Opinions - 19.06.2012

OGM : Le débat aura-t-il lieu en Tunisie ?

Ayant engagé sa révolution, la Tunisie est aujourd’hui confrontée à la lourde tâche de construire son futur. Dans ce contexte post-révolutionnaire, il est normal que l’agenda politique domine tous les débats et que le choix de societé occupe tout l’horizon public et fasse l’objet de querelles plus ou moins intenses.

Mail il y a des débats qui, bien qu’ils ne rentrent pas de fait dans la sphére politique, ne constitutent pas néanmoins des débats dépourvus d’intéret et qu’on peut ajourner indéfiniment sans prendre le risque d’être confronté plus tard à de sérieux problèmes. Parmi ces débats, les questions qui portent sur les ruptures technologiques que vit le monde et qui affectent irréversiblement notre mode de vie. Si une societé n’est pas consciente de ces ruptures et ne fait rien pour les assimiler positivement, le constat peut être amer et les conséquences désastreuses. D’où la nécessité immédiate d’un débat public responsable et dépassionné jusqu’à ce qu’un consensus puisse être trouvé et que la question soit tranchée.

Une des problèmatiques les plus activement débattues à travers le monde aujourd’hui est celle inhérente à l’arrivée sur nos marchés de produits contenant ou issus des organismes génétiquement modifiés (OGM). Ces produits commencent à être omniprésents dans nos assiettes, dans les habits qu’on porte, les cosmétiques qu’on utilise et les médicaments qu’on utilise pour améliorer notre santé. L’acronyme OGM correspond à «organisme génétiquement modifié». Un OGM est défini comme étant un organisme vivant (animal, végétal, microbe) dont le génome (ensemble de gènes) a été modifié par une nouvelle et puissante technologie dite “génie ou ingénierie génétique”. 

Cette technologie permet de transférer des gènes sélectionnés d’un organisme à un autre, y compris entre des espèces différentes; on parle alors de transgénèse. Cette technologie offre donc la possibilité de conférer de nouvelles caractéristiques à un organisme en lui transférant le ou les gène(s) d’intérêts qui ont été identifiés au préalable. Les consommateurs que nous sommes sont donc concernés au premier plan par le développement et l’arrivée de ces nouveaux produits dans nos vies. Il est impératif de comprendre les enjeux économiques et sociaux liés à ces produits et de bien évaluer les bénéfices et les risques liés aux OGM. Les OGM soulèvent deux types de problèmes. Des problèmes d’ordre éthique liés au fait que les OGM ont été développés par la technologie de l’ingeniérie génétique. Du fait de sa puissance et de son impact sur plusieurs aspects, notamment le concept de la vie même et de la biodiversité, cette technologie est controversée. L’essentiel dans un débat de quelque nature qu’il soit étant d’être informé au mieux sur le problème. Il convient donc d’apporter les éléments qui nourrissent le débat. Une donnée fondamentale est l’unicité de la nature chimique du matériel génétique de tous les organismes vivants, soit l’ADN [Acide désoxyribonucléique], chaque espèce ou sous-espèce se distingue par son propre patrimoine génétique. De plus, une des lois fondamentales qui régit la cohabitation des espèces dans un même écosystème est que l’échange de matériel génétique est strictement consigné au sein d’une même espèce. Chaque organisme vivant dispose d’un puissant système qui détecte l’intrusion du matériel génétique d’une autre espèce et qui le détruit. Cette barrière génétique naturelle a permis de maintenir les caractéristiques spécifiques à chaque espèce à travers les millénaires écoulés et a permis le développement d’une extraordinaire diversité au niveau des espèces. Ainsi la question fondamentale qui se pose c’est : au nom de quoi avons-nous le droit d’interférer avec les mécanismes de la vie ? Ou mieux encore, est-on vraiment acculé à le faire en dehors de la quête du savoir scientifique ?

