News - 12.08.2017

Chirurgie et médecine esthétiques: Le diktat de l’apparence touche aussi les hommes

Chirurgie et médecine esthétiques: Le diktat de l’apparence touche aussi les hommes

Selon l’International Society of Aesthetic Plastic Surgery (ISAPS), les hommes représentaient, en 2016, 13,8% des patients en chirurgie esthétique avec 3 264 254 interventions pratiquées dans le monde entier, contre moins de 5% il y a 20 ans. En Tunisie, les professionnels du secteur estiment que la demande masculine en matière de chirurgie esthétique est passée du simple au double tout au long des dix dernières années. Que dit ce phénomène sur notre époque ? S’il témoigne d’une dynamique complexe à analyser, il met en lumière l’apparition fulgurante de l’impératif de la jeunesse et de la minceur chez les hommes. Réseaux sociaux, narcissisme exacerbé par la toute-puissance du monde de l’image, concurrence imposée par les jeunes à leurs aînés, etc., ont posé les fondations d’un culte de l’image et de la jeunesse et d’une quête effrénée de perfection du corps. C’est dans ce contexte que la chirurgie esthétique a pris un essor considérable auprès de la gent masculine. Enquête sur ce phénomène inédit.

Le diktat de la perfection physique s’impose aux femmes depuis la nuit des temps. Sommées depuis des siècles de répondre aux critères de beauté de leur époque, elles ont toujours employé des moyens plus ou moins sophistiqués pour soigner leur apparence et conserver la fraîcheur de leur jeunesse. Lorsque la pratique de la chirurgie esthétique a commencé à voir le jour en Tunisie entre les années 1980 et 1990, l’écrasante majorité des candidats à la transformation de parties « disgracieuses » du corps était des femmes appartenant à une catégorie sociale aisée. Comme tout phénomène social en phase d’éclosion, cette pratique a donc d’abord été caractérisée par la rareté de la demande, exprimée par un groupe social initié et informé de l’évolution des technologies médicales. Aujourd’hui, l’on assiste non seulement à la démocratisation de la pratique chirurgicale auprès de femmes de toutes catégories sociales, mais également à une demande de plus en plus importante exprimée par les hommes. «Depuis que j’exerce ce métier, j’ai assisté à un accroissement du simple au double de la clientèle masculine, explique Mehdi Chennoufi, chirurgien plasticien opérant à la clinique el-Amen. Sur 10 patients, au moins 2 sont désormais des hommes. Ce n’est pas énorme d’un point de vue proportionnel, mais en chiffre absolu, c’est quelque chose !».

Si la fréquentation des salles de sport et le soin apporté à l’aspect vestimentaire constituent déjà un phénomène relativement moderne, le recours à la chirurgie est, lui, une tendance tout à fait inédite qui témoigne d’une préoccupation grandissante à l’égard de l’apparence dans la mentalité masculine tunisienne.

Toutes les parties du corps concernées

Selon les professionnels du secteur, aucune intervention phare n’est plébiscitée par les hommes. Il existe toutefois des sources ciblées de complexes qui leur sont communes. Parmi les opérations le plus souvent réclamées figure la désormais incontournable chirurgie de la silhouette. «Les amas graisseux, indique Sinda Haddad, chirurgienne à la clinique Alyssa, aux Berges du Lac, qui sont souvent localisés dans la région abdominale, constituent un complexe très gênant chez la plupart des hommes. La lipoaspiration est donc fréquemment sollicitée.» 

Autre « anomalie » corporelle difficilement supportée par les messieurs: la gynécomastie. Spécifique aux hommes, il s’agit d’un déséquilibre hormonal provoquant un développement excessif de glandes mammaires et/ou une concentration de cellules graisseuses au niveau de la région pectorale. Ce phénomène est le plus souvent vécu comme une atteinte handicapante à la virilité et fait de plus en plus l’objet de demandes de traitement chirurgical.

