutes les difficultés économiques et financières rencontrées par la suite.

Evolution de la part des intrants importés dans la consommation intermédiaire totale au prix constants de 1972

Année

1972

1976

1979

Industries agricoles et alimentaires IAA

18,7%

20 ,1%

25,0%

Matériaux de construction et du verre MCCV

30,4%

29,7%

28,2%

Industries mécaniques et électriques

46,6%

51,5%

54,9%

Industries chimiques IC

35,7%

36,2%

37,3%

Textile, cuir et chaussures ITHCC

52,4%

46,0%

47,2%

Industries manufacturières diverses

45,6%

47,6%

49,3%

Ensemble des industries manufacturières

29,9%

32,5%

36,6%

Source : IEQ

Deux remarques s’imposent au vu de ce tableau. La première est que dans l’ensemble, le degré d’intégration de l’industrie manufacturière tunisienne a baissé au fur et à mesure que l’économie tunisienne s’est arrimée à la charrette de l’économie internationale. La deuxième est que la Tunisie a raté le coche dans les années soixante-dix parce qu’elle n’a pas su profiter d’une conjoncture financière favorable pour tenter d’améliorer le taux d’intégration de l’industrie manufacturière et de l’économie en général.   

A l’heure actuelle, le bilan en termes d’échanges avec l’extérieur  des industries manufacturières semble s’être amélioré puisque le taux de couverture moyen sur la période 2004-2008 a été de 82 % un maximum de 85 % en 2005 résultant d’une amélioration relative des exportations. Mais ce bilan cache de vraies disparités par branche et, plus encore, l’impact négatif du manque d’intégration de l’industrie manufacturière dans son ensemble.

Taux de couverture des industries manufacturières (2004-2008) en %

Branches

2004

2005

2006

2007

2008

Industries agricoles et alimentaires IAA

118

112

121

79

71

Matériaux de construction et du verre MCCV

112

145

139

146

140

Industries mécaniques et métallurgiques

19

22

24

25

26

Industries électriques, électroniques et de l’Electroménager

73

86

82

98

106

Textile et Habillement

150

152

148

147

148

Cuir et chaussures

191

209

197

167

160

Chimie

94

98

98

98

162

Industries diverses

35

31

36

38

41

Ensemble des industries manufacturières

82

85

81

77

82

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : Institut National de la Statistique

En effet, les importations des industries manufacturières ont augmenté régulièrement durant la période 2004-2008 en passant de 13 042 MTND en 2004 à 22 974 MTND en 2008.Ainsi le taux de croissance annuel moyen des importations a été de 15%. Au cours de la même période, les exportations des industries manufacturières ont presque doublé durant la période 2004-2008 en passant de 10 646 MTND en 2004 à 18 951 MTND en 2008, soit un taux d’accroissement annuel moyen de 16%. Peu de marges de manœuvre sont ainsi offertes. Au demeurant, ce sont les industries électriques, électroniques et de l’Electroménager ainsi que les industries mécaniques et métallurgiques qui accusent le taux de couverture le plus handicapant.

En termes de part de la valeur ajoutée par rapport à la production en valeur, les données s’inversent (sauf pour les MCCV). En effet, cette part s’est située en 2008 à 21,2% pour  l’ensemble des industries manufacturières, soit un niveau très significatif de la faiblesse d’ensemble de l’industrie nationale. Pour les MCCV, la part de la VA par rapport à la production  atteint presque 40%. Elle est  moyenne dans la chimie et très basse dans l’industrie du cuir et de la chaussure. Ce n’est certainement pas un hasard si les MCCV se sont classées en tête de liste dans la mesure où c’est cette branche qui a su mieux profiter des transferts technologiques à travers la mono cuisson par exemple. C’est d’ailleurs cette même branche qui utilise le maximum d’intrants locaux, et c’est toujours cette même branche qui a vu le prix de ses produits baisser considérablement, aussi bien en termes courants qu’en termes constants. A l’inverse, les IMM et les IEEE n’arrivent toujours pas à tirer l’industrie manufacturière vers le haut alors qu’elles occupent une position stratégique et qu’elles ont un impact décisif aussi bien en termes d’intégration et de valorisation de la valeur ajoutée qu’en termes de bilan en devises. 