C’est au milieu des années 70 du siècle passé que cette barrière a été brisée dans les laboratoires de génie génétique. Depuis, les applications ont augmenté exponentiellement au point qu’on est au bord d’un changement brusque et accéléré, voire irréversible, de notre mode de vie. Le Codex Alimentarius (code alimentaire) établi en 1962 par le comité sur l’étiquetage des denrées alimentaires, issu du programme des Nations Unies qui établit des normes internationales visant la salubrité des aliments et la protection des consommateurs, qui est encore en vigueur, n’évoque pas les produits agricoles génétiquement modifiés. Depuis, la peur de voir des monstres échapper des laboratoires a été stigmatisée par l’arrivée effective de produits de consommation courante génétiquement modifiés sur les marchés. La sonnette d’alarme a alors été tirée par la société civile et en particulier les organisations non gouvernementales. Ainsi la déclaration qui a suivi le Sommet de la Terre qui s’est tenu à Rio de Janeiro, au Brésil, en 1992 sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies [Agenda 21, paragraphe 16.29], reconnaît pour la première fois, au niveau du droit international, les bénéfices potentiels mais aussi les risques associés aux produits issus de la technologie de l’ingénierie génétique. C’est au cours de ce sommet que fut aussi préparée la convention internationale sur la diversité biologique : CBD «Convention on Biological Diversity». Les articles 8(g) et 19(3) de cette convention traitent des OGM et stipulent que chaque pays signataire doit:

i)
S’engager à établir et à maintenir les moyens pour réguler, gérer et contrôler les riques associés à l’utilisation et à la distribution des OGM qui peuvent avoir des effets adverses sur l’environnement et affecter la biodiversité et prendre en compte les riques potentiels sur la santé humaine.

ii)
Considérer le besoin et les modalités d’un protocole définissant les procédures portant sur l’information, le transport sécurisé, la manipulation et l’usage des produits modifiés par génie génétique qui peuvent avoir des effets délétères sur l’environnement et affecter la biodiversité.

Pour les produits agricoles, les cultures transgéniques ont d’abord intéressé le soja, le maïs, le coton et le colza pour s’étendre ensuite à tous les légumes et fruits. Entre 1991 et 1994, il a été enregistré dans l’Union européenne près de 300 cas de dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement. Plusieurs arguments ont été avancés pour appuyer le développement des OGM en agriculture parmi lesquels l’amélioration de la croissance et des rendements, la résistance aux stress environnementaux ainsi que l’amélioration de la qualité des aliments. La plupart de ces arguments sont réfutés par les opposants aux OGM, surtout celui concernant la qualité. En fait, ils soulèvent le problème de sécurité alimentaire et les risques pour la santé, en l’occurrence les problèmes d’allergie. Il faut cependant mentionner que les études menées à ce jour n’ont jamais démontré un quelconque effet négatif sur la santé.

Ces études manquent cependant du recul nécessaire et c’est le principe de précaution qui doit primer. Pour étre le plus exhaustif possible il faut signaler qu’une étude récente a montré que les protéines exprimées par des gènes insérés dans des plants de maïs OGM ont été retrouvées dans les cours d’eau autour des champs cultivés, même 6 mois après la récolte. L’impact sur la faune et la flore n’a pas été analysé. Par ailleurs, une étude faite par l’ONG Green Peace en 2008 dans les pays du Golfe arabe a conclu que 40% des produits alimentaires importés contient des OGM qui ne sont ni étiquetés ni contrôlés. Ces produits viennent de pays producteurs d’OGM comme les USA [qui ont signé mais pas ratifié la CBD], l’Inde et l’Iran, pays signataires de la convention sur la diversite biologique. Qu’en est-il de l’introduction des OGM en Tunisie ? Sachant que les pratiques mafieuses qui avaient cours dans le secteur des importations avant 2011 ne permettaient pas la moindre information sur le sujet.