Aujourd’hui maîtrisée en Tunisie, la greffe de cheveux est un autre traitement plébiscité par ceux qui ne supportent pas leur calvitie, en particulier lorsque celle-ci est précoce. Dr Sinda Haddad évoque pour sa part la popularisation de la chirurgie intime, même si elle «ne concerne encore qu’un patient par an dans notre clinique». «Techniquement, il s’agit d’élargir la circonférence de la verge en injectant au patient de la graisse provenant de son propre corps», explique la chirurgienne. Enfin, en sus du lifting cervicofacial, la rhinoplastie et la blépharoplastie, consistant pour la première à restructurer le nez et pour la seconde à faire disparaître les poches qui s’incrustent sous les yeux, sont les deux opérations les plus appréciées pour le rajeunissement du visage.

Aux origines du bistouri, une pression sociale sans précédent

La représentation de l’homme dans la société a subi une transformation radicale. Alors qu’auparavant, l’ascendant des hommes émanait de leur statut social, de leur capital culturel ou de la fascination intellectuelle exercée sur les femmes, la postmodernité a hissé l’image au premier rang des atouts de séduction. «Le physique de Pablo Picasso apparaîtrait comme tout à fait disgracieux à notre époque, illustre Mehdi Chennoufi. Pourtant, l’aura de son génie artistique lui a permis de séduire autant de femmes qu’il a peint de tableaux!» Réseaux sociaux, selfies, séries TV, émissions présentées par des hommes soignés et botoxés, libanisation de la représentation de la femme et de l’homme… L’air du temps voue un culte à l’image et impose une pression sociale si forte qu’elle a rendu banal le passage à l’acte chirurgical.

Le monde de l’entreprise est lui aussi devenu impitoyable. Ce sont les cadres âgés d’une cinquantaine d’années qui sont les plus friands de lifting facial: «En cas de restructuration de leur entreprise, ces cadres pourtant compétents se voient concurrencés par l’arrivée de jeunes diplômés et se sentent donc obligés d’apparaître plus jeunes et moins fatigués pour affirmer leur crédibilité», explique Sinda Haddad.

Autre facteur déterminant: les femmes, désormais éduquées et émancipées, exigent de plus en plus de leurs maris qu’ils entretiennent leur corps, estimant que le temps où elles étaient les seules concernées par ce diktat est désormais révolu. Le mal-être induit par le rejet social que peut susciter un physique ingrat est tel que le recours au bistouri, jadis confiné aux cercles sociaux les plus aisés, s’est propagé parmi les petites classes moyennes. «Il est même devenu difficile de décrocher un job lorsque le candidat présente un physique particulièrement disgracieux», explique Sinda Haddad. Si les chirurgies de confort restent majoritaires auprès des classes les plus nanties, chauffeurs de taxi en surpoids, adolescents balafrés en mal de socialisation ou femmes issues de classes populaires dont le corps a été abîmé par les dégâts de la grossesse trouvent coûte que coûte le moyen de se constituer un pécule, quitte à s’imposer des privations.

La dysmorphophobie, un mal grandissant

Les chirurgiens doivent-ils pour autant accepter d’opérer tous les patients soucieux de se soumettre aux standards de l’imagerie médiatique? Cela dépend des cas, répondent les chirurgiens. Bien que rares, des cas de patients atteints du trouble de la dysmorphophobie existent parmi les demandeurs de chirurgie. «J’ai eu affaire à un homme qui a souhaité être opéré du nez alors que celui-ci avait un aspect tout à fait normal, se souvient Dr Chennoufi. Je lui ai demandé de réfléchir longuement avant de prendre sa décision finale. Mais il y a tenu. Après l’opération, il est revenu me voir pour pinailler sur des détails au millimètre près.» Dr Haddad explique pour sa part qu’en cas de refus de la part du chirurgien, ces patients ne renoncent pas à leurs obsessions: ils en arrivent à consulter tous les chirurgiens du pays jusqu’à obtenir une réponse favorable. Quelles solutions face à ce trouble psychiatrique? «Malheureusement aucune. Enfermés dans un farouche déni de la réalité, ils refusent de suivre une cure psychiatrique. La nécessité de banaliser le recours à la psychiatrie est d’ailleurs un enjeu majeur de santé publique, car la mentalité tunisienne y voit toujours un tabou honteux», alerte Mme Haddad..

Néjiba Belkadi

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