VA/ Production des industries manufacturières

Branche

2004

2005

2006

2007

2008

Chimie

22,8%

22,7%

22,6%

21,0%

19,0%

IEEE

29,1%

29,2%

29,6%

29,7%

29,5%

IMM

27,7%

27,8%

28,0%

28,0%

28,2%

Agroalimentaires

27,1%

27,1%

26,9%

26,8%

26,8%

MCCV

37,4%

37,6%

37,3%

37,5%

37,7%

Textile et Habillement

32,0%

32,0%

32,0%

32,0%

32,0%

Cuir et chaussures

12,8%

30,0%

12,1%

10,5%

8,3%

Industries diverses*

35,8%

35,7%

35,7%

36,0%

36,1%

Ensemble

27,6%

23,2%

23,1%

21,8%

21,2%

*Les industries diverses regroupent les branches : « Bois, Liège et Ameublements », « Pâte, Papier et Carton », « Plastique » et « Divers ». Il s’agit de 7000 entreprises, dont 742 emploient 10 personnes et plus. L’emploi total est de 38.397. 

L’interrelation productivité-intégration industrielle -valeur ajoutée est largement confirmée par les données relatives à la contribution des diverses branches de l’industrie manufacturières au PIB. En  2009, les MCCV ont contribué pour 9,2% du PIB total du pays contre  7,6% pour les industries diverses ; 8,2% pour les deux branches IMM et IEEE et 1,9% pour l’ensemble Textile, Habillement et Cuir.

Part des industries manufacturières dans le PIB (en 2009)

 

En % du PIB total

Chimie

4%

IEEE + IMM

8,2%

Agroalimentaires

4,5%

MCCV

9,2%

Textile et Habillement+ Cuir

1,9%

Industries diverses

7,6%

Ensemble

35,4%

Source : Ministère du Développement et de la Coopération Internationale

Que peut-on conclure ? Entre les contraintes relatives à l’emploi à court terme qui incitent à encourager les industries de transformation et de montage et les contraintes relatives à l’intégration industrielle et à la productivité qui incitent à encourager les industries des intrants, demi-produits et biens d’équipement, la nouvelle politique industrielle à mettre en place dans le futur  doit tenir de ce double impératif. On sait en effet que l’amélioration durable de la balance en devises et de la part de la VA par rapport à la production dépend grandement de l’amélioration de l’intégration industrielle. On sait aussi que l’emploi total dépend, dans la durée,  l’amélioration de la productivité. Or l’amélioration de la productivité est dépendante sur le long terme de l’augmentation de K/L.

La stratégie industrielle

Le tissu industriel tunisien compte actuellement près de 5 839 entreprises ayant un effectif supérieur ou égal à 10, dont 2 786 sont totalement exportatrices, soit 44% du total. Ces dernières génèrent plus de 60% de l’emploi total du secteur. En fait trois branches dominent : les ITH$CC, les industries mécanique, électrique et électronique (IME) et les industries agro-alimentaires (IAA). Au total, ces trois branches forment près de 70% du nombre d’entreprises et participent pour plus de 80% des exportations des industries manufacturières.

Tissu industriel par branche Source: Agence de Promotion de l'Industrie et de l'Innovation - Mars 2011

Secteurs

TE*

ATE*

Total

%

Industries agro-alimentaires

180

874

1 054

18,1%

Industries des matériaux de construction céramique et verre

30

414

444

7,6%

Industries mécaniques et métallurgiques

183

418

601

10,3%

Industries électriques, électroniques et de l'électroménager

246

132

378

6,5%

Industries chimiques

118

394

512

8,8%

Industries textiles et habillement

1 710

324

2 034

34,8%

Industries du bois, du liège et de l'ameublement

31

173

204

3,5%

Industries du cuir et de la chaussure

223

78

301

5,2%

Industries diverses

65

246

311

5,3%

Total

2 786

3 053

5 839

100%






 

 

 

 



 

 

 

 

 

 

 TE : Totalement exportatrices, ATE: Autres que totalement exportatrices.