En plus des problèmes éthiques relatifs à la technologie qui produit les OGM et la  question de savoir si leur dissémination dans l’environnement ne présente pas de risques pour la biodiversité et la santé? Question qui n’est pas actuellement tranchée ; les OGM posent des questions socioéconomiques trés pertinentes qui sont en rapport avec les choix sociaux et économiques concernant les modes de production, notamment dans le domaine agricole. En effet, nombreux sont ceux qui pensent que les OGM vont sceller la voie industrielle qui mettrait définitivement l’agriculture sous le contrôle exclusif de quelques grandes multinationales.

Déjà en dehors du contexte OGM, la relation agriculteurs-semenciers est souvent difficile. Ce qui s’est passé avec l’arrivée des OGM, c’est que les fermiers qui ont gardé des semences transgéniques après leur récolte pour les replanter se sont vu assigner en justice par les compagnies productrices de semences transgéniques. Après tout, ces semences sont protégées par des brevets et ces compagnies sont là pour faire des bénéfices. Mieux encore, Monsanto, la multinationale la plus puissante et la plus controversée, a passé un dangereux cap en développant «Terminators» : les semences transgéniques qui s’auto- détruisent après les récoltes. Non ce n’est pas de la science-fiction mais plutôt de la logique corporatiste.

Le prix des semences produites par génie génétique est bien surélevé mais le pire c’est la volonté affichée des firmes de semenciers d’asservir les agriculteurs et de ce fait contrôler le secteur agricole, sous-entendu notre subsistance. Ces compagnies multinationales sont si puissantes qu’elles dictent, par le biais du lobbying, leur volonté aux législateurs, notamment aux Etats-Unis et ailleurs. Ainsi ce sont ces compagnies et les politiciens qui décident où et quel OGM planter. Récemment, Monsanto qui a été au cœur de plusieurs scandales éthiques a publiquement menacé l’Etat du Vermont [Nord-Est des Etats-Unis] de poursuites judiciaires parce que les élus étudiaient la possibilité de voter une loi pour l’étiquetage et la traçabilité des produits contenant des OGM destinés à la consommation publique.

Enfin, il n’est pas d’information utile que celle qui présente tous les faits sur la question débattue. Concernant les OGM, il ne faut pas passer sous silence le fait que sans eux, on n’aurait jamais eu des vaccins comme celui de l’hépatite B qui fait des ravages dans le monde. Les diabétiques n’auraient jamais pu espérer accéder en masse à l’insuline, sans oublier un grand nombre d’autres bienfaits. Ainsi on ne peut s’empêcher de penser à la réflexion de Jean Salmon:

«La science n’est en soi ni bonne ni mauvaise, cela dépend de l’usage qu’on en fait».

Pour aborder et organiser un débat démocratique et éclairé, il est important de laisser les experts s’exprimer en veillant à ce qu’aucun conflit d’intérêt n’émaille leurs positions, mais il est primordial d’impliquer les citoyens pour qu’ils prennent part aux décisions dans l’intérêt général. Les progrès technologiques posent tellement de questions sociétales, éthiques et sécuritaires qu’il serait absurde et totalement irresponsable de ne pas y faire face par l’information, le débat et les législations adéquates.

Pensez un peu à ce que la nanotechnologie a permis de développer : «Des drones de la taille d’un insecte qui peuvent être injectés dans la circulation sanguine pour aller détruire une tumeur ou alors passer sous les portes pour prendre des photos ou, pire encore, injecter à une victime un poison létal» [Financial Time, février 2012]. On attend donc des commissions parlementaires, des comites ad hoc et des débats publics qui vont mieux nous ancrer dans les pratiques démocratiques et nous éviter bien des déboires.

D.F.

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1 Commentaire
Les Commentaires
Kressmann - 20-06-2012 09:00

J'ai été très interessé par votre article sur la problématique des OGM. Si vous souhaitez y refléchir dans votre pays, vous pourriez consulter avec profit l'AFBV ( Association Française des Biotechnologies vegetales) présidée par le Professeur Marc Fellous. Je suis à votre disposition pour vous mettre en contact avec son président qui a par ailleurs des attaches familiales en Tunisie

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