Sur le plan de l’emploi, les ITH génèrent 39,2% du total, contre 15,3% pour les IME et 13,6% pour les IAA, soit 68,1% du total des emplois industriels. C’est dire l’importance stratégique de ces trois branches par rapport à l’emploi.

Les entreprises dont l’effectif est supérieur ou égal à 10 occupent 506 570 personnes.

Secteurs

Emplois TE*

Emplois ATE*

Total

Part

IAA

16 706

52 068

68 774

13,6%

IMCCV

1 079

27 769

28 848

5,7%

IMM

12 822

23 229

36 051

7,1%

IEE

68 109

9 229

77 338

15,3%

ICH

17 712

21 292

39 004

7,7%

ITH

180 728

17 807

198 535

39,2%

IB

1 233

8 446

9 679

1,9%

ICC

28 895

2 538

31 433

6,2%

ID

3 958

12 950

16 908

3,3%

Total

331 242

175 328

506 570

100%

Source: Agence de Promotion de l'Industrie et de l'Innovation - Mars 2011

Le nombre d’entreprises à participation étrangère s’élève à 1 976 dont 1 223 sont à capitaux 100% %. 1 671 entreprises sont totalement exportatrices. Elles se concentrent pour l’essentiel dans le textile, l’habillement et le cuir. La taille moyenne de ces entreprises est de près de 120 salariés par entreprise, ce qui, conjugué à la spécificité de l’activité, rend improbable le recrutement de cadres en nombre et quelque peu lointain la perspective de l’intégration (on ne parle naturellement pas ici du taux d’intégration au sein de l’entreprise qui est égal à VA/CA, mais du contenu en importations de la demande finale ou encore des contenus en importations des exportations).

Source: Agence de Promotion de l'Industrie et de l'Innovation - Mars 2011

Secteurs

France

Italie

Allemagne

Belgique

Autres

IAA

35

36

2

1

56

IMCCV

14

25

2

1

31

IMM

99

64

5

4

43

IEE

99

71

43

2

61

ICH

87

35

11

3

54

ITH

373

247

83

114

209

IB

21

11

4

3

11

ICC

42

83

9

6

29

ID

27

14

5

5

20

Total

797

586

164

139

514

NB: une même entreprise pouvant être comptabilisée plusieurs fois

A dire vrai, deux éléments primordiaux sont à retenir pour juger de la contribution réelle des secteurs et des branches à la consolidation de l’économie nationale : la VA et la balance en devises. A l’évidence les branches des THC, des IME et des IAA contribuent pour plus de 60% en moyenne de la valeur ajoutée des industries manufacturières. D’ailleurs, les IME ont contribué pour 3,7% du PIB global en 2009, contre 3,0% pour les ITHC et 15,6% pour  l’ensemble du secteur industriel manufacturier et 28,8% pour l’ensemble du secteur industriel.

Valeurs ajoutées en MDT par branche aux prix courants

Année

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

Rang en 2006

IAA

652.4

645.5

786.1

847.2

830.9

859.1

902.2

1081.0

1116.3

1222.7

3

Industries du Tabac

30.1

32.8

36.7

40.8

44.9

47.5

49.7

53.1

56.8

58.8

8

THC

1186.7

1305.3

1367.4

1449.5

1721.6

1778.4

1769.7

1812.0

1787.2

1773.4

1

Industries diverses

498.4

519.6

562.2

611.4

649.0

678.6

719.9

767.1

782.0

811.7

4

Raffinage de pétrole

53.4

41.1

41.3

68.3

78.3

74.6

110.5

63.5

191.2

481.5

7

Industries chimiques

434.8

470.9

495.9

488.1

509.9

541.5

550.0

588.1

644.2

689.1

5

MCCV

374.6

399.4

421.6

446.6

468.2

490.7

526.9

600.9

616.8

663.7

6

IME

607.2

721.0

778.7

848.7

951.4

974.3

1059.0

1161.8

1359.3

1690.9

2

INDUSTRIES MANUFACTURIERES

3837.6

4135.7

4489.9

4800.5

5254.3

5444.8

5688.0

6127.5

6553.8

7391.9

 

Source : INS

Si l’on analyse la contribution du secteur industriel manufacturier aux exportations, on constate que les IME ont contribué pour 30,8% des exportations en FOB en 2009 contre 15,5% pour le vêtement et accessoires ; 4,3% pour la chaussure et le cuir ; 8,8% pour les autres productions textiles et 9,5%  pour l’agriculture, la pêche et les industries agroalimentaires. Pour bien situer les choses, notons que les mines, phosphates et dérivés participent pour 8,5% des exportations en 2009, contre 13,5% pour l’énergie et 9,1% pour les autres industries manufacturières. Mais s’agissant des importations en CAF, on constate alors que les rapports s’inversent quelque peu. En effet, les IME accaparer 46,1% des importations contre 14,6 pour le textile et le cuir alors que l’agriculture, la pêche et les industries agroalimentaires n’entrent que pour 9,4% des importations. Bref, les branches les plus dynamiques ne brillent pas nécessairement ni par leur balance en devises, ni par leur taux d’intégration industrielle.

Balance importations/exportations en valeur en MDT

Branche

2008

2009

 

Exportations.

Importations

Exportations

Importations

IAA

1538,1

1397,2

1268,8

1137,8

ITHC

6098,3

4076,3

5558,1

3774,7

IME

6232,8

11920,3

6001,0

11929,6

Source : BCT

Trois raisons  principales raisons expliquent le rendement quelque peu négatif des industries THC  au plan de la balance commerciale comme au niveau de la VA:
1. a faible disponibilité de la matière première sur le marché local, ce qui n’est pas le cas pour nos  principaux concurrents (la Turquie, l'Inde et la Chine)
2. l’absence  d'un environnement local compétitif
3. le manque d’investissements capitalistiques et à haut taux d'intégration et de VA
En fait, ce sont ces mêmes raisons qui expliquent schématiquement la faiblesse relative de la contribution des IAA et des IME à l’intégration industrielle et par là même à l’amélioration de la balance commerciale et en devises des branches énumérées.  

Propositions

Les mesures de moyen et de long terme intéressent bien évidemment l’amélioration de la productivité et de l’intégration industrielle. Un meilleur équilibre peut être recherché entre les activités  à forte valeur ajoutée et à faible intensité de main-d’œuvre et les activités économiques à faible valeur ajoutée et à forte intensité de main-d’œuvre. En d’autres termes, il faut trouver un juste milieu entre les contraintes propres à la pérennisation du triptyque Productivité-Revenus-Profil de la demande  d’une part, l’abondance relative de la force de travail d’autre part.

Etant entendu que l’action doit porter pour ce qui est des industries manufacturières sur les IAA, les THC et les IME, il est impératif de revoir le mode de financement des projets à haute intensité de capital dans les trois branches.  Pour ce faire, le code d’investissement doit être revu pour donner un bonus supplémentaire et attractif aux industries de matières premières et de demi-produits destinés aux IAA, IME et THC. Il est aussi impératif de resserrer notre stratégie industrielle pour :
 
• Orienter les ITH$CC vers des créneaux à plus forte valeur ajoutée
• Faire des IME une locomotive pour l’ensemble des industries manufacturières  en matière d’intrants et d’équipement.
• Consolider les IAA par la création de nouveaux produits et l’amélioration de la qualité et du packaging

Parallèlement, trois activités doivent être encouragées. Il s’agit d’abord de continuer à développer le potentiel qu’offrent les pôles aéronautiques et les TIC. Avec plus de 40 entreprises en activité actuellement, l’industrie aéronautique en Tunisie représente un véritable créneau à consolider et à développer. Les technologies de la communication  TIC sont également un secteur prioritaire dans la mesure où il s’agit d’une activité ayant enregistré le taux de croissance le plus élevé en 2008 (17,8 %), contribuant ainsi à 10 % du PIB contre 2,5% seulement en 2002. Il s’agit ensuite des industries relatives à l’environnement, à l’écologie et au développement durable. En  termes d’activité, cela représentera dans le futur une vraie source économique. En termes d’innovation, cela représentera aussi une grande opportunité.  Il s’agit enfin des services liés à l’informatique, notamment  les services liés à l’entreprise tels que les centres d’appels et les sociétés de développement de logiciels informatiques.

La dimension régionale

Si l’on analyse l’implantation régionale des entreprises du secteur manufacturier, on constate que l’essentiel de l’investissement, de l’emploi et des revenus salariaux se concentrent sur le littoral, en particulier le Centre-Est, le Nord-Est et le District de Tunis.

La branche des IEEE (industries électriques, électroniques et de l’Electroménager), branche entrainante s’il est, se concentre en 2009 dans le Grand Tunis (Tunis, Ben Arous, Ariana, Ma-nouba) avec 148 unités (43% du nombre total) et le Nord-Est (Bizerte, Nabeul et Zaghouan), avec 125 unités. Le gouvernorat de Sousse qui compte seulement 21 entreprises IEEE dont 18 sont totalement exportatrices, vient au second rang en termes d’emplois, après le Gouvernorat de Ben Arous. Au total, 85% des entreprises et des emplois sont concentrés sur les régions côtières.  

Répartition régionale des entreprises et des emplois des ieee

Gouvernorat

Nombre d’entreprises

Nombre d’emplois

TE

NTE

Total

TE

NTE

Total

Ben Arous

33

35

68

10 432

2 924

13 356

Sousse

18

3

21

11 594

80

11 674

Bizerte

26

9

35

8 099

776

8 875

Tunis

13

19

32

5 859

1 496

7 355

Nabeul

38

17

55

4 434

1 862

6 296

Zaghouan

25

10

35

4 342

256

4 598

Ariana

30

10

40

3 024

354

3 378

Monastir

16

1

17

1 316

21

1 337

Béja

6

3

9

1 694

87

1 781

Kairouan

3

2

5

1 511

42

1 553

Autres

11

19

30

1677

706

2583

Source : API/BDI- Novembre 2009
 
La branche des IMM se concentre, elle aussi, sur les régions côtières, principalement dans les gouvernorats de Ben Arous, Sfax, Nabeul, Sousse et Bizerte. Ces cinq gouvernorats totalisent 390 unités représentant 68% du nombre total des entreprises et 24 860 emplois soit 71% des emplois de la branche.

Implantation des IMM par Gouvernorat

Gouvernorats

Nombre d’entreprises

Nombre d’emplois

 

TE

NTE

Total

TE

NTE

Total

Ariana

14

20

34

946

402

1 348

Ben Arous

29

78

107

1 911

5 205

7 116

Bizerte

22

31

53

2 731

2 526

5 257

Monastir

8

19

27

371

1 365

1 736

Nabeul

31

32

63

1 621

1 917

3 538

Sfax

8

96

104

703

4 577

5 280

Sousse

29

34

63

1 585

2 086

3 671

Tunis

6

16

22

124

829

953

Zaghouan

9

25

34

956

1 124

2 080

Autres

7

60

67

1 087

3 105

4 194

Total

163

411

574

12 035

23 136

35 173

La branche du textile et de l’habillement se concentre pour sa part dans le gouvernorat de  Monastir avec 563 unités, soit 27% du total des entreprises du secteur, le Grand Tunis 20% des entreprises, Sousse 12%, Nabeul 11% et Sfax 9%. L’ensemble de ces régions totalise 80% des entreprises du secteur.

Répartition régionale des entreprises du secteur ith en 2008

Région

TE

NTE

Total

Nombre

%

Nombre

%

Nombre

%

Monastir

480

27

83

24

563

27

Grand Tunis

348

20

87

25

435

21

Nabeul

224

13

13

4

237

11

Sousse

238

14

18

5

256

12

Sfax

114

6

65

19

179

9

Bizerte

128

7

7

2

135

6

Autres régions

220

13

70

21

290

14

Total

1 752

100

343

100

2 095

100

Répartition des entreprises agroalimentaires par gouvernorat
(situation du 01/11/2009)

Gouvernorat

 T.E

N.T.E

Total

Gouvernorat

 T.E

N.T.E

Total

Ariana

3

18

21

Manouba

3

21

24

Béja

5

27

32

Médenine

3

73

76

Ben Arous

14

67

81

Monastir

6

32

38

Bizerte

6

36

42

Nabeul

36

107

143

Gabès

6

19

25

Sfax

23

127

150

Gafsa

-

19

19

Sidi Bouzid

2

18

20

Jendouba

2

34

36

Siliana

1

24

25

Kairouan

4

39

43

Sousse

5

52

57

Kasserine

-

14

14

Tataouine

-

5

5

Kébili

6

9

15

Tozeur

24

11

35

Le Kef

-

19

19

T u n i s

11

41

52

Mahdia

2

22

24

Zaghouan

2

35

37

 

 

 

 

Total

164

869

1 033

L’industrie chimique se distingue, comme il est attendu, par une forte concentration régionale. En effet, la majorité des entreprises sont implantées dans la région du Grand Tunis avec 96 unités employant 11 213 personnes (47% de l’emploi). Toutefois, Sfax avec  38 unités employant 3 324 personnes (13% de l’emploi) et Sousse avec 24 entreprises employant 2 091 personnes  (9% de l’emploi) dominent le reste des régions. Au total, 61% des entreprises, ayant 10 emplois et plus, sont implantées dans les régions du Nord Est et 30% dans le Centre Est.

Répartition des industries chimiques et des emplois par région

Région

Entreprises

Emplois

 

Nombre

En %

Nombre

Grand Tunis+ Nord-Est

147

61

14 155

Centre-Est

72

30

8 682

Sud-Est

2

1

27

Nord-Ouest

9

4

161

Centre-Ouest

6

2

212

Sud-Ouest

5

2

920

Total

241

100%

24 157

Le secteur des MCCV compte en 2008 plus de 700 entreprises employant  27972 dans 427 unités de taille supérieure ou égale à 10 personnes. L’emploi total est estimé à près de 30.000. Parmi les 427 entreprises, 42% sont implantées dans la région du Nord-Est contre 20% dans le Sud-Est et 15% dans le Centre-Est.

La répartition géographique des entreprises du Bois, Liège et Ameublement appartenant aux industries diverses, confirme la prédominance du Grand Tunis (47 unités employant plus de 2 000 personnes) suivi par Sfax et Sousse avec respectivement 43 et 29 entreprises employant 2 135 et 2 655 personnes. Les industries des matières plastiques appartenant au même secteur sont concentrées, elles aussi, dans le Grand Tunis, Sfax et Sousse, soit 67% du total des entreprises et 71% de l’emploi total. En fait, on constate la même concentration géographique pour l’ensemble des industries diverses.

Bref, il y a concentration des industries manufacturières et de l’emploi industriel et salarial dans les régions côtières, qu’il s’agisse d’industries à haute intensité de main-d’œuvre comme le textile, l’habillement, le cuir ou la chaussure ou d’industries à haute intensité de capital comme les MCCV ou la chimie. Cependant l’espace géographique national se distingue par une moindre concentration de la branche des activités des services sociaux et de l’administration. Ce n’est nullement le cas de l’emploi précaire (BTP et agriculture) qui se concentre dans les régions défavorisées de l’Ouest et du Sud à l’heure même où le déclin des activités des « industries textiles et cuir »  touche plus durement les régions de l’Ouest. Cette configuration explique très largement l’inefficacité des mesures d’accompagnement à l’emploi dans les régions de l’intérieur et du sud. 


Aucun développement des régions de l’intérieur et du sud n’est possible si cette implantation reste inchangée.  De même qu’aucune politique de redistribution équitable des richesses produites ne peut avoir des effets tangibles dans un environnement caractérisé par un fort déséquilibre sur les plans social et régional, aucune politique de développement sur le plan national ne peut être efficiente si elle n’intègre pas comme composante essentielle le développement équitable des régions. La politique suivie depuis quarante ans constitue l’exacte négation de ce principe. Cette politique a en effet été construite sur des mesures d’incitations au développement des régions défavorisées (déconcentration administrative et industrielle) au moyen d’exonérations fiscales et/ou sociales et en prenant en charge par l’Etat de quelques dépenses d’investissement (frais d’études, etc.). Pour des raisons politiques évidentes, cette politique a occulté le fait que les avantages initiaux des régions favorisées se sont renforcés entre-temps, de sorte que même un taux de croissance plus élevé que celui des régions favorisées ne serait pas en mesure de permettre aux régions défavorisées de combler leur retard.

Cette politique n’a pas voulu non plus prendre en considération les effets additifs du PAS dans l‘accélération du développement inégal des régions. On pouvait se douter pourtant que les politiques de restriction des dépenses sociales  induites par le PAS (santé, éducation et culture) allaient accentuer la pauvreté des régions pauvres et la richesse relative des régions riches.  Au surplus, les stratégies du développement liées au PAS appellent au renforcement du secteur privé et à la spécialisation de l’industrie manufacturière en faveur de l’exportation. Or, cela a conduit à favoriser davantage encore les régions les plus développées du littoral (dynamique de l’acquis et de la géographique). On peut mesurer le renforcement de ce basculement démographique et socioéconomique de l’Ouest, du Centre et du Sud-Ouest vers le littoral en se référant aux parts respectives des régions dans l’emploi salarié, l’emploi industriel, l’emploi par branche ou encore en prenant en considération le sens et l’intensité de la migration intérieure ou le niveau des dépenses de consommation par région.

La « spécialisation » instaurée de fait par les pouvoirs publics pour ce qui est de  la nature de l’activité économique par région (à tel gouvernorat le tourisme saharien  et les dattes, à tel autre les mines, etc.), n’a strictement aucun sens du moment que cette stratégie n’est pas intégrée dans le cadre d’une politique de développement basée sur la polarisation et l’espace de développement. Le développement n’est en effet pas morcelable à souhait.

C’est dans ce cadre qu’il faut instaurer le découpage du territoire national en régions économiques. La notion même de pôle et d’espace de développement n’est concevable que par rapport à un découpage régional qui dépasse nécessairement les limites géographiques de nos actuels gouvernorats. Pour asseoir cette vision, les gouverneurs de région économique pourraient se voir octroyer un rang de Secrétaire d’Etat, leur donnant ainsi accès aux Conseils des Ministres chaque fois que le besoin s’en fera sentir. L’instauration d’une véritable  péréquation financière fiscale entre régions développées et régions moins développées nous paraît inévitable, car comment rééquilibrer les régions sans passer par des recettes fiscales régionales en hausse. On pourrait alors confier aux régions et à leurs assemblées élues le soin de décider sur place de la conception et de l’exécution de l’infrastructure  d’un certain rang. On y gagnera en coût et en délais de réalisation. Il est évidemment capital, dans ce cas, de donner à l’administration régionale une armature administrative et technique digne de ce nom : administrateurs, économistes, démographes, statisticiens, ingénieurs, etc. Pour l’heure, l’administration régionale  en manque.

A suivre...

Lire Aussi:

Réformer ou mourir : (I)La réforme fiscale

Réformer ou mourir (II) La réforme de la répartition des richesses produites

Réformer ou mourir : III la réforme de la redistribution inversée

Réformer ou mourir :(IV) la réforme de l’école, instrument de la mobilité sociale

 

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1 Commentaire
Les Commentaires
hamadi laarif - 17-05-2011 22:48

L’article est tout ce qu’il y a d’intéressant du point de vue académique .il est bien documenté. Il appelle toutefois de ma part deux réflexions : la première concerne le fait que l’économie de la tunisie a souffert pendant longtemps de mentalités antiéconomiques tels que la fixation des pris à la production(pour le secteur primaire)l’encouragement et la prolifération du commerce parallèle(on en voit encore les répercutions) et l’importation massive des produits de consommation (non considérés comme de première nécessité). Est- il si facile d’inhiber les effets sus cités et entamer un processus de réformisme ou de révolution. La deuxième à trait au financement du processus de développement à adopter .quoiqu’on dise les ressources du pays sont limitées, le recours à l’IDE est plus qu’aléatoire d’autant que la situation politique et sécuritaire n’inspire pas grande confiance. Deux autre éléments peuvent perturber davantage ce processus en l’occurrence les revendications sociales et l’impatience face à la lenteur des réformes. D’autres pays ont surmonté les effets pervers de leur révolution grâce à un « plan marshall » judicieusement injecté dans l’économie sans alourdir la dette publique. Le temps de la générosité désintéressée n’est-il pas révolu.

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